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blasphêmes, et qui rappelle à la mémoire le style forcené qui réjouissait si fort, au dernier siècle, les ennemis de la religion. Ainsi, par exemple, en parlant du Dieu de la Bible, l'auteur s'exprime en ces termes : « Ce misérable Jéhovah, qui joue » avec les peuples sur la terre comme un joueur d'échecs avec » des rois et des pions sur un échiquier 1. » Et en parlant à un poète catholique : « O grand poète! philosophe malgré vous, D vous avez bien raison de maudire ce Dieu que l'Eglise vous » a donné 2.» Je ne parle pas du ton, digne de Luther, avec lequel on parle du pape, non plus que d'une ignoble insulte adressée à un homme qui jouit de l'estime et du respect universel. Certainement, Silvio Pellico, ce prodige de générosité et d'innocence dans un siècle vil et corrompu, regardera comme un honneur les injures d'une plume blasphématrice et accoutumée à faire rougir par ses écrits les hommes qui ont des mœurs. Mais ce qu'il importe de faire remarquer, c'est qu'on voit renaître une manière d'écrire naguère passée de mode, et regardée comme indigne de tout homme bien élevé. D'où vient ce changement? De la vitalité tenace de la religion. Dans ces derniers temps, on lui épargnait les injures, parce qu'on la tenait pour morte; aujourd'hui, on recommence à frapper sur elle, parce qu'on a reconnu qu'elle vit encore et qu'elle peut reprendre son ancienne vigueur au sein de notre civilisation moderne. Si on la regardait véritablement comme usée, ainsi que plusieurs vont le répétant sans y croire, on en parlerait d'une autre façon; car il n'est pas dans la nature des races humaines, même chez les hommes les plus dépravés, d'insulter aux vaincus. Pour nous, sans approuver les blasphemes, nous acceptons l'augure, et nous le regardons comme plus que fondé. Nous croyons que la religion doit s'attendre à un redoublement de mépris et d'attaques furieuses, précisément parce qu'elle commence à renaître, et nous ne serions pas étonné si, de la part des littérateurs vraiment plébéiens, le siècle ne finis

1 Revue des Deux-Mondes, p. 630.

2 Ibid. Ce poète, c'est Mickiewicz. (N. d. T.)

sait par une démence plus grande que celle par laquelle il a commencé.

NOTE 7, P. 37.

Aux ennemis des subtilités.

Il y a une certaine classe de lecteurs qui ne peuvent supporter la moindre discussion métaphysique, et qui croient la réfuter, la réduire à néant d'une façon toute laconique, en s'écriant avec dédain: subtilités! Je ne sais trop si ces gens-là, en leur qualité d'ennemis de la métaphysique, seraient en état de donner une définition nette et exacte du subtil, surtout en ce qui ne concerne pas les corps. Pour ma part, je ne pense pas que cette qualité fasse tort par elle-même à ce que l'on dit, et j'estime le subtil, quand il est vrai, préférable au faux, bien que pour l'ordinaire, celui-ci soit assez lourd. Si des choses matérielles on peut conclure aux spirituelles, il me semble que les entités subtiles n'ont point à rougir, et que la science qui en traite n'est point une niaiserie; il me semble, par exemple, que les fluides impondérables, qui, vraisemblablement, doivent être très-subtils, sont plus importants dans la constitution de l'univers réel, et par conséquent d'un plus grand prix dans l'ordre de la connaissance, que beaucoup d'autres objets de la nature, beaucoup plus matériels et plus apparents. Je ne crois pas que l'on veuille placer l'art du menuisier ou du laboureur, avant les théories scientifiques de la chimie, de l'optique et de la mécanique, qui reposent sur des calculs, des expériences et des investigations très-subtiles. Aussi, je crois que, généralement parlant, la subtilité l'emporte dans tous les genres sur la grossièreté, sauf, peut-être, dans les choses de l'esprit, et sur ce point, je m'en rapporte à mes habiles censeurs. Ceux qui accusent les philosophes de trop subtiliser, devraient blâmer également ceux qui agissent sur les corps, afin de parvenir à la connaissance

des éléments de ces derniers, comme les philosophes agissent sur les choses immatérielles. La philosophie est en partie une sorte de chimie intellectuelle, aussi réelle, aussi fondée sur la nature que la science qui enseigne la division et la composition des corps. Il est vrai que, comme, durant le moyen-âge, on vit fleurir une fausse chimie qui se perdait dans les chimères; de même, à cette époque et dans les temps plus modernes, quelques personnes adoptèrent un art trompeur de subtiliser et de rêver en philosophie. L'exemple en vint des scotistes, au moyen-âge; et de nos jours, des idéologues modernes. Mais la philosophie de ces derniers est aussi éloignée de la véritable, que la science des alchimistes diffère de la véritable chimie. Aussi, mes savants critiques me permettront-ils d'apprécier les concepts psychologiques et métaphysiques, conformes à la vérité, quelque subtils qu'ils soient, quoiqu'ils ne se laissent ni voir, ni palper, qu'ils ne soient ni un alambic, ni un télégraphe, ni une machine à vapeur, ni un chemin de fer, ni un billet de banque, la chose du monde la plus solide et la plus substantielle sans contredit. S'ils ne veulent point de mon sentiment, et qu'ils préfèrent les choses matérielles, je les engage à laisser là la lecture de ce livre, ou plutôt à l'échanger contre quelque autre traitant de matières plus savoureuses et plus palpables, comme serait, par exemple, un habile traité sur le sucre de betteraves, ou un ingénieux mémoire sur la culture des pommes de terre.

NOTE 8, P. 41.

Sur la langue et l'éloquence française.

Il est curieux d'entendre comment un Italien de génie sublime, le créateur de la philologie philosophique, parlait des qualités et des défauts de la langue française, il y a plus d'un siècle, en 1708, alors qu'une grande partie des écrivains français du siècle précédent vivaient encore, et que la cendre de tous

les autres n'était point encore refroidie. « Galli substantiæ voca> bulis abundant : substantia autem a se bruta et immobilis, nec > comparationis est patiens. Quare nec sententias inflammare, » quod sine motu, et quidem vehementi non fit; nec amplifi» care et exaggerare quicquam possunt. Indidem verba inver>> tere nequeunt : quia, cum substantia summum sit genus >> rerum, nihil medium substernit, in quo similitudinum ex>> trema conveniant et uniantur. Quamobrem metaphoræ in >> ejus generis nominibus uno vocabulo fieri non possunt; et >> quæ duobus fiunt, ut plurimum duræ sunt. Ad hæc, oratio>> nis ambitum conati, nihil ultra membra præstiterunt : nec >> ampliores versus, quam quos dicunt Alexandrinos, fundunt : » qui et ipsi, præter quam quod distrophi sunt, cum præterea >> singuli sententias claudant, et bini similiter desinant; qua» rum rerum altera omnem minuit amplitudinem, altera allevat » gravitatem; sunt inertiores tenuioresque elegiacis. Duas >> duntaxat voculationum sedes, ultimam et penultimam ha>> bent: et ubi nos ab ultima tertiam acuimus, ii accentum et pe>> nultimam transferunt: quod nescio quid tenue et subtile so»nat: quibus rebus ii nec amplis periodis, nec grandibus >> numeris apti sunt. Sed ut eadem lingua omnis sublimis, or» natique dicendi caracteris impos, sic tenuis patientissima >> est. Cum enim substantiæ vocabulis scateat, atque iis ipsis » quæ substantias, ut scholæ dicunt, abstractas significant, re>> rum semper summa perstringit. Quare didascalico dicendi >> generi aptissima est; quia artes scientiæque summa rerum >> genera persequuntur. Atque hinc factum, ut ubi nos nostros » oratores laudamus, quod diserte, explicate, eloquenter di» cant; ii laudent suos, quod vera cogitarint. Et quum hanc >> mentis virtutem distracta celeriter, apte et feliciter uniendi, » quæ nobis ingenium dicitur, appellare volunt, spiritum di>> cunt : et mentis vim quæ compositione existit, re simplicissima »> notant : quod subtilissimæ eorum mentes non compositione, >> sed tenuitate cogitationum excellant. Quare si ejus disputa» tionis, summis dignæ philosophis, illa pars vera est: linguis » ingenia, non linguas ingeniis formari; hanc novam criticam

>> quæ tota spiritualis videtur, et analysim, quæ matheseos » subjectum, quantum ex se est, omni prorsus corpulentia » exuit, uni in orbe terrarum Galli vi suæ subtilissimæ linguæ » excogitare potuerunt. Cum hæc igitur omnia ita sint, elo» quentiam suæ linguæ parem ab una sententiarum veritate, >> tenuitateque, et deducta ordinis virtute commendant 1. D Vient ensuite, et comme pour contraste, un court éloge de la langue italienne. Vico dit encore un mot du français dans la seconde Science nouvelle 2; il fait remarquer également l'aptitude de cet idiome pour l'analyse, son peu de conformité avec la synthèse, et il conclut que ces sortes de langues subtiles, mais impuissantes et énervées, appartiennent proprement à ceux qui, étant très-déliés dans leur manière de penser, sont inhabiles à tout grand travail.

Il est une autre qualité de la langue française, entièrement fondée sur le génie et sur le caractère de la nation qui parle cette langue, et dont Vico ne dit rien : c'est une certaine légèreté présomptueuse, un penchant à l'exagération et aux hyperboles, qui se manifeste dans les métaphores les plus usuelles aussi bien que dans toutes les parties et dans le coloris de l'élocution 3. Qu'on prenne pour exemple les tropes français les plus communs, les plus vulgarisés par l'usage, et l'on verra qu'ils surpassent le plus souvent en hardiesse les expressions figurées qui se rencontrent dans toutes les langues de l'Europe, et spécialement en italien. De là il résulte encore que chez les Français, sans excepter même leurs grands orateurs et leurs grands écrivains, l'expression dit bien plus en apparence qu'en réalité ; les mots, la phrase, la figure dépassent presque toujours l'idée que l'on exprime. Vous vous apercevrez que, contrairement à ce qui a lieu chez les autres peuples, et notamment chez les anciens écrivains de la Grèce ou de l'Italie, l'orateur ou l'écrivain en sait ou en pense moins qu'il ne paraît en penser ou en savoir.

1 Vico, De nost. temp. stud. rat., oper. lat., tom. 1, p. 20, 21.

2 Lib. 1, Degli elementi, 21. — Op. ed. Milano 1836. T. v, p. 100, 101. 2 Ce n'est pas là l'exagération dont parle Vico.

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