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seigne ailleurs comment, pour l'ordinaire, un peuple se fait la quais 1. Mais ce vice est aujourd'hui plus ou moins commun à tous les peuples de l'Europe; c'est un des points sur lesquels nous différons le plus des anciens, et cela doit causer quelques embarras aux partisans du progrès continu.

NOTE 23, P. 160.

Sur certains restaurateurs des joûtes et des tournois.

Comme il arrive aux auteurs des institutions prêtes à périr de perdre la tête et de tomber en enfance, quand ils voient les premières annonces de leur ruine, il y a aujourd'hui des hommes qui voudraient remettre en vogue les joûtes et les tournois. En 1839, pendant que les chartistes mettaient à feu et à sang quelques parties de l'Angleterre, que plusieurs milliers d'ouvriers manquaient de pain, une foule de nobles, enfants ou redevenus enfants, se divertissaient à Eglington à courir des lances, et à renouveler les farces chevaleresques du moyenâge, sans oublier the queen of beauty 2 ? Quelque sévérité que l'on veuille montrer à notre siècle d'industrie et de mercantilisme, il faut avouer cependant que les chemins de fer et les machines à vapeur sont plus utiles que les lices et les tournois.

NOTE 24, P. 160.

Passage de Leibniz sur l'abjection morale des modernes.

Leibniz, avec cette vaste et profonde pénétration qui embrassait toute chose, annonça d'avance la révolution française, l'affaiblissement des esprits, la prostration des àmes, le

1 Livret de Paul-Louis, tom. 1, p. 286.

2 La reine de beauté.

règne de l'égoïsme, la perte de la vertu civile, de tout sentiment généreux et magnanime, comme effets nécessaires du sensualisme et de l'incrédulité qui commençaient à prévaloir de son temps. On lira volontiers ce passage prophétique de ses œuvres : « On peut dire qu'Epicure et Spinosa, par exemple, » ont mené une vie tout à fait exemplaire. Mais ces raisons > cessent le plus souvent dans leurs disciples ou imitateurs,

qui, se croyant déchargés de l'importune crainte d'une pro>>vidence surveillante et d'un avenir menaçant, lâchent la » bride à leurs passions brutales, et tournent leur esprit à sé» duire et à corrompre les autres; et s'ils sont ambitieux et d'un » naturel un peu dur, ils seront capables, pour leur plaisir ou » avancement, de mettre le feu aux quatre coins de la terre, » comme j'en ai connu de cette trempe que la mort a enlevés. » Je trouve même que des opinions approchantes s'insinuent » peu à peu dans l'esprit des hommes du grand monde qui » règlent les autres, et dont dépendent les affaires, et se glissant » dans les livres à la mode, disposent toutes choses à la révo»lution générale dont l'Europe est menacée, et achèvent de » détruire ce qui reste encore dans le monde, de sentiments D généreux des anciens Grecs et Romains, qui préféraient » l'amour de la patrie et du bien public, et le soin de la posté» rité, à la fortune et même à la vie. Ces publick spirits, comme » les Anglais les appellent, diminuent extrêmement, et ne sont » plus à la mode; et ils cesseront davantage, quand ils cesse»ront à être soutenus par la bonne morale et par la vraie re»ligion que la raison naturelle même nous enseigne. Les meil>> leurs du caractère opposé qui commence de régner, n'ont plus » d'autre principe que celui qu'ils appellent de l'honneur. Mais la » marque de l'honnête homme et de l'homme d'honneur, chez Deux, est seulement de ne faire aucune bassesse comme ils la » prennent. Et si, pour la grandeur ou par caprice, quelqu'un » versait un déluge de sang, s'il renversait tout sens dessus » dessous, on compterait cela pour rien, et un Erostrate des >> anciens temps, ou un Don Juan dans le festin de Pierre, passe>>rait pour un héros. On se moque hautement de l'amour de la

D

» patrie, on tourne en ridicule ceux qui ont soin du public, et » quand quelque homme bien intentionné parle de ce que de>> viendra la postérité, on répond: Alors, comme alors. Mais >> il pourra arriver à ces personnes d'éprouver elles-mêmes les >> maux qu'elles croient réservés à d'autres. Si l'on se corrige >> encore de cette maladie d'esprit épidémique, dont les mau» vais effets commencent à être visibles, ces maux, peut-être, >> seront prévenus; mais si elle va croissant, la Providence » corrigera les hommes par la révolution même qui en doit » naître car, quoi qu'il puisse arriver, tout tournera toujours >> pour le mieux, en général, au bout du compte, quoique cela >> ne doive et ne puisse pas arriver sans le châtiment de >> ceux qui ont contribué même au bien par leurs actions mau» vaises 1. »>

NOTE 25, P. 168.

Sur la patrie de Napoléon.

Je compte Napoléon parmi les Italiens, parce que, moralement et géographiquement, la Corse a toujours appartenu à l'lalie, et parce que, politiquement, elle n'avait jamais (que je sache) fait partie de la France, depuis le déluge jusque vers l'époque de la naissance de Napoléon 2. Selon les doctrines géographiques françaises, cela n'est peut-être point vrai; mais il n'y a rien à répliquer, en admettant celles qui sont reçues dans le reste de l'Europe; car un Corse issu d'une très-antique famille italienne ne peut pas plus être regardé comme Français, qu'on ne peut considérer comme Anglais les Brahmanes de Surate ou

1 Nouv. ess. sur l'entend. hum., liv. iv, chap. 16.-OEuv. phil, édit. Raspe, p. 429, 430. J'ai suivi l'orthographe de Raspe.

2 Suivant une tradition que, du reste, je ne veux point examiner, Napoléon serait né un an avant que la Corse ne tombât sous la domination française.

de Bénarès, et comme Espagnols les Indiens du Pérou ou du Mexique, nés dans l'année même que Cortez et que Pizarre s'emparèrent de Tenoctitlan et de Cuzco. Les Parisiens sont d'un autre avis, et ils donnent à la Corse le nom de France; ce qui est aussi vrai que d'appeler la Méditerranée un lac français (et pourquoi pas un puits ou une citerne?) comme le disait, si je me rappelle bien, Napoléon lui-même, pour flatter la jactance française.

NOTE 26, P. 169.

Fragment de M. Cousin, sur la bataille de Waterloo.

A propos de la chute de Napoléon et de la fameuse journée qui mit fin à son empire, je régalerai mes lecteurs d'un délicieux passage de M. Cousin, emprunté à ses leçons : « Vous le » savez, ce ne sont pas les populations qui paraissent sur les >> champs de bataille, ce sont les idées, ce sont les causes. » Ainsi, à Leipsick et à Waterloo, ce sont deux causes qui se » sont rencontrées, celle de la monarchie paternelle et celle de » la démocratie militaire. Qui l'a emporté, Messieurs? ni l'une » ni l'autre. Qui a été le vainqueur? qui a été le vaincu à Wa>> terloo? Messieurs, il n'y a pas eu de vaincus. (Applaudisse»ments.) Non, je proteste qu'il n'y en a pas eu les seuls » vainqueurs ont été la civilisation européenne et la charte. (Applaudissements unanimes et prolongés.) Oui, Messieurs, » c'est la charte...., appelée à la domination en France, et » destinée à soumettre, je ne dis pas ses ennemis, elle n'en a » pas, elle n'en a plus, mais tous les retardataires de la civi

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lisation française. (Applaudissements redoublés 1.) » Je reconnais que dans tous les comiques anciens et modernes, il y a

1 Introd. à l'hist. de la phil., leç. 13.

peu de scènes aussi dramatiques que ce monologue, et le choeur qui l'accompagne.

NOTE 27, P. 169.

Sur certains louangeurs de Napoléon.

Un jeune homme de bon naturel, très-abondamment pourvu de cette frivolité, de cette vanité puérile qui manquait à son oncle, a cru pouvoir prouver que les peuples refont aujourd'hui, ou veulent refaire l'oeuvre de Napoléon. Je ne crois pas que quelque dégénérés et corrompus que soient les peuples, on puisse les accuser de complicité avec le plus cruel et le plus implacable ennemi de la civilisation des nations qu'ait jamais vu le monde. Je dis le plus cruel, parce que tous les conquérants anciens et modernes, depuis Brennus et Genseric jusqu'à Louis XIV et Charles XII, ne songèrent, dans leurs destructions et leurs ravages, qu'aux parties matérielles et, pour ainsi dire, au corps des états; au lieu que Napoléon en voulut auéantir l'esprit, et il y serait parvenu, si la Providence n'y avait mis la main. Si son empire avait pu se consolider, avant deux siècles, la barbarie morale de l'Europe aurait surpassé celle des anciens Huns, et les amateurs de la liberté auraient dù l'aller chercher sur les rives de l'Euphrate ou du Nil. Attila, qui rendait hommage à la divine indépendance du christianisme dans la majesté du pontife romain, et qui pardonnait en sa faveur à l'Italie, nous fut moins funeste à nous en particulier et à la civilisation en général, que cet Italien qui, par un double parricide, voulut rendre esclaves de la France la religion et la patrie. Je n'ignore pas que ces idées ne sont plus de mode, et qu'il est d'usage de le louer aujourd'hui comme, il y a quinze ans, la coutume était de le blâmer, et de lui dénier (chose souverainement ridicule) même le génie. Mais je ne crois pas que chacun soit tenu de changer d'opinions, comme on change, par exemple, de vêtements. Que les Français, avides de dominer,

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