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Voulez-vous, Rois, corriger la fausse opinion des peuples? commencez par abjurer la vôtre. Reconnaissez que l'inviolabilité du pouvoir souverain et l'esclavage des sujets, que l'au→ torité civile et la monarchie absolue sont choses très-différentes. Favorisez la véritable science: c'est elle qui rendra les hommes vraiment libres, en les arrachant à l'empire des fausses préoccupations qui les tyrannisent; c'est elle qui leur montrera, comme une vérité palpable, que le bonheur des peuples et le bonheur des rois ont besoin l'un de l'autre. C'est là l'unique accord qui puisse mettre fin à ce long travail qui tourmente l'Europe depuis trois siècles. N'ayez peur : la science fortifiera les esprits, elle leur donnera la conscience d'eux-mêmes, elle les rachètera du joug de l'erreur, mais elle ne les rendra pas pour cela inquiets et turbulents. Ce n'est point la science qui produit ces résultats lamentables ; la science, et surtout la philosophie, en occupant utilement les esprits, en formant en eux l'habitude d'un jugement calme et sévère, en les accoutumant à rechercher les raisons des choses et leurs effets, à penser d'abord et à agir ensuite, à prendre conseil du passé et du présent quand il s'agit de pourvoir à l'avenir, la science, et surtout la philosophie éloignent ainsi les esprits des changements violents et imprévus, leur font préférer la voie de l'expérience, dirigent vers le bien l'ardeur de l'âge des passions, auquel elles impriment une précoce virilité. Platon disait que le meilleur des gouvernements serait celui que conduiraient les philosophes: sentence qu'on réfuterait difficilement, entendue au sens de ce sage éminent, qui parlait des philosophes anciens, et non pas de ceux de notre époque.

Si la vraie philosophie ne peut éveiller la jalousie des bons princes, elle ne doit pas non plus causer la moindre in quiétude raisonnable aux vrais amis de la religion. Et comment avoir un motif plausible de la craindre, puisqu'elle est fondée sur la religion même, et qu'elle ne peut sans elle,

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je ne dis pas durer et fleurir, mais subsister un seul instant. Et n'allez pas rétorquer la conséquence du raisonnement contre les prémisses. Il faut distinguer du caprice de philosopher, la philosophie et l'habitude vraiment philosophique. Le caprice de philosopher peut se tourner vers le bien et vers le mal, comme toute inclination spontanée du cœur humain; la philosophie et l'habitude vraiment philosophique ne peuvent jamais produire de mauvais fruits. Je vais même plus loin aujourd'hui le talent des études spéculatives peut être plus utile que dangereux à la cause de la religion; et voici pourquoi. Si, dans les siècles de foi fervente et de force morale, ce talent a quelquefois égaré les génies qui en ont abusé, et s'il les a menés à l'impiété ; dans des temps énervés comme le nôtre, au contraire, et quand les croyances religieuses sont éteintes ou affaiblies partout, ce même talent ne peut que ramener les esprits; et en effet, il en a fait revenir quelques-uns à la foi. L'homme se lasse et se dégoûte de l'erreur, et quand il en a parcouru le cercle dans son entier, il sait par expérience, et il savoure tristement le fruit amer qu'elle lui a donné. Alors il s'aperçoit qu'il s'est fourvoyé, et il désire retourner à la vérité. Pour cela, il se porte vers la philosophie, c'est-à-dire, vers l'usage de la raison; mais comme les systèmes qu'il a embrassés auparavant avec trop de confiance se démontrent faux par leurs résultats, il est disposé à essayer le sentier opposé, pour voir s'il pourra le conduire à son but. C'est ainsi que l'abus de la philosophie aplanit la voie à sa réforme, et favorise la restauration de la véritable science. Et voilà pourquoi Clément d'Alexandrie considérait la philosophie des païens comme une préparation au christianisme, et pourquoi aussi les sciences spéculatives peuvent être pareillement considérées aujourd'hui comme un retour vers ce même christianisme. Après une longue suite d'égarements, la fausse philosophie a expulsé l'idée de Dieu de la science humaine, et elle est de

venue intrinsèquement et substantiellement athée, bien que ceux qui la cultivent de bonne foi parlent encore de Dieu à chacune de leurs pages. La vraie philosophie a pour but de retrouver le Dieu scientifique, de réconcilier, au moyen de la science, les esprits avec la religion, et on peut la définir : la restauration de l'idée divine dans la science.

Comme la vraie philosophie est essentiellement religieuse, toute spéculation entachée d'impiété ne peut avoir de commun avec elle qu'un faux semblant et les vains titres dont elle se décore. Cela seul suffirait pour faire voir que la vraie et légitime manière de philosopher a presque disparu du monde ; pour montrer, que ce qui en porte aujourd'hui le nom en est le plus grand ennemi, puisque toute fausse science est une négation de la véritable, et le plus grand obstacle à sa conquête. Qu'y a-t-il de plus auguste et de plus respectable que la morale? elle est la sainteté même. Eh bien! de toutes les doctrines, il n'en est pas qui égale en bassesse et en turpitude l'éthique des égoïstes et des épicuriens. A l'ombre de la royauté et de la liberté civile unies, les gouvernements et les états sont forts et tranquilles, heureux, florissants; et d'autre part, le despotisme et la licence les détruisent. La littérature et les arts inspirés par le bon goût sont l'expression du beau dans sa perfection; mais peut-on faire le même éloge de ces mauvais poètes et de ces méchants artistes qui consacrent leurs études à idolâtrer l'idée du laid et du dif forme? Est-ce donc merveille que la sagesse moderne soit funeste et impie, quand elle anéantit la vraie sagesse, quand il y a entre elles le même rapport qu'entre la vertu et l'hypocrisie, l'imposture et la religion?

La religion doit être chère à tous les citoyens, mais elle doit l'être surtout aux membres du clergé, que leur noble ministère prépose à sa garde. Quand les philosophes fatiguaient leur langue et leur plume à blasphemer les choses saintes, nul ne doit s'étonner que le sacerdoce, ému de ce sacrilége

attentat, ait pu croire que la science en était complice; nul ne doit s'étonner qu'il ait vu comme des choses horribles ou suspectes les noms de philosophie et de philosophes. Mais maintenant que, d'une part, la fureur est apaisée, et que de l'autre, on a eu le temps de faire de plus mûres réflexions; maintenant qu'il appartient à la philosophie de renouveler lå religion dans ceux qui l'ont perdue, et aux hommes religieux de renouveler la philosophie; maintenant que les philosophes n'ont plus rien à démolir et ont beaucoup à édifier, il ne serait pas raisonnable que le clergé catholique persévérât à se montrer hostile ou défavorable aux sciences spéculatives. Il y a plus il est appelé à leur tendre la main, à les aider efficacement à se relever; il y est invité par son institution même, comme je le montrerai ailleurs. L'ouvrage que je publie aujourd'hui, je l'adresse donc spécialement à ceux de mes compatriotes qui se consacrent aux études ecclésiastiques et aux devoirs du sanctuaire. La philosophie n'a jamais été négligée du clergé italien, même aux époques les moins favorables à sa culture; et cette préoccupation excusable, dont je viens de dire un mot, a été beaucoup moindre chez nous que dans les autres contrées de l'Europe.

La modération et la prudence 'de notre sacerdoce est grande, car presque toujours il a évité les excès, il a su ne pas s'éloigner de la partie grave et sérieuse de la société, et aussi ne pas se mêler aux hommes frivoles et corrompus. Le prêtre italien (je parle en général), le prêtre italien n'est pas un ermite qui vive à part lui dans le temple ou dans la solitude. C'est un citoyen qui sait honorablement avoir commerce avec les hommes et aborder l'urbanité du siècle; on le voit dans les universités, dans les académies, dans les musées, dans les assemblées dont la dignité et la moralité ne sont pas absentes: on ne le cherche en vain que dans les lieux où ceux qui l'estiment ne désireraient pas le rencontrer. Et telle, à mon avis, doit être la vie du prêtre. Je ne

puis approuver l'opinion de ceux qui voudraient le voir séquestré de la société et renfermé entre les murs du temple. Le prêtre n'est pas un moine; il doit fraterniser avec ses concitoyens, autant que le comportent la décence et la sainteté de son ministère ; il doit jouir de l'autorité et de l'estime que concilient la vertu et la science, pour exercer sur les esprits cet empire utile aux mœurs et à la religion, le seul qui soit légitime, le seul qui soit noble, le seul digne des hommes de l'Eglise, le seul qu'approuve l'opinion publique, parce qu'il n'est point l'œuvre de l'usurpation ni le fruit de l'intrigue, mais l'hommage spontané de l'opinion publique elle-même. Et c'est à cette honorable participation de notre clergé à la vie publique, qu'il faut attribuer son amour pour les progrès de la civilisation et son zèle à y coopérer pour sa part, en restant toutefois dans les limites que lui assigne son rang. Je parle en général, sans prendre garde aux exceptions, qui, par bonheur, sont peu nombreuses. L'Italie (excepté peut-être une seule province), l'Italie n'a jamais vu et ne verra jamais, je l'espère, les pasteurs des âmes mentir à la dignité et à l'esprit du sacerdoce, pour défendre de vieux abus, mettre obstacle à de justes réformes, se faire intrigants, sophistes, factieux; pour ressusciter des institutions mortes, déclarer la guerre dans l'ordre civil au génie des temps, refuser de reconnaître les pouvoirs établis, approuver, louer, sanctifier, enflammer la fureur des discordes intestines, et mêler leur nom à des ceuvres de rébellion et de sang dont le seul souvenir épouvante. C'est avec douleur que je signale ces déplorables excès, parce que l'Eglise est la patrie de l'homme catholique, qui ressent, comme s'il les recevait lui-même, les coups portés à la moindre partie de ce corps immense; mais je trouve aussi quelque consolation à penser que de pareils excès n'ont point à faire rougir le clergé de ma nation.

La vertu, la science, le génie qui distinguèrent dès les premiers temps le clergé français, le rendirent dès-lors un des

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