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disent

en tenant compte de ses premiers écrits. Je cite ce jugement, parce qu'il peut faire connaître quelle est la valeur des appréciations des auteurs de l'encyclopédie nouvelle, dans les matières philosophiques. Il faut peut-être un peu plus d'érudition pour se rendre compte de leur jugement sur la philosophie de saint Bonaventure. « Il ne cherche pas, »ils, le fondement de sa foi dans l'ontologie pure, comme » saint Thomas 1. » Saint Bonaventure, malgré la négligence des historiens à son égard, est un des philosophes les plus éminents du moyen-âge, et il excelle surtout comme grand ontologue, comme plus grand ontologue encore que saint Thomas. Mais nos compilateurs sont délicieux surtout dans les sciences théologiques. Si vous avez la patience de les lire, vous apprendrez que les objections faites contre le récit mosaïque, au sujet de l'arche, sont insolubles 2; que le déluge ne peut être universel, parce que les eaux de l'Océan ne sauraient atteindre à la hauteur des montagnes 3; que dans le cas contraire, il n'y aurait plus « aucune garantie dans ce monde pour les établisse» ments, auxquels nous mettons tant de peine et de travail, » et que les testaments de l'esprit seraient exposés à périr comme ceux de la richesse 4 perte véritablement déplorable, surtout s'il s'agit des testaments encyclopédiques que l'on rédige dans ce siècle, et qui sont sûrs de durer éternellement, à moins qu'il n'arrive un nouveau déluge. Vous apprendrez que le christianisme naquit du mariage (je cite littéralement) du dogme oriental avec la philosophie grecque 5. (Strauss 6 luimême n'a point osé donner ce sentiment comme fondé); que, « on est étonné de toutes les racines que le christianisme avait » déjà lorsqu'il commença à prendre son nom; on est surpris de

1 Art, Bonaventure, tom. II, p. 786.

2 Art. Arche, t. I, pag. 763.

3 Art. Déluge, livrais. 25, p. 261, 262, 263. 4 Art. Anté-diluviens, tom. 1, p. 601, 602. 5 Art. Alexandre, lom. 1, p. 264.

6 Vie de Jésus, trad. par Littré, Paris, 1839, sect. 1, chapitre 5, § 41.

tom. 1, part. 1, p. 337.

> voir que le paganisme lui-même lui à servi de berceau; on » est dans l'admiration en comprenant que cette religion, si nou» velle en apparence, fut la réalisation et la conséquence de ce » que la philosophie avait enseigné de plus élevé sur la nature » divine 1. » (Le lecteur sera plutôt étonné de voir que l'on fasse naître le christianisme du paganisme, au lieu de considérer celui-ci comme une dégénération de celui-là.) Que « la » pensée chrétienne, la pensée initiale, et pour ainsi dire plas» tique du christianisme,» appartient à l'arianisme non moins qu'au Catholicisme, quoique les Ariens niassent la divinité du Verbe, et qu'ils eussent établi une religion différente de la religion catholique 2; que saint Athanase et saint Augustin furent les fondateurs du catholicisme; que jusqu'au milieu du ïvo siècle, le dogme chrétien n'avait pas d'unité; que saint Athanase établit solidement la divinité du Christ, et le dogme d'un Dieu en trois personnes; que saint Augustin et le christianisme furent presque manichéens; que le dogme du péché originel est un manichéisme chrétien; et que l'opinion catholique et celle de Manès, « c'est > absolument la même chose, du moins quant à l'existence du mal » et à l'empire qu'il exerce sur la terre 3, » (Et que diraient ces habiles théologiens, si je leur démontrais, comme on peut le faire de la manière la plus rigoureuse, que sans le dogme du péché originel, le véritable manichéisme est inévitable?) Que la formule chrétienne « de Dieu le père et de Dieu le fils..... veut » dire la fatalité règne dans la création, ou, pour employer les » termes mystiques, dans le sein de Dieu le Père; mais le règne » de l'intelligence viendra, et la fatalité sera vaincue 4; » que Luther nia la présence réelle 5; que cependant « Luther... en» tendait les mystères du christianisme aussi catholiquement que

1 Art. Arianisme, tom. 1, p. 811.

2 Art. Arianisme, tom. 1, p. 820, 821.

3 Art. Athanase, Augustin, tom. 11, p. 191, 252.

4 Art. Arminianisme, tom. 11, p. 61. Il faut lire toute cette page, si l'on veut avoir une idée des inepties que peut débiter un philosophe sur les dogmes religieux quand il ne les connait pas.

5 Art. Bérenger, t. II, p. 610, 611.

» Bossuet 1; » que Bossuet sacrifiait sans façon beaucoup de pratiques du catholicisme aux protestants; qu'il fit une œuvre de protestantisme; qu'il était au fond atteint et pénétré de protestan tisme 2; que le protestantisme doit être loué, parce qu'il délivra le monde de cette épouvantable tyrannie du culte des saints qui faisait mépriser la terre et toutes les réputations de la terre 3; que le christianisme épuisé n'a pu résoudre les problèmes... et de qui? De P. Bayle 4; que le concile de Nicée ne savait pas l'astronomie, parce qu'il fait descendre le Christ aux enfers, et monter au ciel; que les astronomes modernes ont la gloire d'avoir ruiné de fond en comble ce fabuleux édifice 5; que dans les premiers conciles, les évêques n'étaient autre chose que les représentants du peuple, et que le synode de Nicée fut une véritable assemblée constituante, une véritable convention 6; que tout individu, dans l'avenir (quand l'idéal descendra sur la terre), sera pour soi-même pape et empereur, et cela est si vrai, que l'auteur croit le voir écrit en haut, sur des colonnes de bronze 7,

1 Art. Bossuet, tom. 11, p. 824.

2 Ibid. p. 822, 823, 824. L'abbé Bergier fut plus malheureux encore; car, outre qu'il était aux trois quarts protestant et philosophe comme on l'était de son temps, c'est-à-dire, incrédule, il défendait le christianisme et le catholicisme sans les entendre (Art. Bergier, tom. 11, p.615). Pauvre abbé! Quant à Bossuet, les auteurs de l'Encyclopédie nouvelle ont copié sur son compte le jugement de Joseph de Maistre, qui découvrit le premier le protestantisme de la plus grande lumière moderne de l'église gallicane. L'argutie fit fortune, et beaucoup la répétèrent. J'ajouterai en passant que les philosophes de l'Encyclopédie nouvelle, qui n'inventent guère, même dans l'erreur, ont beaucoup emprunté à de Maistre, écrivain très-paradoxal, plu tot amateur de philosophie et d'érudition que vraiment érudit et philosophe; digne d'éloges en quelques parties, méritant le blame en quelques autres; mais avec ses erreurs et ses défauts, il est encore un véritable géant à côté de ces pygmées de toutes sortes qui depuis dix ou quinze ans se ses dépouilles.

3 Art. Canonisation, tom. 111, p. 219.

4 Art. Bayle, tom. II, p. 519.

5 Art. Ciel, tom. 111, p. 604.

Ibid., p. 728. Art. Culte, livrais. 26, p. 160.

7 Art. Conciles, tom. 11, p. 714.

partagent

etc., etc. Mais en voilà assez pour donner au lecteur un échantillon de l'encyclopédie nouvelle. Si ces petits morceaux lui font venir l'eau à la bouche, il peut aller à la source même pour s'y abreuver. Pour moi, je ne crois pas qu'il soit à propos, je l'avoue (hors le cas de nécessité), de rompre une lance contre de tels champions, armés d'une critique étrange et aussi formidable; aussi, excusera-t-on du moins mon silence.

D

Pour y suppléer, avant de finir cette longue note, je régalerai le lecteur d'un petit extrait de l'encyclopédie nouvelle, qui donne l'idée d'une réjouissante imagination. « Voilà trois siècles » qui se sont passés, dit un des illustres compilateurs, sans que » le christianisme ait convoqué un seul concile, et aujourd'hui, » un concile orthodoxe de tous les évêques et docteurs du » christianisme serait presque aussi en arrière de l'état de la » science et de la foi humaine, qu'un concile des pontifes de » l'Egypte ou des prêtres de Jupiter, s'il était possible d'en ras» sembler un 1. » Qu'aucun catholique ne s'indigne à ces paroles ou qu'il ne fasse point observer que, quand même les pasteurs catholiques seraient aussi ignorants des sciences humaines qu'il plaît au docte encyclopédiste de le supposer, un concile ne serait ni absurde, ni ridicule, puisqu'il n'aurait à s'appuyer, en matière de dogmes, que sur les traditions constantes et perpétuelles de l'Eglise ; en parlant de la sorte, il montrerait qu'il n'a point compris le sens profond de l'encyclopédie nouvelle. En effet, au moyen de leur alchimie de mythes et de symboles, nos encyclopédistes trouvent sous les dogmes chrétiens les plus beaux secrets du monde, et en touchant, pour ainsi dire, la religion de leur baguette magique, ils la font devenir ce qu'il leur plaît. Aussi, je ne m'étonnerais pas s'ils réussissaient à prouver, par exemple, que les pères de Nicée ont résolu quelque problème de trigonométrie à propos de la Trinité, et que ceux de Trente agitèrent une question de chimie dans la controverse de la transsubstantiation. Dans ce sens, il est très-vrai que, pour n'être pas en arrière, un concile devrait

1 Art. Conciles, tom. 111, p. 727.

être encyclopédique. Et comme ce titre ne convient à personne mieux qu'à nos compilateurs, qu'ils ont, d'autre part, donné un magnifique échantillon d'érudition théologique, de profonde habileté à interpréter avec clarté, précision et efficacité, ce que les théologiens catholiques n'entendent plus 1, je pense, en conséquence, que le seul concile grave et utile qui soit possible de nos jours, devrait être tenu par les pères de l'Encyclopédie nouvelle.

NOTE 6, P. 37.

Sur une apologie nouvelle de Georges Byron.

Il y a peu d'écrivains qui aient, autant que G. Byron, trouvé de nombreux mais malheureux apologistes, et il vaudrait mieux mille fois avoir beaucoup de mauvais critiques. Un de ces malencontreux louangeurs et un des plus récents, invective contre les littérateurs plébéiens, qui taxent d'immoralité l'au teur de Manfrède, et il conclut en ces termes : « A toi, Byron, >> prophète désolé, poète plus déchiré que Job et plus in» spiré que Jérémie, les peuples de toutes les nations ouvri >>ront le panthéon des libérateurs de la pensée et des amants de » l'idéal 2! » Tout l'article est écrit sur ce ton. Est-il patricien ou plébéien, je ne sais, mais il est tel qu'il dispense de toute réponse 3. Et en effet, de bonne foi, que répondre à un homme qui compare Byron à Job et à Jérémie? Certes, il n'y a rien à dire. J'aurais honte de rapporter de pareilles platitudes, si elles ne demandaient quelque attention, comme échantillon des hommes et du temps. On y trouve une rage contre le christianisme et le catholicisme, une fureur qui éclate en injures et en

1 Arl. Bergier, tom. 11, p. 615.

2 Revue des Deux-Mondes, 1er Décemb. 1839. 3 Cet auteur, c'est Georges Sand. (N. d. T.)

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