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formé en Italie, et il a imité les grands maîtres de la statuaire et du modelé italien.

NOTE 58, P. 332.

Différence entre les sociniens et les rationalistes modernes.

Les sociniens furent les prédécesseurs des modernes rationalistes d'Allemagne en chacun de ces trois points. Il n'y a entre les uns et les autres que des différences peu importantes, qu'on peut réduire à deux chefs. 1° Les rationalistes ont ajouté au concept socinien l'élaboration scientifique propre aux temps modernes en général, et en particulier à l'Allemagne : le rationalisme est la science dont le socinianisme est le catéchisme. 2° Parce qu'ils conservent toujours le génie de leur race, les rationalistes allemands sont en désaccord complet avec leur propre système. Poussés par une logique impitoyable, et arrivés aux dernières limites de l'incrédulité, ils voudraient reculer et sauver l'Idée du naufrage où se sont abîmées d'abord la hiérarchie et la tradition, et ensuite la Bible elle-même. Telle est l'origine de ces vaines tentatives dont le but a été de créer un christianisme rationnel, inconsistant, incapable de résister, je ne dis pas aux assauts, mais au souffle de la logique. Les incrédules à la française comme l'anonyme de Wolfenbüttel, sont rares en Germanie, et ils y obtiennent peu de crédit. Les anciens sociniens, au contraire, livrés pour la plupart aux affaires et aux plaisirs, corrompus et répandus dans la vie extérieure, se reposaient joyeusement et tranquillement dans leur flasque et débile déisme.

NOTE 59, P. 337.

Examen de l'opinion de Descartes sur son Cogito.

Parmi tous les points de la doctrine cartésienne, le plus fondamental, le plus important, le plus souvent répété par l'au

teur, est celui qui met la base de la vérité dans le sentiment de l'existence propre. Il ne faudrait pas en conclure pourtant que Descartes en eût une idée bien claire, ni que la doctrine contenue dans ses divers ouvrages fût toujours sur ce point en parfait accord avec elle-même. S'il en était ainsi, ce serait un miracle par trop surprenant, et il répugne à une tête aussi illogique et aussi éventée que la sienne. Aussi lui est-il arrivé en cela la même chose que dans les autres parties de son système. Il formula dans le principe sa maxime d'une manière absolue, sans la peser, sans en mesurer les conséquences; mais bientôt les objections qu'elle lui suscita de la part de certains esprits bien meilleurs que lui pour la plupart, le forcèrent de reculer et de modifier son opinion. Vous pourrez juger, cher lecteur, avec quelle adresse, quelle sagacité et quelle logique il l'a fait, si vous avez la patience de lire vous-même la polémique cartésienne, que je me suis étudié à recueillir et à resserrer en quelques pages pour la mettre sous vos yeux dans cette note.

« Je suis, j'existe, cela est certain 1. Il faut conclure et te>nir pour constant que cette proposition je suis, j'existe, est » nécessairement vraie 2. Il est très-certain que la connais»sance de mon être, ainsi précisément pris, ne dépend point >> des choses dont l'existence ne m'est pas encore connue ; » par conséquent elle ne dépend d'aucune de celles que je puis >> feindre par mon imagination 3. » Tel est le principe fonda. mental établi par Descartes en ces passages, comme indépendant de toute autre connaissance, comme autonome, évident et légitime par lui-même. Il ne soupçonne pas néanmoins : 1° que le sentiment de sa propre existence ne peut être pensé sans une idée générale et abstraite; 2° que toute idée générale et abstraite présuppose une idée universelle et concrète ; 3° que l'idée universelle et concrète étant celle de Dieu, il s'ensuit que c'est en Dieu et non dans le sentiment de sa propre existence

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qu'il faut placer la première vérité, et par conséquent, que la première idée dans l'ordre de la science est identique à la première chose dans l'ordre de la réalité.

Une autre réflexion qui se présente plus naturellement à l'esprit a pourtant encore échappé à la pénétration de Descartes. Dans ses premières Méditations, où il établit son principe et l'appuie sur le doute universel, il se met de prime-abord à argumenter, à s'appuyer sur des idées générales, à faire des jugements et des syllogismes, sans s'apercevoir que toutes ces opérations répugnent à sa méthode. Car, comment peut-on admettre et employer des idées générales, quand on a révoqué en doute jusqu'aux vérités mathématiques, quand on restreint la certitude à un fait purement individuel ? Ou bien encore, comment peut-on, sans idées générales, formuler des jugements et des syllogismes ? Comment raisonner sans reconnaître la valeur des règles du raisonnement, sans croire à la logique, sans s'appuyer sur la parole, et par conséquent sans avoir foi au langage, à l'existence des autres hommes et du monde matériel, sans beaucoup discourir? Mais cette difficulté ne gêna nullement l'esprit de Descartes, car il ne la soupçonna pas même ; et il professe dès ses premiers pas une haine si prononcée contre le raisonnement, dont il fait pourtant un usage continuel, qu'il ne veut pas que son aphorisme fondamental soit entaché de ce défaut. En effet, voici comme il répond aux objections qu'on lui fait : «En disant : Je pense, donc je suis, l'auteur des instances >> veut que je suppose cette majeure : celui qui pense est. . . . . >> Cet auteur suppose que la connaissance des propositions par»ticulières doit toujours être déduite des universelles, selon » l'ordre des syllogismes de la dialectique; en quoi il montre sa» voir bien peu de quelle façon la vérité se doit chercher car >> il est certain que pour la trouver, on doit toujours commen» cer par les notions particulières, pour venir après aux gé» nérales, bien qu'on puisse aussi réciproquement, ayant » trouvé les générales, en déduire d'autres particulières. Ainsi » quand on enseigne à un enfant les éléments de la géométrie, » on ne lui fera point entendre en général, que lorsque de deux

» qualités égales, on ôte des parties égales, les restes demeurent » égaux ou que le tout est plus grand que ses parties, si on ne lui en >> montre des exemples en des cas particuliers 1. » Et ailleurs : « Quand nous apercevons que nous sommes des choses qui » pensent, c'est une première notion qui n'est tirée d'aucun » syllogisme ; et lorsque quelqu'un dit: Je pense, donc je suis ou » j'existe, il ne conclut pas son existence de sa pensée comme » par la force de quelque syllogisme, mais comme une chose >> connue de soi; 'il la voit par une simple inspection de l'es>> prit; comme il paraît de ce que s'il la déduisait d'un syllo» gisme, il aurait dû auparavant connaître cette majeure : tout Ꭰ ce qui pense, est ou existe; mais au contraire elle lui est enseiDgnée de ce qu'il sent en lui-même qu'il ne se peut pas faire qu'il » pense s'il n'existe. Car c'est le propre de notre esprit de for» mer les propositions générales de la connaissance des par»ticulières 2. » Spinosa, dans son exposition des principes cartésiens, interprète de la même manière la maxime de son maître « Notandum hanc orationem dubito, cogito, ergo sum, » non esse syllogismum, in quo maior propositio est omissa. » Nam si syllogismus esset, præmissæ clariores et notiores de>>berent esse quam ipsa conclusio: ergo sum: adeoque ego sum » non esset primum omnis cognitionis fundamentum; præter» quam quod non esset certa conclusio; nam ejus veritas de» penderet ab universalibus præmissis, quas dudum in du>> bium auctor revocaverat : ideoque cogito, ergo sum unica » est propositio, quæ huic ego sum cogitans æquivalet 3. »

Dans une lettre à Clerselier, notre philosophe explique clairement le sens dans lequel il prend le Cogito, comme première vérité ou premier principe : « Le mot de principe se peut rendre » en divers sens, et c'est autre chose de chercher une notion » commune, qui soit si claire et si générale, qu'elle puisse ser

1 Cuv., tom. 11, p. 305, 306.

2 Ibid., t. 1, p. 426, 427.

3 SPINOZA, Desc. princ. phil. more geom. dem., part. 1. Paulus, Jenæ, 1802, tom. 1, p. 4, 5.

Oper., ed.

» vir de principe pour prouver l'existence de tous les êtres, les » entia, qu'on connaîtra par après; et autre chose de cher» cher un être, l'existence dùquel nous soit plus connue que >> celle d'aucuns autres, en sorte qu'elle nous puisse servir de » principe pour les connaître. Au premier sens on peut dire » que impossibile est idem simul esse et non esse est un principe, » et qu'il peut généralement servir, non pas proprement à >> faire connaître l'existence d'aucune chose, mais seulement » à faire que lorsqu'on la connaît, on en confirme la vérité par >> un tel raisonnement: il est impossible que ce qui est ne soit » pas; or je connais que telle chose est; donc je connais qu'il » est impossible qu'elle ne soit pas. Ce qui est de bien peu d'im>>portance et ne nous rend de rien plus savants. En l'autre sens, >> le premier principe est que notre âme existe, à cause qu'il n'y » a rien dont l'existence soit plus notoire. J'ajoute aussi que ce » n'est pas une condition qu'on doive requérir au premier prin»cipe que d'être tel que toutes les autres propositions se puis> sent réduire et prouver par lui; c'est assez qu'il puisse ser>> vir à en trouver plusieurs et qu'il n'y en ait point d'autre dont » il dépende, ni qu'on puisse plutôt trouver que lui. Car il se >> peut faire qu'il n'y a point au monde aucun principe auquel >> seul toutes les choses se pussent réduire ; et la façon dont on >> réduit les autres propositions à celle-ci: impossibile est idem » simul esse et non esse, est superflue et de nul usage; au lieu » que c'est avec très-grande utilité qu'on commence à s'assurer » de l'existence de Dieu, et ensuite de celle de toutes les autres » créatures, par la considération de sa propre existence 1. » Disons d'abord que Descartes aurait été fort embarrassé, si quelqu'un lui avait demandé de quel principe il faut déduire les vérités impossibles à tirer de celle qu'il établit comme la seule fondamentale, puisque, de son propre aveu, il faudrait en ce cas admettre plusieurs principes. Mais ce qu'il nous importe surtout de remarquer ici, c'est le fait de l'existence individuelle donné comme le premier principe générateur des autres vé

1 Œuv., t. ix, p. 442, 443.

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