Page images
PDF
EPUB

dans le christianisme de cet empire moral, qu'un bon pasteur exerce dans un diocèse ou dans une paroisse. C'est dans ce sens, selon moi, qu'il faut entendre les paroles des papes eux-mêmes, quand ils déclaraient avoir reçu de Dieu leur pouvoir civil, comme portion ou comme dépendance du rang éminent qu'ils occupaient dans l'Eglise. En effet, en faisant le pape chef idéal du genre humain, Dieu lui donna naturellement tous les pouvoirs qui devaient successivement se développer et passer en acte, avec le concours des conditions extérieures nécessaires pour les actualiser; entre ces conditions, le consentement respectif des diverses souverainetés nationales suffisait pour mettre en acte l'arbitrage civil du monde. Il faut remarquer, en effet, que cet arbitrage dont l'Europe est aujourd'hui privée et hors duquel les nations se trouvent en état d'hostilité réciproque, ne peut résider d'une manière stable dans aucun gouvernement ou chez un prince séculier, parce que pouvant être parties intéressées, les gouvernements et les princes ne peuvent être bons arbitres. Cet arbitrage ne peut donc être confié qu'à un homme doué d'une force morale immense, et privé de forces matérielles correspondantes, comme est le pape. Celui-ci, comme chef idéal, est la plus grande autorité qui soit sur la terre, et par raison naturelle non moins que par voie surnaturelle, il a reçu de la Providence l'investiture de cette souveraine et pacifique autorité.

De plus, le pape étant le propagateur et le conservateur suprême de l'Idée, d'où dérive toute l'organisation civile des peuples au moyen du langage, il doit, sous un autre rapport, être regardé comme le chef civil des nations, leur commandant non par la force des armes, mais par celle de la parole. La parole est le lien qui unit l'intelligible au sensible, l'esprit à la matière, le droit spirituel au temporel, et par elle, le pouvoir purement spirituel du sacerdoce peut avoir une influence morale dans le monde civil. Cette idée de la suprématie idéale du sacerdoce, s'exerçant au moyen de la parole, et organisant par elle la société civile, donna la suprématie dans le gouvernement à la classe sacerdotale, durant la première période du

régime des castes. L'arbitrage du pape, qui résumait en sa personne tout le sacerdoce, était une conséquence des actions du sacerdoce, fondateur et civilisateur des nations; conséquence nécessaire pour l'Europe du moyen-âge, comme pour les temps primitifs, et qui possédait les avantages du régime des castes, sans en avoir les inconvénients. Telle est l'idée juste que nous devons nous faire de l'autorité civile exercée par les papes durant le moyen-âge. Cette idée n'est pas moins éloignée de l'opinion gallicane que des théories de certains exagérateurs modernes, tels que de Maistre et Lamennais, qui s'occupèrent de cette question avec plus d'esprit que de jugement.

Les recherches de cette nature auraient de l'importance, même quand elles n'auraient qu'un but historique et doctrinal; mais elles peuvent avoir un but utile, même aujourd'hui, parce qu'il est utile de ne pas oublier que le droit d'arbitrage civil est inséparable du pontificat chrétien. L'exercice de cet arbitrage comme de tous les autres, dépend du consentement des parties, c'est-à-dire, des différentes souverainetés nationales; mais il est inaltérable dans sa source. Si les divisions religieuses de l'Europe, l'hérésie, le schisme, l'incrédulité, qui dominent dans la plus grande partie de ce pays, rendent maintenant l'arbitrage pontifical impossible, le cas pourrait se produire où les Italiens essaieraient de le rétablir en quelque sorte. Depuis fort longtemps l'Autriche s'efforce, par tous les moyens d'une politique occulte et criminelle, d'étendre son domaine en Italie, et d'absorber tous les pays des environs du Pô, depuis le Vesolo jusqu'à l'Adriatique. Les légations sont la première proie qu'elle convoite et sur laquelle se jetteront avidement, à la première occasion, les serres impériales. Or, je ne crois pas que quelles que soient leurs opinions politiques, les bons Italiens puissent hésiter un instant entre un antique gouvernement italien et un joug nouveau et barbare, entre une monarchie nationale et une tyrannie d'outre-monts. La liberté est une belle chose, mais l'indépendance nationale est bien meilleure encore; l'une met le comble à la félicité d'un peuple, l'autre lui donne le nom, l'être et la vic. Aussi, un sentiment doit réunir toutes

les opinions, la haine politique contre la domination autrichienne et impériale; et comme à la haine il faut opposer l'amour, quel principe pourra resserrer et mettre en harmonie les cœurs de tous les Italiens, sinon cette paternité douce et sacrée du pontife romain, aussi vieille que le christianisme, pour ainsi dire, et adorée par toutes les populations chrétiennes, malgré l'impiété et la froideur des temps? Peut-être le moment n'est-il pas bien éloigné où tout ce qui a des sentiments d'homme, devra se serrer autour du pasteur vénéré, pour préserver et pour défendre de la frauduleuse rapacité de Vienne les belles provinces situées entre l'Adriatique et l'Apennin, en employant la puissance morale et religieuse de la papauté à délivrer la Péninsule de l'oppression étrangère.

Car ils se trompent grandement, et ils pleureront un jour amèrement, mais sans remède, leur aveugle confiance, ceux qui croient que l'aigle autrichienne n'aspire pas à enlever bientôt quelque nouveau lambeau de l'Italie, jusqu'à ce qu'elle l'ait dévorée tout entière. Ces sentiments ne me sont point particuliers, je l'espère; ils sont ceux de tous les sages et loyaux enfants de l'ltalie, et il faut les répéter, les inculquer, pour que la génération qui grandit en profite, et se prémunisse contre les sophismes de quelques écrivains, adulateurs impudents du joug autrichien, apostats éhontés de l'honneur et du nom de l'Italie.

NOTE 31, P. 195.

Eloge et critique de C. Botta.

[ocr errors]

Dans sa dernière histoire 1 Charles Botta croit le gouvernement représentatif inapplicable en Italie, entre autres raisons, parce que les parlements et les orangers sont incompa

1 Lib. L. V. aussi St. d'Ital. dal. 1789 al. 1814, lib. xxvi, xxvII.

tibles. Les autres raisons sont de la même force; aussi serait-ce perdre le temps que de le réfuter, comme d'examiner son tribunat composé d'un petit nombre d'individus, trois peut-être, mais pas plus de cinq ou sept, qu'il regarde comme une garde suffisante pour la liberté des nations. Tout ce raisonnement est si faible, qu'il inspire vraiment de la pitié pour l'auteur, et que l'on voudrait pouvoir l'effacer pour l'honneur d'un homme qui par son éloquence a bien mérité de la commune patrie. Un coup d'œil jeté sur notre histoire suffit pour convaincre que les parlements sont en Italie contemporains des orangers, s'ils ne les y ont pas précédés; et que si, selon la doctrine d'Aristote !, l'antique se rapproche du naturel, il n'y a aucun pays où le gouvernement populaire (qui diffère beaucoup du plébéien) soit plus naturel que dans notre péninsule. En effet, quelque haut que l'on remonte dans l'histoire, on trouve l'Italie remplie d'états libres et d'assemblées de citoyens; et même, si l'on excepte les trois derniers siècles (depuis que deux conquérants, Charles-Quint, d'abord, et Napoléon ensuite, eurent entièrement étouffé les dernières étincelles de la liberté de l'Italie), on peut dire que le gouvernement libre fut perpétuel chez nous, et que dans tous les temps, les Italiens furent leurs maîtres. Si l'on parle ensuite du gouvernement représentatif en particulier, on voit que loin de pouvoir être regardé comme étranger à l'Italie, il y fleurit sous diverses formes pendant plusieurs siècles, comme dans tout le reste de l'Europe. Aussi c'est se tromper beaucoup que de croire cette forme de gouvernement d'invention anglaise ou germanique. Elle n'est au contraire pas plus anglaise qu'espagnole ou sicilienne, et elle naquit spontanément et presque d'une manière simultanée dans les différentes provinces de l'Europe, aussitôt que la société catholique, ayant dompté les barbares, put organiser de nouvelles formes civiles en leur imprimant la sienne propre. Certainement, en louant Emmanuel-Philibert d'avoir supprimé les états généraux de Sa

1 ARISTOTE, Rhétorique, liv. 11, 9.

voie, au lieu de les améliorer, Botta ne pouvait regarder comme favorable à l'Italie cette organisation qui la rendit libre, grande, puissante et enviée dans les siècles passés. Au reste, ce n'est pas le seul point où il se soit écarté de la vérité et où il ait violé les lois de la critique sévère et de la sévère histoire. Il est à regretter que l'annaliste de l'Italie n'ait pas répondu sous quelques rapports à ce que promettaient son excellent caractère et sa loyauté d'homme privé, et à ce que tout le monde attendait de celui dont le crayon franc et candide avait représenté l'indépendance américaine. Certainement, s'il avait mis dans le récit des vicissitudes de l'Italie la sincérité avec laquelle il raconta les entreprises de Washington; si, au lieu de se montrer favorable aux dynasties régnantes et rude seulement pour celles qui ne sont plus, il avait été sévère et juste également pour toutes, il n'aurait point obenu les croix, les pensions et les faveurs de quelques princes, mais en échange il aurait mérité ces éloges que les rois ne peuvent donner, mais que les contemporains et la postérité accordent à l'historien véridique et au citoyen libre.

Je ne voudrais pas cependant que de ces censures quelqu'un conclût que je ne reconnais pas aux dernières histoires de Botta plusieurs qualités éminentes, même sous le rapport des doctrines qu'il y professe. L'amour pour la patrie, celui de l'indépendance nationale de l'Italie, la haine et le mépris pour les imitations étrangères, la condamnation des persécutions religieuses, l'aversion pour toute espèce de despotisme, populaire, monarchique ou féodal, de généreux dédains et de l'horreur pour l'injustice, la tyrannie, les excès, le sang, la trahison, les actions viles ou inhumaines, quel que soit le manteau dont elles se couvrent, l'éloge de la vertu même humble et négligée, et de l'héroïsme malheureux, l'amour pour les lettres et pour les sciences, en somme, tous les sentiments nobles et magnanimes dont l'auteur est rempli, et qu'il rend souvent avec une élégante et nerveuse éloquence, tout cela est digne de beau

1 Lib. XIV.

« PreviousContinue »