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Séance du 27 Janvier 1901

Histoire d'Abraham

(Extrait de La Légende Biblique)

Parmi les familles d'ancêtres qui s'étaient dispersées après le Déluge, quelques-unes de la postérité de Sem suivirent le cours du grand fleuve Euphrate qui descend de l'Ararat vers la mer. Elles arrivèrent enfin dans la terre des Chaldéens. C'est une plaine infinie où le sable du désert se mêle au limon des eaux; elles s'arrêtèrent là et s'y établirent.

Quelques-uns se firent des maisons de branches et de roseaux au milieu d'un champ cultivé; quelquesuns entrèrent dans Ur des Chaldéens et dans les autres villes, pour y vivre du travail de leurs mains; la plupart continuèrent à paître leurs troupeaux de brebis, de bœufs et de chèvres. Ceux-ci dressaient des tentes qu'ils transportaient çà et là, pour trouver de l'herbe nouvelle quand la chaleur de l'été avait séché le sol autour d'eux ou que les eaux du printemps l'avaient envahi. Les générations succédèrent aux générations; tous ces hommes se multiplièrent, et les familles devinrent un peuple qui vécut là pendant des siècles.

Les châteaux de la ville d'Ur s'élevaient au milieu des eaux et des landes. C'était une ville si ancienne que personne ne savait plus qui en avait construit

les murs de bitume et de briques. Ses prêtres conversaient avec les esprits du désert; elle était pleine du murmure des incantations; ses temples et ses tours avaient des toits d'émail qui brillaient la nuit comme une émeraude. Chaque soir les mêmes étoiles paraissaient dans le ciel au dessus des tentes dressées et des troupeaux endormis. On en nommait. quelques-unes qu'on reconnaissait à leur position ou à leur éclat, mais les plus petites étaient si nombreuses qu'elles semblaient aux yeux se mêler dans le ciel comme les grains de la poussière dans le désert.

Si la mémoire des hommes est incertaine et faible, elle ne s'éteint jamais tout à fait. La part la plus pure en demeure, et le rêve de l'avenir naît ainsi du regret confus du passé.

Ces descendants de Sem, dans leur nouvelle. patrie, oublièrent peu à peu la haute montagne forestière où l'arche s'était arrêtée; mais ce qu'avaient vu les ancêtres, les petits-fils le revoyaient parfois dans les songes de leur sommeil. Sans reconnaître ces visions d'un passé qu'ils n'avaient pas connu, elles leur donnaient le désir et leur paraissaient la promesse d'une autre terre et d'une autre vie.

Tous ces hommes n'étaient pas bons, tous n'étaient pas justes, mais il y avait en eux un vœu secret de justice et de bonté, une source cachée qui ne jaillissait pas encore et murmurait seulement au fond de leur cœur. Les plus purs enfants de Noë avaient oublié l'ancienne alliance, mais Dieu s'en souvenait pour eux, le Dieu patient qui sait combien d'alliances

rompues doivent préparer l'éternelle paix. Leur vie était grave et simple; ils avaient en horreur les abominations chaldéennes, les idoles sculptées qui rassemblent en d'horribles images des formes d'homme et de bètes. L'air pur de la nuit soufflait sur leurs tentes; ils croyaient entendre une voix dans les bruits du vent et de l'eau, et l'un d'eux enfin devait naître qui saisirait le sens de la voix confuse et qui parlerait avec Dieu, comme on parle avec un ami.

Ce fut Abram fils de Taré. Taré avait engendré trois enfants, Abram, Nacor et Haran, et ce dernier eut un fils qu'on appela Lòt. Mais Haran n'atteignit pas la vieillesse ; il mourut dans la ville d'Ur, au milieu des siens, après avoir confié Lôt à son père Taré et à son frère Abram. Plus tard Abram et Nacor choisirent à leur tour des femmes parmi celles de leur tribu. La femme d'Abram qui s'appelait Saraï demeura stérile; elle n'avait point d'enfants. Ils vivaient tous ensemble sous l'autorité du vieux Taré, ne formant qu'une famille, avec les mêmes serviteurs et le même bétail. Parmi les hommes de leur race aucuns n'étaient plus respectés; les ancêtres revivaient en eux; dans les yeux d'Abram qui était alors dans la force de la jeunesse se levait une lumière qu'on voyait s'éclaircir avec les années; c'était un homme à la fois antique et prophétique, il semblait que les jours anciens regardaient par ses yeux vers les jours à venir.

Cependant Taré avait conçu pour la Chaldée une grande aversion. Outre qu'il y avait perdu son fils Haran, la vie tumultueuse et perverse des villes chaldéennes ne lui inspirait que de la colère et du

mépris. L'orgueil des palais et des temples lui semblait une insulte au Dieu vivant qu'il pressentait ; l'ombre des murailles d'Ur pesait lourdement à son cœur, quand elle s'allongeait le soir, sur les sables et sur les eaux, jusqu'à l'ombre étroite des tentes. Les hommes étaient devenus trop nombreux dans ce pays; il arrivait toujours des peuples nouveaux, avec leur langage et leurs dieux, et il n'y avait presque plus, dans la grande plaine, d'herbe libre pour les troupeaux.

Alors Taré se décida à partir. Le bétail fut rassemblé,tous les serviteurs furent réunis, et un matin, à l'aube, les tentes étant repliées, il se mit en route vers le nord avec ses fils Abram et Nacor, avec Lôt son petit-fils et Saraï, femme d'Abram, et Melka, femme de Nacor.

Le voyage dura plusieurs mois. Ils s'arrêtaient aux puits et aux sources, dressaient les tentes et les repliaient les troupeaux broutaient, en marchant, les feuilles des buissons et l'herbe sèche du désert Sur les bords de l'Euphrate ils virent les ruines d'une grande tour. Taré avait entendu dire qu'elle se nommait Babel; il raconta sur elle une histoire d'orgueil et Abram comparait en lui-même la folie des hommes à la puissance de Dieu.

Enfin ceux qui marchaient en avant aperçurent, un matin, des montagnes au bout de la plaine et des nuages au bord du ciel. Ils arrivaient à Kharan où finit la terre des Chaldéens et où les chemins devenus pierreux commencent à monter. Il y avait des

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