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gion et la vérité ; la légèreté et la faiblesse sont l'apanage exclusif de l'erreur. Le faux savoir a éteint la foi, il ne pourra la faire revivre. Les journaux, qui ont efficacement contribué à la ruine de la religion, ne pourront jamais la rétablir. Car telles sont la faiblesse et la corruption du cœur humain, que 'les écrits superficiels peuvent bien le pervertir, mais le convertir, jamais. On cite des exemples d'hommes ramenés de l'erreur à la vérité par la lecture attentive d'un bon livre ; mais je ne sache pas que ce miracle ait jamais été opéré par un journal. Ce genre de publication pourra à la longue venir en aide aux bonnes dispositions, mais jamais il ne produira d'effet, sans l'intervention d'ouvrages solides, profonds, appropriés aux besoins de la civilisation et du siècle. Or, pour parvenir à avoir de tels ouvrages, commencez par vous persuader que les journaux ne font pas la science. Et pour cela gardez-vous de vouloir circonscrire l'encyclopédie dans quelques volumes, gardez-vous de vouloir restreindre dans douze cahiers annuels je ne sais combien de sciences. Croiriez-vous par hasard que quiconque veut acquérir des connaissances suffisantes sur ces matières sérieuses, les étudiera avec succès dans des cours improvisés ? Cela n'aboutit qu'à avilir les nobles doctrines, et n'est d'aucun profit pour la religion. Au lieu de rapetisser le savoir et de le renfermer dans de si étroites limites, donnez-nous de bons livres, donneznous des livres qui se fassent lire et étudier, même par des laïques, à cause de la nouveauté et ensemble de la profondeur des matières. Et qu'on ne vienne pas dire que les grands génies manquent, que tous les siècles ne peuvent pas enfanter des Bossuet, des Arnaud, des Fénélon, des Malebranche, des Petau, des Gaubil; que les génies modernes ne sont capables que des minces travaux auxquels ils s'appliquent.Car d'abord le génie ne manque pas en France; le bon emploi du génie, voilà ce qui manque ; et aussi ces études fortes, cette application infatigable sans lesquelles les dons de la

nature deviennent inutiles. Ensuite, si vous ne pouvez nous donner de ces génies extraordinaires, tels qu'en produisit le xvi siècle, donnez-nous au moins des Tillemont, des Mabillon, des Nicole, des Thomassin, des Fleury ! Ce sont là des hommes que des études longues et spéciales ont fait grands, et que tout génie ordinaire peut se flatter d'atteindre, pour peu qu'il se sente d'ardeur et de courage. Persuadez-vous bien que les noms les plus fameux qui ont illustré votre corps et votre patrie ont dû leur grandeur et leur célébrité au travail non moins qu'aux dons de la nature. En somme, donnez-nous des livres qui aient du fond et qui puissent durer, et nous accepterons, si vous le voulez, vos encyclopédies et vos journaux (13). Je ne crois pas d'ailleurs que la prétention de créer une science exclusivement catholique, distincte de celle qui est l'héritage commun de la civilisation, soit une idée bien sage et bien favorable à l'accord de la science avec la religion. La science est une, et elle est toujours catholique quand elle est vraie ; l'erreur seule n'est ni catholique ni chrétienne. La science catholique, c'est la science vaste, impartiale et profonde; celle qui pénètre dans les entrailles de son objet, et ne s'appuie pas sur la vague superficie; celle qui considère une matière sous une de ses faces sans négliger les autres; rigoureuse dans la déduction et réservée dans l'induction, elle n'étend pas ses conséquences au-delà des limites qui circonscrivent ses prémisses; elle n'érige pas la probabilité en certitude, ne donne pas ses conjectures pour des vérités démontrées, ses hypothèses pour des axiomes ou des théorèmes. Je sais bien que vous ne contestez rien de tout cela; mais en écrivant, comme vous le faites, je ne sais quelles ébauches scientifiques, et en les décorant du titre de science catholique, vous paraissez croire que la science qu'on enseigne dans les universités de l'Europe est hérétique ou païenne : ce qui est une très-grave erreur. Savez-vous quelle est la science catholique ? C'est,

pour ne pas sortir de ce siècle ni de la France, é'est celle des Cuvier, des Ampère, des Rémusat, des Sacy et de leurs égaux; la science catholique, c'est la science qui s'enseigne de Philadelphie à Calcutta, et qui obtient l'assentiment de tous les savants du monde civilisé. Une telle science n'est jamais hostile à la religion; mais quand même ceux qui la cultivent seraient infectés de la corruption du siècle, quand même ils seraient irreligieux, ce n'est pas en s'appuyant réellement sur les données de leurs sciences spéciales qu'ils arriveront jamais à des conséquences essentiellement contraires aux dogmes catholiques; car la vérité ne combat jamais la vérité. La science superficielle, la science téméraire, qui marche appuyée sur des conjectures et sur de vaines hypothèses, est la seule qui souvent soit contraire à la foi. Mais tel n'est pas d'ordinaire le savoir des hommes éminents, quand toutefois il ne leur arrive pas de payer tribut à la nature humaine. Aujourd'hui, vous n'entendrez pas un habile géologue affirmer nettement que les données de sa science sont en désaccord avec l'histoire de Moïse; vous ne verrez pas un antiquaire profond contredire la chronologie biblique; pas un physiologue, pas un médecin illustre, tourner au matérialisme ses observations et ses expériences. Car le savant véritable est prudent, il marche avec les précautions les plus minutieuses, il connaît le génie de la science dont il fait profession, et ne prend pas les apparences pour la réalité. J'ai dit tout-à-l'heure, essentiellement, car si quelqu'un de ces hommes éminents paraît quelquefois ne pas se conformer entièrement au dogme catholique et s'en éloigner en quelques points accidentels de ses propres doctrines, cela tient à deux causes ou bien cet homme interprète mal le catholicisme (comme il est arrivé à Galilée), ou bien la nature lui fait défaut. Car les grands hommes eux-mêmes sommeillent quelquefois, et il leur arrive de prendre le vraisemblable pour le vrai. Il est bien entendu que je ne parle

pas ici des sciences spéculatives; en cela, je l'avoue, notre siècle n'est pas d'accord avec la religion. Mais est-ce chose bien étonnante, quand notre siècle n'est pas en ce point d'accord avec lui-même ? Il n'y a plus de philosophie parmi les hommes, puisqu'il y a autant de systèmes qu'il y a d'écoles et de penseurs; aussi, en ce point, le monde civilisé est une véritable Babel. Mais il est une chose certaine, c'est que si la philosophie doit un jour ressusciter, ce ne seront pas les journaux ni les encyclopédies qui opéreront la résurrection.

Le clergé catholique doit éviter avec soin tout ce qu'il sait être petit, étroit, faible, pauvre, mesquin; il doit, en restant dans l'orthodoxie la plus rigoureuse, embrasser sagement toute la civilisation du siècle, la débarrasser de ce cortège de mondanités qui souvent la corrompt, et se l'approprier ensuite. La foi et les mœurs des prêtres français les rendent dignes d'être proposés pour modèles; mais je ne sais s'ils sont imitables en d'autres points; je ne sais si le zèle de la sainteté cléricale ne leur fait pas quelquefois passer les bornes. Étre étranger au bruit, aux intrigues civiles et politiques, c'est le devoir du sacerdoce; mais pourquoi l'être à la littérature et aux sciences? Pourquoi éviter la compagnie des hommes graves et instruits? Pourquoi faire une société isolée, un corps à part comme les castes orientales? En s'éloignant de la société, un sacerdoce nuit à la religion, qui perd également dans l'esprit de la multitude, quand le prêtre se dérobe trop aux regards et quand il ne sait pas maintenir, en se montrant, la dignité de son caractère. Un grand nombre d'hommes accordent aux croyances religieuses la même estime qu'aux ministres qui les représentent. La seule présence d'un prêtre digne de son ministère peut quelquefois crier haut dans une âme et la rapprocher de la foi ; la foi, qu'on oublie quand on ne voit pas ceux qui la prêchent. Je ne sais si je me trompe, mais j'incline à croire que dans une ville comme Paris, beaucoup d'hon

nétes familles qui n'ont souci ni de piété, ni de religion, vivraient chrétiennement, si les prêtres n'avaient point perdu l'habitude de tenir honorablement leur place dans les sociétés de leurs concitoyens. Mais revenons aux sciences; les ecclésiastiques ne devraient-ils pas en reconquérir l'antique domaine, l'élever jusqu'à sa plus haute splendeur, en se proposant de rivaliser avec le siècle et de devancer le progrès de leur temps? Et certes dans le cercle des sciences spéculatives, ce ne serait pas chose difficile en un pays où l'on décore aujourd'hui des palmes philosophiques quelques noms qui obtiendraient à peine un rang secondaire, pour peu que le siècle et les études fussent placés dans d'autres conditions. Aussi doit-on sagement s'opposer à tout ce qui tend à restreindre dans une sphère trop étroite la science du clergé et

des catholiques. En philosophie surtout, maintenant que la

science est toute à refaire, et que les ecclésiastiques sont tenus de coopérer à cette grande œuvre en vertu même de leurs obligations, en philosophie surtout, il faut trouver cette liberté et cette force de génie qué réclame la sublimité du but où l'on veut atteindre. Si je dis cela, c'est que dans plusieurs travaux du clergé français, travaux estimables d'ailleurs et inspirés par de bonnes intentions, j'ai cru remarquer une excessive timidité d'esprit, de la faiblesse intellectuelle, la erainte d'entrer dans certaines questions, la répugnance à abandonner l'ornière commune et les sentiers battus (même quand le sujet l'exige et que la prudence chrétienne le permet); toutes choses qui nuisent à l'effet que ces livres pourraient produire, à la profondeur, aux progrès de la science. Le catholique doit être prudent, mais non pusillanime; timoré, mais non timide; il doit bien mûrir ses pensées, mais non pas reculer d'effroi devant les difficultés ; il lui faut rechercher avec beaucoup de zèle la rigueur de l'orthodoxie, mais aussi il doit être libre de scrupules; il doit pénétrer au fond de son sujet, et non s'arrêter à l'écorce. C'est sans raison qu'il craint de

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