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plus remarquables de l'Europe. Le christianisme était à peine introduit dans les Gaules, et déjà ses ministres s'y illustraient par leur savoir, leur éloquence et la pureté de leur foi; ils s'y illustraient par l'héroïsme de la vertu, dans les longues et laborieuses épreuves de l'apostolat, comme dans les épreuves plus courtes, mais aussi plus terribles, de la confession de la foi et du martyre. Quand même, durant tout le moyen-âge, la France n'aurait donné à la chrétienté d'autres illustrations que Gerson et saint Bernard, aux études sacrées d'autre concours que l'université de Paris, il faudrait encore la compter au nombre des provinces qui se sont montrées les plus dignes et qui ont le mieux mérité de l'Eglise. Qui ignore les gloires du clergé français au xvir siècle ? Qui n'admire cette nombreuse et brillante élite d'hommes illustres, sortis des différents degrés de la hiérarchie ecclésiastique ? Ils ont cultivé avec bonheur toutes les sciences de leur temps; ils ont élevé à une égale hauteur l'instruction sublime et profonde qui fait marcher la science, et l'instruction élémentaire qui la communique aux jeunes gens et aux ignorants; ils ont fait de l'idiome français une langue noble et digne d'être écrite; ils ont créé une littérature nationale, et ils l'ont portée à un tel degré de perfection, que les générations subséquentes ont en vain essayé d'y atteindre, bien loin de la surpasser. Et si un grand nombre d'écrivains laïques ont efficacement coopéré à cette œuvre, il est à remarquer qu'ils pensaient, sentaient et écrivaient sous l'influence morale du sacerdoce. C'est surtout au sacerdoce que la France doit la création de sa littérature, comme elle lui a dû, dès les premiers temps, l'organisation de sa société. Ce fait incontestable a échappé à la perspicacité ou à la bonne foi du siècle suivant, et ce siècle, qui avait reçu des mains du clergé une littérature si belle et si riche, s'en est prévalu, ingrat et criminel, contre ceux qui l'avaient créée, contre cette même religion qui l'avait élevée et nourrie. La guerre du XVIIe siècle contre le

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précédent me peint au naturel une insolente échappée d'écoliers tumultueusement révoltés contre la vénérable assemblée de leurs instituteurs et de leurs maîtres. Où cette révolte a-t-elle conduit la littérature et la philosophie française ? Chacun peut le voir, et les peintures les plus vives seraient moins éloquentes que le spectacle qui s'étale aujourd'hui à nos yeux. Dans le cours de ces douloureuses vicissitudes, le clergé français n'a jamais démenti ses glorieux principes ni ses antiques vertus ; et si, au temps où les hommes d'église pouvaient devenir hommes de cour, cet usage donna lieu à quelques scandales qui obscurcirent, comme il arrive toujours, la réputation du corps entier, ces taches ont été effacées complètement durant ce terrible bouleversement de toutes les choses divines et humaines, et le sacerdoce français en est sorti, comme l'or de la fournaise, purifié de toute souillure et digne de son antique renommée. Ne l'avonsnous pas vu naguère, lorsqu'un fléau fatal se ruait sur la France et abattait les populations malheureuses, ne l'avonsnous pas vu se mêler à la foule des infirmes et des délaissés, les soulager, corps et âme, avec une tendresse de mère, et mourir avec eux ? Et quelle plus belle, quelle plus forte preuve de vertu que de donner sa vie pour le prochain? Donner sa vie pour ceux qui peut-être ont besoin de votre pardon, sans compensation d'amour, sans espoir de reconnaissance!

Mais si le clergé français est encore de nos jours un modèle de toutes les vertus que demande le sacerdoce, il n'est pas, sous le rapport de la science, à la hauteur des hommes illustres qu'il a enfantés autrefois, il n'est pas à la hauteur de son antique renommée. Il a commencé à déchoir dans le cours du siècle passé, alors qu'il s'est laissé enlever par les laïques le patrimoine intellectuel de la science. La science est un flambeau ; celui qui le tient doit en répandre la lumière sans en rien perdre pour lui-même, et surtout sans se le laisser ravir. Le clergé français a toujours conservé, il est vrai, le

sceptre de la vertu, mais il a souffert qu'on lui enlevât celui de la science et du génie. Quand au șiècle dernier, une foule d'écrivains infimes ou médiocres, relevant d'un ou de deux chefs illustres, livraient à la religion une guerre aussi acharnée que variée dans ses attaques, il ne sut pas opposer un seul homme éminent à l'astuce et à la rage des assaillants. Bergier, Guénée et quelques autres ont fait ce qu'ils ont pu, ont combattu avec bonheur, ont acquis un droit impérissable aux bénédictions de la postérité; mais ce n'était point assez d'eux, et il est certain que le silence du clergé, ou du moins la faiblesse de sa défense, a contribué à la diffusion de la fausse philosophie et à l'empire qu'elle a conquis dans l'opinion, alors qu'un seul génie vraiment puissant, s'il s'en fût trouvé un sur le seuil du sanctuaire, aurait pu mettre en fuite cette foule d'insectes incommodes, dont l'insolence croissait à proportion de la patience intempestive de ceux auxquels ils s'attachaient. Ni la verve de Voltaire, ni la faconde de Rousseau n'auraient pu voiler leur ignorance, s'il s'était rencontré quelque puissant génie, quelque hon philosophe pour la démasquer. Quand la révolution eut dissipé les biens du clergé et dispersé le clergé lui-même, il lui fallut se recomposer, et, pendant ces jours laborieux, il ne put guère s'occuper de science ni d'études. Mais maintenant que la divine Providence a fait succéder à la tempête un calme suffisant, pourquoi le clergé français tarde-t-il à en profiter, afin de recouvrer squs tous les rapports son antique splendeur, et de se concilier l'admiration par sa science, comme il commande la vénération par sa piété et par ses mœurs ? Le respect que je professe pour cette portion choisie de l'Eglise ne me permettrait pas de manifester ces sentiments, s'ils n'étaient partagés par plusieurs membres illustres du clergé français et appuyés par leurs plaintes. Je ne nie pas pour cela que la France ne

1 Voyez Forichon, Examen des quest. scientif. de l'âge du monde, etc. Paris, 1837. VII et suiv., XXX11 et suiv.

possède, même actuellement, des prêtres doués de science et de génie, auteurs d'ouvrages estimables et qui suffiraient seuls à soutenir l'honneur et à pourvoir aux besoins de quelque autre royaume chrétien. Mais pour la France, ce n'est point assez. Que son illustre sacerdoce me pardonne d'avoir dit cette parole; mais il nous a tellement accoutumés à voir sortir de son sein, en si grand nombre, des hommes célèbres dans toutes les branches des sciences divines et humaines, qu'il semble aujourd'hui, bien que le champ ne soit pas stérile, que la moisson n'est point abondante.

Le zèle infatigable de cette portion du clergé français qui cultive l'étude, tandis que les autres la négligent, n'en est que plus digne d'éloges. Seulement il me paraît que plusieurs de ces hommes honorables n'ont pas pris la voie la plus propre pour arriver à leur but. Je dirai franchement ce que je pense, et je ne serai point pour cela téméraire : car en ce qui touche au bien de la religion et de l'Eglise, il est permis à un catholique, quel que soit son pays, de manifester ses opinions, sans qu'on puisse raisonnablement le taxer de témérité et l'accuser de s'ingérer dans les affaires des autres. Je crois donc que plusieurs ecclésiastiques français se trompent en pensant qu'une littérature superficielle, telle qu'on l'aime aujourd'hui, peut être profitable à la religion; je crois donc que leurs fatigues seraient couronnées de plus de succès, s'ils les consacraient à des études plus solides et plus profondes, à des travaux plus vastes et plus en harmonie avec les besoins du siècle. Les deux tiers de ceux qui écrivent aujourd'hui perdent leur temps et leur talent dans les journaux. Ce n'est pas que je proscrive absolument ce genre de composition; j'estime même qu'un journal bien rédigé est utile à la science; et pour ne pas sortir des journaux ecclésiastiques, je n'ignore pas qu'en Italie et ailleurs, il s'en imprime plusieurs qui méritent de grands éloges. Mais en revanche, il en est qui veulent sortir de leurs limites natu

relles et devenir des livres; et ceux-là, loin d'être utiles, sont réellement nuisibles. Le journal doit aider à la science, il ne peut la contenir ni la faire; c'est un accessoire et non le principal. Il sert à faire connaître jour par jour les progrès. scientifiques; il est destiné, non pas à suppléer à la doctrine des livres, mais à la faciliter. Aussi, lorsque dans un pays il s'imprime peu de livres ou des livres médiocres, et que les écrits des journalistes sont plus nombreux, plus répandus et plus prônés que ceux des auteurs, alors on peut croire au déclin de la véritable science. Je pense donc qu'il n'est pas sage à ceux qui veulent réhabiliter les sciences religieuses d'en traiter dans les journaux, et de dissiper dans un pareil travail le talent qu'on y emploie. Au milieu d'un siècle léger comme le nôtre, quand la manie des publications périodiques est devenue universelle, et quand une foule d'individus s'appliquent à corrompre par ce moyen les cœurs et les esprits, il est certain que les bons journaux sont un antidote oppor tun; mais ils ne doivent pas, je le répète, remplacer les livres, ni se charger de l'enseignement le plus difficile et le plus élevé. Il est vrai que cette manie, la pire de toutes, a aussi envahi le domaine des lettres profanes. Au moyen de l'alchimie des journaux, on prétend enseigner toutes les sciences même les plus austères, et rendre ainsi superflus les livres les plus volumineux, sinon les bibliothèques tout entières. Les fauteurs du progrès espèrent que le temps n'est pas éloigné où l'on n'imprimera plus et on ne lira plus que des feuilles volantes. Mais ces beaux projets et ces riantes espérances devraient être laissés à la sagesse profane. C'est vous y prendre bien mal que de vouloir défendre la vérité et attaquer l'erreur à l'aide de ces moyens frivoles qui ont enfanté cette dernière. Laissez ces faibles armes aux ennemis de la religion, procurez-vous celles qui sont solides, celles qui seules sont à l'épreuve, et donnent la victoire dans les combats sérieux. La science doit être solide et forte, comme la reli

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