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apprécier le mérite quand il est rare. Et il n'y aura que ce qu'ils ont de bon que nous ne voudrons pas imiter dans les Français, l'estime qu'ils portent aux hommes de talent, l'honneur de la patrie.

La première qualité du style est la clarté. Je me suis étudié à être clair autant que possible, et j'espère que nul ne me reprochera d'avoir manqué à ce devoir, pour ce qui est de l'élocution; car il n'était pas en mon pouvoir de faire cesser ou de diminuer l'obscurité propre au sujet. En outre, comme je n'écris pas un livre élémentaire, mais que j'expose un nouveau système philosophique, je suppose que le lecteur connait l'état actuel et les vicissitudes antérieures de la science. Je ne crois pas non plus qu'on puisse venir me faire un reproche de ma concision, comme d'un défaut de clarté; car un écrit concis ne devient obscur que pour ceux qui le parcourent, et non pour ceux qui le lisent attentivement. Quand on lit de cette dernière manière, je pense même que la concision, pourvu qu'elle ne soit pas séparée de la précision, importe beaucoup à la clarté, et qu'une prolixité verbeuse produit un effet tout contraire, l'obscurcissement des idées (12). J'ai dû me restreindre, non pas pour faire la satire de ce siècle parleur, ni des Aterius et des Tracali, rois de la mode, mais afin d'éviter les longueurs qu'aurait pu entraîner l'abondance des matières, et aussi afin d'être. du goût des lecteurs profonds, si ma bonne étoile m'en envoie quelqu'un 1. Je n'ai pas néanmoins évité les

1 Les écrivains utiles à la république des lettres peuvent se ramener à deux classes. La première se compose des auteurs qui veulent être utiles à la jeunesse. Ceux-là doivent tout expliquer, jusqu'aux termes élémentaires, exposer simplement les opinions d'autrui, en rapporter fidèlement toutes les raisons, soit pour s'appuyer sur elles, soit pour les réfuter; dans ce dessein, ils placeront sous les yeux quelqu'un de ces principes, ils en feront voir toutes les conséquences, ils en recueilleront jusqu'aux derniers corollaires. Ces auteurs sont ceux qui font de gros volumes; et quand on

répétitions, toutes les fois que je les ai crues absolument nécessaires à la clarté, et encore toutes les fois qu'il s'est agi de quelques considérations que j'estime très-importantes, et que j'ai cru pouvoir être répétées non sans fruit.

La seconde qualité qu'un auteur doit se proposer d'acquérir est la simplicité, sans laquelle il est même difficile d'avoir la première, la clarté ; car la recherche dans le style rend les idées fausses et obscures. La simplicité varie selon les divers genres de style, et le sujet qu'on traite règle le degré de simplicité que doit avoir la diction. Dans les compositions didactiques, tel qu'est en grande partie le livre que je publie, la simplicité doit être portée au plus haut degré : le style de ces compositions doit être uni, facile, naturel et exempt de tous les ornements qui ne conviendraient pas au ton ordinaire de la conversation. Je me suis attaché à être le plus simple possible, et j'ai visé surtout à la propriété des termes, qui constitue en grande partie cette élégance qu'on accorde, qu'on prescrit même au style didactique. Je n'ai point été à la recherche des fleurs et des artifices de rhétorique, suivant la mode actuelle, et cela, non parce que je ne l'ai pu, mais parce que je ne l'ai point voulu, je puis le dire sans témérité et sans arrogance: car ce qui s'appelle élégance', et même éloquence aujourd'hui, est un art que chacun peut apprendre, et qu'il est souvent moins facile d'éviter que d'excuser. Métaphores gauches, hyperboles outrées, images triviales, pointes, épigrammes, fracas, enflure,

les cite, il est permis d'omellre une foule de choses, je veux dire tout ce qui n'est pas d'eux. La seconde classe comprend les écrivains qui ne veulent pas augmenter les fatigues des savants, ni les obliger, pour lire le peu qu'ils ont fait d'eux-mêmes, à relire une foule de choses qu'ils ont déjà lues dans d'autres. Ceux-là publient quelques petits livres tout courts, mais tout pleins de choses qui leur sont propres. Mon but a été de faire partie de cette seconde classe : l'ai-je atteint, c'est aux savants d'en juger. (Vico, Œuvres lat, Milan, 1835, tom. 1, p. 102.)

bizarreries, fadeurs, caracoles, cabrioles, culbutes, mots tout-à-fait impropres, style surchargé d'ornements, figures dépourvues de toute justesse, diction poétique en prose et prosaïque en vers, c'est-à-dire prose rimée ou furibonde, telles sont les qualités qui valent à un auteur l'adoration et l'admiration de la foule. Le style simple, méprisé comme tel, d'abord, donne ensuite aux choses ainsi écrites une teinte commune et vulgaire, encore qu'elles soient originales et nobles; au point qu'on peut dire : aujourd'hui, en Italie, un bon style nuit beaucoup à la renommée. Quiconque veut demeurer dans l'obscurité, fera bien d'adopter un style simple, pur, exempt de toute affectation; d'employer cet art précieux qui ne se fait point remarquer; et pour peu que son euvre ait quelque prix d'ailleurs, il pourra la tenir pour morte avant sa naissance. Un exemple combien y a-t-il d'Italiens qui connaissent les lettres de Pamphile à Polyphile? et parmi ce petit nombre, combien peu les apprécient! Et pourtant ces lettres sont peut-être, pour le fond, Fouvrage le plus judicieux et le plus savant qui ait été publié, afin de revendiquer à la Toscane la juste possession et les origines de notre langue; et pour la forme, elles brillent au premier rang parmi les meilleurs ouvrages en prose italienne qu'ait produits notre siècle. On y trouve une simplicité qui égale tout ce qu'on peut imaginer de plus simple, un rare parfum d'atticisme, une facilité inimitable, et on peut leur appliquer ces paroles de Cicéron sur les Commentaires de César: « Nudi sunt, recti et venusti, omni ornatu orationis, tanquàm veste detracto. Sed dùm voluit alios habere parata, undè sumerent..... ineptis gratum fortasse fecit, qui volunt illa calamistris inurere; sanos quidem homines à scribendo deterruit . » Aussi n'est-ce pas merveille après cela d'entendre Tacite décerner à César, au trèssimple et négligé César, le titre de summus auctorum 2.

1 Brut., 75.

2 De mor. Germ., 28.

Mais s'il est permis de croire que peu d'hommes, au temps de Tacite, étaient de son avis sur l'auteur des Commentaires, il est permis de croire aussi qu'il en est de même aujourd'hui chez nous. Je ne sais si nous avons en Italie dix littérateurs capables de mesurer la hauteur d'un Biamonti, d'un Leopardi, écrivains merveilleux qui, au milieu du siècle le plus incorrect et le plus efféminé, savent reproduire dans leurs écrits une image de la forte et pure antiquité. L'usage moderne de transporter, dans la philosophie, une forme poétique et pompeuse, et d'en revêtir non-seulement les idées, mais encore le style, nous est venu de la France, qui l'a emprunté à l'Allemagne. Je ne prétends pas ici décider si ce genre est bon ou mauvais dans les langues teutoniques, dont le génie, qui se rapproche davantage du génie oriental, pourrait peut-être se prêter à de telles formes, fréquentes dans les idiomes des orientaux, et communes chez eux à tous les sujets. Mais ce qui est certain, c'est que ces formes sont tout-à-fait opposées au génie des langues dérivées du latin, et en particulier de la nôtre. Ecrire de la sorte en prose italienne, et surtout en traitant les matières scientifiques et philosophiques, c'est se rendre ridicule et insupportable à tous ceux qui n'ont pas perdu le sens. La simplicité, là clarté et la précision sont trois qualités essentielles du style scientifique. Ces concepts vagues, aériens, insaisissables, dont on ne peut ni dessiner les contours, ni faire ressortir le relief, qu'on ne peut exprimer clairement et distinctement, ni rendre par une formule nette et précise, tout cela est poésie, tout cela est étranger au domaine scientifique et doit en être éliminé. L'idée philosophique doit être nettement dessinée, elle doit être revêtue d'une carnation vivante, mise en relief, et montrée en face, et non pas seulement ébauchée comme les esquisses, ni présentée à demi ou entourée de vapeurs comme les profils et les lointains dans la peinture. Dante, dans ses écrits scientifiques, Cavalca, Passavanti, Machiavel, Gelli, Caro, Casa.

Castiglione, Speroni, Vettori, Bernard Segni, Marcel Adriani, le Tasse, Jean-Baptiste Doni, Galilée, Bartoli, Pallavicin, Redi, Spallanzani, Gravina, François - Marie Zanotti, Gaspard Gozzi et d'autres, qu'il serait trop long d'énumérer, nous ont laissé des modèles excellents, étonnants même quelquefois, d'un style didactique et scientifique qu'on peut fort bien transporter dans les matières philosophiques : dans ce style on ne voit pas l'ombre de l'élégance moderne ; mais ce qu'on y trouve presque toujours, c'est une admirable propriété dans les termes, et quelquefois c'est le gracieux atticisme, la noble urbanité des anciens, une odeur de ce divin parfum qu'on respire dans les écrits de Tullius et de Platon. Et tandis que vous avez dans votre patrie une telle abondance d'originaux exquis, vous irez chercher des modèles d'élocution philosophique chez les Allemands et les Français; comme si notre langue, si éloquente en tous les genres, pouvait être muette ou seulement balbutier devant les seules verités rationnelles? Et vous direz avec quelquesuns que cette langue ne peut se prêter aux doctrines scientifiques? qu'elle est incapable de cette éloquence si bien placée parfois dans les traités philosophiques et politiques? qu'elle n'a ni les mots ni les locutions propres ; qu'elle n'admet point la précision et la limpidité; qu'elle se refuse à la simplicité de l'allure analytique, tandis qu'elle se prête comme elle le veut, quand elle sait s'élever, au procédé de la synthèse? enfin qu'un idiome si puissant et si varié dans ses formes n'est pas susceptible de parvenir jusqu'aux qualités qu'on admire dans le français; qu'il mérite d'être banni des académies et des écoles, comme avant Alfieri, plusieurs voulaient qu'il fût banni de la scène tragique?

La pureté est la troisième qualité requise dans toute composition. Ce qui fait la pureté d'une langue, ce ne sont pas tant les mots et les phrases que leur contexture, le tour des expressions, la couleur générale de l'élocution, en un mot la

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