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paroles, celles-ci: « Si des mots qui ne signifient rien que par >> l'institution des hommes, suffisent pour nous faire concevoir » des choses avec lesquelles ils n'ont aucune ressemblance, » pourquoi la nature ne pourra-t-elle pas aussi avoir établi cer»tain signe qui nous fasse avoir le sentiment de la lumière, bien » que ce signe n'ait rien en soi qui soit semblable à ce senti>> ment 1? » Si ces paroles ont quelque sens, elles veulent dire que les choses sont signes des sentiments, et non pas que les sentiments sont signes des choses. Or quel idéaliste a jamais osé en dire autant? Mais Descartes est réaliste et philosophe mécanicien; il fait consister dans l'étendue l'essence des corps. Que veut-il donc dire dans ce traité, en nous parlant d'un sentiment dont les choses sont le signe ?

NOTE 40, P. 259.

Passage de Leibniz sur le lien qui unit la pensée à la parole.

Que le langage soit nécessaire à l'exercice de la pensée, c'est ce qu'ont signalé plusieurs écrivains modernes, parmi lesquels de Bonald mérite une mention particulière. Mais ce qu'on ignore communément, c'est que Leibniz avait déjà vu clairement cette nécessité du langage, qui d'ailleurs n'avait pas échappé aux anciens, et spécialement à Platon. Voici le fragment d'un dialogue de Leibniz, où ce philosophe la fait nettement ressortir :

« B. Cogitationes fieri possunt sine vocabulis. A. At non sine » aliis signis. Tenta quæso an ullum arithmeticum calculum in>> stituere possis sine signis numeralibus? (Cum Deus calculat el » cogitationem exercet, fit mundus.) B. Valde me perturbas, » neque enim putabam characteres vel signa ad ratiocinan

1 Le Monde, ou Traité de la lumière, chap. 1. OEuv., Paris, 1824, tom. IV, p. 216.

» dum tam necessaria esse. A. Ergo veritates arithmeticæ ali» qua signa seu characteres supponunt? B. Fatendum est. A. » Ergo pendent ab hominum arbitrio? B. Videris me quasi >> præstigiis quibusdam cicumvenire. A. Non mea hæc sunt, >> sed ingeniosi admodum scriptoris. B. Adeo ne quisquam a » bona mente discedere potest, ut sibi persuadeat veritatem >> esse arbitrariam et a nominibus pendere, cum tamen constet >> eamdem esse Græcorum, Latinorum, Germanorum, geome» triam. A. Recte ais. Interea difficultati satisfaciendum est. » B. Hoc unum me male habet, quod nunquam a me ullam ve>> ritatem agnosci, inveniri, probari animadverto, nisi voca>> bulis vel aliis signis in animo adhibitis. A. Imo si characteres » abessent, nunquam quicquam distincte cogitaremus, neque >> ratiocinaremur. B. At quando figuras geometria inspicimus, » sæpe ex accurata eorum meditatione veritates eruimus. A. Ita >> est; sed sciendum etiam has figuras habendas pro characte» ribus, neque enim circulus in charta descriptus verus est cir>>culus, neque id opus est, sed sufficit eum a nobis pro circulo >> haberi. B. Habet tamen similitudinem quamdam cum circulo, >> eaque certe arbitraria non est. A. Fateor, ideoque utilis>> simæ characterum sunt figuræ. Sed quam similitudinem >> esse putas inter denarium et characterem 10? B. Est aliqua >> relatio seu ordo in characteribus, qui in rebus, imprimis si >> characteres sint bene inventi. A. Esto; sed quam similitudi»> nem cum rebus habent ipsa prima elementa, verbi gratia » O cum nihilo, vel A cum linea ? Cogeris ergo admittere sal>> tem in his elementis nulla opus esse similitudine. Exempli » causa in lucis aut ferendi vocabulo, tametsi compositum Lu»cifer relationem ad lucis et ferendi vocabula habeat responden >>tem, quam habet res Lucifero significata, ad rem vocabulis » lucis et ferendi significatam? . . . B. Hoc tamen animad>> verto, si characteres ad ratiocinandum adhiberi possint, in » illis aliquem esse situm complexum ordinem, qui rebus con» venit, si non in singulis vocibus (quanquam et hoc melius fo»ret). Saltem in eadem conjunctione et flexu, et hunc ordinem

variatum quidem in omnibus linguis, quodammodo respon

» dere. Atque hoc mihi spem facit exeundi e difficultate. Nam et>> si characteres sint arbitrarii, eorum tamen usus et connexio ha>> bet quiddam quod non est arbitrarium, scilicet proportionem » quamdam inter characteres et res et diversorum characteDrum, easdem res exprimentium, relationes inter se. Et hæc >> proportio sive relatio est fundamentum veritatis. Efficit enim >> ut sive hos sive alios characteres adhibeamus, idem semper » sive æquivalens seu proportione respondens prodeat, tamet» si forte aliquos semper characteres adhiberi necesse sit ad co» gitandum. A. Euge præclare admodum te expediisti. Idque > confirmat calculus analyticus arithmeticusve. Nam in numeris > eodem semper modo res succedet, sive denaria, sive ut qui» dam fecere, duodenaria progressione utaris, et postea quod » diversimodo calculis explicasti, in granulis, aliave materia » numerabili exsequaris; semper enim idem provenit 1. »

NOTE 41, p. 261.

Sur la base ontologique de la véracité.

Cette union intime de l'Idée avec la parole est la base ontologique du précepte moral et absolu de la véracité humaine. En ef fet, comme le signe est l'impression naturelle de l'Idée sous lequel elle passe de l'état d'intuition à l'état de réflexion ; comme, en outre, l'Idée a dans l'origine inventé et enseigné ce signe, s'ensuit que le mensonge, quelles que soient les circonstances qui l'accompagnent et le but pour lequel on le fait, est intrinsèquement contraire à l'ordre idéal, et en conséquence, vicieux et illicite. Les Pythagoriciens avaient pressenti la sainteté de la parole, quand ils réduisaient leur morale à l'égard des hommes à deux devoirs suprêmes la véracité et la bienfaisance. Le

1 Dial. de connex. inter res et verba. p. 509, 510, 511.

OEuv. philos., éd. Raspe,

christianisme a mis hors de doute le caractère absolu de ce précepte; personne n'ignore sur ce point la belle doctrine de saint Augustin. L'Eglise catholique (à l'exception de quelque obscur et impur casuiste) a constamment suivi la même ligne de conduite; jamais elle n'a admis de distinction entre dire le faux et mentir; jamais elle n'a légitimé le premier de ces deux actes, comme l'ont fait les moralistes protestants et les philosophes rationalistes. Il est pourtant parmi ceux-ci quelques honorables exceptions. Citons Emmanuel Kant, qui a rougi d'introduire parmi les nations chrétiennes une doctrine contre laquelle s'est révolté le bon sens de plusieurs peuples païens.

NOTE 42, P. 287.

Indivisibilité morale du Pape et de l'Eglise.

Dans l'homme individuellement pris, l'âme jointe aux organes constitue la personne et représente l'Idée, à laquelle elle est étroitement unie par le moyen de l'intuition. Pareillement, le pape, qui est la personnification de l'Eglise, représente l'idée humanisée, c'est-à-dire, le Verbe fait homme, auquel remonte l'autorité pontificale par le moyen de la mission légitime des successeurs de Pierre ; Pierre a entendu la parole de l'Idée humanisée et parlante, comme l'âme humaine perçoit par l'intuition l'Idée intellectuelle. Le pape et l'Eglise sont deux choses inséparables, et ils sont l'un à l'autre ce que la tête est aux membres, l'âme au corps, l'un au multiple, le centre à la circonférence, et ils se supposent réciproquement. Ce n'est pas du pape que découle, comme d'une source, le pouvoir des évêques ; ce n'est pas non plus de l'Eglise que dérive le pouvoir du pape ; tous deux proviennent du principe commun, et concourent à former un seul tout organisé. Aussi peut-on dire avec une égale vérité : le pape est dans l'Eglise et l'Eglise dans le pape, comme on peut affirmer que l'âme est dans le corps et le corps dans l'âme. Et cette

existence de l'un dans l'autre est réciproque, parce que le pape et l'Eglise coexistent dans le Verbe humanisé, c'est-à-dire, dans le Christ, et c'est de lui qu'ils tiennent toutes leurs prérogatives. L'infaillibilité, espèce d'écoulement surnaturel de l'Idée, est le privilége de ce vaste ensemble. Et comme l'organisme du même ensemble résulte de l'union du chef avec les membres et de l'âme avec le corps, demander si le privilége en question se trouve séparément dans chacune des deux parties, c'est supposer que l'une, isolée, peut avoir cette valeur morale qui résulte de la composition organique des deux. L'Eglise est aussi nécessaire pour faire le pape que le pape pour faire l'Eglise, et chacun des membres de cette dualité perd son être, dès que vous lui enlevez sa corrélation avec l'autre ; il en est d'eux alors comme de l'homme, qui périt quand on sépare les organes et l'âme, parties intégrantes de la nature humaine. Je ne fais ici que signaler en courant quelques idées qui, à mon sens, peuvent être développées et prouvées par les principes de la théologie la plus sévère; je crois de plus qu'elles sont propres, à terminer à l'amiable le vieux procès des gallicans et des partisans de l'opinion contraire.

NOTE 43, P. 289.

Sur la mutabilité de la vérité, d'après les pantheistes.

L'Eglise est une société destinée à représenter visiblement parmi les hommes l'immutabilité de l'Idée. Plusieurs anciens protestants, et entre autres Jurieu, essayèrent d'enlever à la foi catholique ce précieux privilége de l'immutabilité; mais l'impossibilité de l'entreprise la fit bientôt abandonner. Pour sauver les droits de l'erreur, on se mit à soutenir que le changement est le propre du vrai, et que le faux seul jouit de la qualité contraire. Pour ennoblir cette étrange doctrine, on eut recours à l'artifice ordinaire de ceux qui défendent l'erreur,

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