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choses bonnes et utiles, qu'ils sont pleins d'inepties et de niaiseries. Si l'on parle de tous les livres, cela est faux; pour une grande partie, je l'accorde. Notre littérature est vraiment stérile, avilie. Elle est presque entièrement desséchée dans les têtes italiennes, la veine de l'invention et de la fécondité. Mais depuis quand? Depuis que nous avons perdu l'indépendance nationale, depuis que nous avons commencé à servir l'étranger. Il nous faudrait aujourd'hui nous persuader que la fécondité du génie dérive des mêmes causes qui enfantent la grandeur politique d'une nation, nous persuader qu'un peuple civilement esclave ne peut être moralement libre ni penser par lui-même. La foi religieuse et la vigueur du génie philosophique dépendent de la force d'âme, et la force d'âme permet difficilement qu'une nation soit subjuguée et morcelée par les barbares. Mais, d'autre part, une nation morcelée et opprimée ne peut espérer de reconquérir et de conserver son unité et son indépendance, si elle ne recouvre pas l'énergie morale, si elle n'entreprend pas de se procurer, par sa propre industrie, ces nobles aliments dont se nourrissent l'esprit et le cœur. Je croirai à l'accomplissement de la rédemption civile de l'Italie, quand je la verrai en possession d'une philosophic et d'une littérature qui lui soient vraiment propres ; quand je la verrai soigneuse et passionnée pour la culture de sa langue (8), de ses arts, de ses richesses intellectuelles; quand je la verrai catholique et fière de posséder le siége de la religion et la gloire du pontificat chrétien. Tant qu'ils vénérèrent la majesté du sénat, les anciens Romains furent libres au-dedans, et au-dehors maîtres du monde; mais dès qu'ils commencèrent à mépriser cette paternité civile, ils tombèrent sous le joug impérial, pour de là passer sous celui des Barbares. Les Italiens du moyen-âge virent tout fleurir, liberté, commerce, arts, lettres, armes, et ils eurent de la gloire tant qu'ils s'inclinèrent devant la paternité spirituelle du premier citoyen de l'Italie; mais dès qu'ils l'eurent méprisée, la

servitude arriva. Les anciens Gibelins furent la cause principale de la ruine de l'Italie; les modernes Gibelins, sans le vouloir et sans le savoir, continuent l'œuvre des premiers. Et qu'on ne m'objecte pas ici les défauts des hommes: je n'ai pas égard aux hommes, mais aux institutions; ceux-là passent et changent, celles-ci durent et sont immortelles. Voulez-vous réparer ces fautes? Commencez à embrasser les institutions, à les vénérer, à les protéger avec l'ardeur de la charité et de la foi; faites que la vie morale, la vie de l'esprit circule de nouveau dans le grand corps national, et vous verrez les membres les plus nobles participer au mouvement universel, devenir plus beaux et pleins de vitalité. Comment peutil se faire que quand le corps est atteint de léthargie, la tête parfois ne languisse pas? Arrachez-vous à l'erreur, c'est l'unique voie de rédemption : le salut de l'Italie ne peut venir d'ailleurs que de Rome. Par un décret éternel de la Providence, Rome a reçu pour son lot d'être la métropole et la dominatrice du monde : l'ancienne république, l'ancien empire préparèrent la voie à l'unité cosmopolite du pontificat. Tel était le but, tels furent les moyens. Quiconque n'est pas capable de cette grande vérité, n'a point d'yeux pour lire l'histoire. Mais savez-vous d'où dépend la force de Rome, même dans les affaires civiles? De l'obéissance de ses enfants. Crescenzio, Arnaud de Brescia, Nicolas de Lorenzo, François Baroncelli, Etienne Porcari voulurent opérer la restauration de Rome en ressuscitant un fantôme de liberté païenne, et ils périrent. Et leur entreprise ne pouvait avoir d'autre issue: restaurer Rome chrétienne en renouvelant les institutions du paganisme, était un anachronisme trop énorme. Voulez-vous l'union de l'Italie? voulez-vous la soustraire aux déchirements de la tyrannie intérieure, à l'ignominie du joug étranger? Délivrez-la d'abord du joug des fausses opinions, réunissezla dans la profession de la foi sainte de la vérité; commencez par répudier ces folles théories d'une liberté licencieuse, mère

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du despotisme, théories nées de la félonie de Luther, et qui ont grandi par les soins des sophistes d'Angleterre et de France 1. Si vous consacrez ces funestes doctrines, au lieu de les abattre et de les déraciner, est-il étonnant que l'autorité conservatrice de la vérité se montre hostile à vos desseins? La sagesse dont le chef de l'Eglise a donné l'exemple il y a peu d'années, en rejetant un pernicieux conseil, pourrait sembler douteuse à certains hommes, si le malheureux conseiller n'avait pris lui-même la peine de la justifier et d'instruire le monde par le travers le plus inouï dont ce siècle ait été le témoin. L'erreur d'un grand nombre consiste à croire que la vie peut venir des membres seuls, sans le concours et l'influence de la tête. La vie, c'est-à-dire, la liberté, la puissance, l'union, la civilisation d'un peuple, dépend de la vigueur de son esprit ; et la vigueur spirituelle de l'individu, de l'état, de la société entière, a ses racines dans la religion. La rédemption de l'Italie, je le répète, doit venir principalement de cette foi qui a dans Rome son siége suprême. Mais si l'on croit qu'elle doive venir de Paris, et qu'on colporte de là ces pauvres idées, dont on veut nourrir l'intelligence et le goût italien, notre infamie sera éternelle. Eh! mon Dieu, de quelle valeur sont donc ces idées dont les gallomanes inondent la péninsule? Quel suc, quel nerf y a-t-il dans les compositions littéraires et philosophiques qui sortent de leur école ? Quand on lit ces misères, les paroles manquent pour exprimer la honte et la douleur à qui conserve une étincelle de l'esprit antique. Ne nous plaignons donc pas de manquer d'idées, quand on va, pour en avoir, puiser à une source si bourbeuse. Cessons donc de nous étonner si le petit nombre de ceux qui parmi nous méritent le nom de penseurs, ont horreur de s'abreuver aux sources françaises. Quel est le

1 Je prie le lecteur impatient de ne pas s'irriter de mes assertions ; je les prouverai dans le cours de l'ouvrage.

plus grand, je dirai mieux, l'unique philosophe italien du siècle passé? Jean-Baptiste Vico, qui seul, ou presque seul parmi les penseurs ses contemporains, se préserva de la contagion française et sut penser en enfant de l'Italie. Quel est, pour la sublimité des pensées, la vigueur des sentiments, la dignité de la vie, la constance et la force d'àme, le plus grand poète du même siècle, le seul qui ne soit pas au-dessous du nom italien, et le plus digne de reposer dans l'église Sainte-Croix auprès d'Alighieri? Victor Alfieri, le plus illustre adversaire des Français depuis Dante, Jules II et Machiavel. De cette hauteur, descendons dans les régions inférieures de la littérature et des sciences, et cherchons les noms qui ont le mieux mérité de l'Italie. Qui rencontrons-nous? Gravina, Metastase, Goldoni, Gaspar Gozzi, Maffei, Marini, Muratori, Tiraboschi, Zanotti, Parini, et quelques autres; or ils furent tous entièrement à l'abri de l'influence française, ou ils en furent moins infectés que leurs contemporains, et seulement autant que l'exigeaient les nécessités du temps et de la fortune.

Il ne faut pas croire pour cela que je sois injuste à l'égard des Français, en leur refusant les éloges qui leur sont dus, ni que je fasse injure à ceux qui les louent autant qu'ils sont vraiment louables. Ennemi, comme je le suis, de toute exagération, je crois qu'il y a du bon et du trèsbon dans tous les pays; je crois qu'il y en a en France, bien que pour l'ordinaire ce ne soit pas ce qu'on y cherche. Je n'attaque pas ici les hommes sages qui savent tirer parti des exemples, distinguer les vertus d'autrui de ses vices, et imiter ces dernières sans se dépouiller de leur propre personnalité. Je crie contre ces Italiens bâtards qui foulent aux pieds leur patrie, tandis qu'ils appellent Paris la capitale du monde civilisé; qui élèvent jusqu'au ciel les inepties qu'on y débite en littérature, en philosophie, en politique, en religion; qui n'admirent que les biens des autres, sans connaitre

les leurs et sans en avoir souci; qui préfèrent aux joyaux et aux richesses domestiques les guenilles des étrangers. Ceuxlà sont des niais, qui s'amusent avec des enfants et se croient des hommes; des aveugles qui s'imaginent être voisins de l'âge d'or, et ne voient pas que l'Italie est sur le point de tomber dans une barbarie plus ténébreuse, plus incurable, plus horrible que celle du moyen-âge. Mais comment persuader de pareilles gens, comment même s'en faire écouter? On peut suppléer au manque de savoir par l'instruction; on ne peut remédier à la médiocrité du génie, à la basse trivialité des pensées, à la trempe mesquine et vulgaire des sentiments. Il y a, et il y aura toujours une foule de gens (et toute la foule est ainsi) pour qui tout talent, tout mérite, toute vertu, toute grandeur consistera à faire du bruit (9). Cette classe d'hommes aime par-dessus tout le fracas, et ils ressemblent aux paysans qui donnent la palme de l'éloquence à celui qui a une plus grande vigueur de poumons et qui crie le plus fort. Et vraiment, si les progrès de la civilisation doivent se mesurer sur l'exercice de la langue et des oreilles, on ne peut refuser à nos voisins le privilége d'avoir beaucoup progressé, car le fracas que font les Français depuis un siècle, assourdit et met en rumeur tous les peuples civilisés. Leur influence est universelle et trèsefficace; ouí, et personne ne le nie, mais elle ne s'exerce que pour détruire. Religion, morale, littérature, langue, l'influence française corrompt tout, altère tout, anéantit tout dans le • monde civilisé; et si c'est à cela que vous faites allusion, quand vous appelez Paris la métropole de la civilisation universelle, personne ne peut vous contredire. On ne peut vous répondre qu'une chose : c'est que la civilisation n'est pas du négatif : elle édifie et ne renverse pas; elle ne se plaît point dans les ruines son œuvre est la même que celle de l'architecte qui ne fait point consister son art à démanteler les anciens édifices, mais à les restaurer et à les rendre parfaits.

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