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J'ai, le premier, contraint la lyre d'Eolie,
Noble tâche à chanter les chansons d'Italie !
Sois fière, Melpomène, et, propice à mes vœux,
Du laurier d'Apollon viens ceindre mes cheveux!

Vieille Histoire

Un peuple s'enfle et meurt comme un flot sur la grève.
Lég. des Siècles, l'Epopée du Ver. V. Hugo.

Un jour, je traversais une grande cité,
Ville au nom répandu, des hommes répété.
Plus d'un hautain palais y projetait une ombre
Glorieuse, et la foule y bruissait sans nombre.
C'était l'œuvre sans fin des générations,
Orgueil des citoyens, souci des nations.
Je découvrais au loin de larges avenues;
Le palmier profilait ses lignes continues,
Où l'oiseau pacifique avait posé son nid,
Jusqu'à des ponts de fer, de marbre ou de granit;
Et, de chaque côté des monuments antiques,
Le peuple et son murmure erraient sous les portiques.
Jamais l'homme n'avait plus superbe attesté

Ce que conçoit son rève et peut sa volonté.

J'interroge un passant : « Depuis quand cette ville?
Qui l'a bâtie? » Et lui, d'une façon civile:
« Sa naissance se perd aux temps mystérieux;
Nous ignorons qui l'a fondée, et nos aïeux
L'ignoraient comme nous. » La cité souveraine
Prolongeait sa rumeur; on eût dit une reine
Offrant à ses sujets un éternel gala.

- Or, cinq cents ans après, je repassai par là.

Plus de ville; tout a disparu; c'est la plaine
Où des vents infinis se disperse l'haleine,

L'uniforme vallée où glisse un fleuve en paix,
Qui féconde la terre et les gazons épais.
Un tertre interrompant la ligne horizontale,
C'est la tombe où dormait l'antique capitale.
J'aperçus un berger seul et vêtu de peaux ;
Je lui parlai, marchant derrière les troupeaux :
« Quelle calamité, de pleurs, d'angoisses pleine,
A renversé les murs qui couvraient cette plaine?
Depuis quand a péri la ville, et quels revers

L'ont-ils enfin couchée au fond des tombeaux verts? »
Et lui, tournant vers moi sa prunelle voilée :

<< Jamais ce lieu n'a vu de ville, et la vallée

N'a connu de tout temps que l'herbe que voilà. »
Cinq siècles écoulés, je repassai par là.

Où s'était élevée une ville superbe,

Où le pâtre plus tard avait marché dans l'herbe,
La mer était venue, et l'herbe et les palais
Avaient au jour fixé fait place à ses galets.
L'onde au loin s'étalait, profonde, infranchissable.
Aux pêcheurs remmaillant leurs filets sur le sable
Je demandai depuis combien de temps la mer
Couvrait la plage. On rit, et : « Ce n'est pas d'hier,
Répondit le plus vieux de la troupe, et la rade
Et le golfe sont tels sans doute, camarade,
Qu'au premier jour du monde un Dieu les modela. »
Et cinq cents ans plus tard, je repassai par là.

L'eau s'était retirée; où j'avais vu la vague,
Je n'avais plus devant les yeux qu'un terrain vague,
Espace aride et nu, plaine de sable où naît
La bruyère et l'ajonc, la ronce et le genêt;
Un vieux sage habitait le pays solitaire;
Et lui non plus n'avait rien connu que la terre
Siliceuse, le grès stérile et le désert

D'un éternel manteau de cendre recouvert.

Flux et reflux sans fin ! Courte science humaine ! - Qu'importait, après tout, au pâtre qui promène Sa vache ou sa brebis à travers le gazon

Rare ou touffu suivant le temps et la saison ;
Qu'importait au pêcheur vivant sous la menace
De la mer et du grain qui trouble la bonace;
Au sage, méditant le sort et ses détours,
Qu'une ville autrefois eût élevé ses tours
Sur ce coin de la terre, où, pour toute aventure,
Eux mêmes ils allaient trouver leur sépulture?

LES PERSES

Ce fut une illustre journée dans les fastes de l'art dramatique que celle où le premier poëte d'Athènes, parvenu à la maturité de son génie comme de son âge (il pouvait alors avoir cinquante-deux ans), développa, devant ses concitoyens rassemblés au théâtre, la mémorable scène de leur indépendance. Huit ans s'étaient à peine écoulés depuis l'accomplissement de cette grande œuvre à laquelle tous avaient mis la main, et l'homme inspiré qui entreprenait d'en reproduire le tableau, et les spectateurs qui venaient assister à cette solennelle commémoration de leur gloire. Les souvenirs auxquels le drame allait s'adresser étaient vivants dans les cœurs ; l'auditoire était gagné d'avance à l'art puissant qui devait, dans un instant, l'émouvoir et le transporter. Les hommes faits se retraçaient vivement ces jours fameux où ils avaient combattu et vaincu ensemble; les vieillards et les femmes, ce douloureux exil qui les conduisit à Trézène, sur les rivages de l'ile d'Egine, de celle de Salamine et dans les villes de l'Eubée, tandis qu'Athènes était en proie à l'incendie allumé par les barbares, et que sa fortune avec ses guerriers s'était réfugiée sur les flots. Une immense attente, une impatiente curiosité faisait battre le sein de cette jeunesse qui avait grandi au milieu des dangers et des triomphes de la patrie, et qui allait tout à l'heure prendre place parmi ses défenseurs. On y distinguait sans doute ce futur rival d'Eschyle qui avait commencé sa vie toute poétique, auprès

du trophée de Salamine, en chantant, à la tête d'un chœur de jeunes enfants, l'hymne de la victoire. Aristide, Thémistocle étaient, je m'imagine, présents à cette fête nationale, que leur absence eût rendue incomplète, où tous les regards les cherchaient, où toutes les voix les nommaient.

Tout conspirait à préparer l'œuvre du poëte ; les lieux eux-mêmes étaient autant de témoins de ce qu'il allait peindre; ils rappelaient de toutes parts aux yeux et les barbares et leurs vainqueurs ces humbles tréteaux, entourés d'échafauds grossiers que n'avait pas encore remplacés le magnifique théâtre de Bacchus, ces ruines récentes, et dont plusieurs, celles des temples, destinées à rappeler, dans tous les temps, la fureur sacrilège de Xerxès, ne devaient jamais être relevées; ces édifices commencés, cette ville qui sortait de ses cendres, cette mer à jamais illustrée par la merveilleuse victoire. de Salamine, cette île de Psyttalie, où avait été massacrée l'élite de l'armée persane, ce mont Egialée, d'où Xerxès avait contemplé son désastre, tous ces objets parlaient éloquemment à l'imagination des spectateurs; ils faisaient, ainsi qu'eux-mêmes, partie du magnifique spectacle qui allait s'ouvrir.

(PATIN, Tragiques Grecs, Les Perses.)

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