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de la foi et de la charité chrétiennes. Cette manière de procéder est la seule qui soit raisonnable en toute sorte d'enseignement spéculatif. Elle n'exclut pas, d'ailleurs, l'analyse, pourvu que celle-ci soit précédée et dirigée par la synthèse. Et, non moins que dans l'instruction, cette marche doit avoir lieu dans l'éducation; la pédagogie ne peut être parfaite, si elle n'est ontologique, aussi bien en pratique qu'en théorie. Mais aujourd'hui le psychologisme a intrinsèquement vicié l'action aussi bien que la pensée, la société aussi bien que la science, et dans les gouvernements humains on ne trouve pas une seule partie qui soit pure de cette pestilentielle infection. Dans le fait, les systèmes des gouvernements négatifs, de la souveraineté du peuple, des pouvoirs absolus et despotiques, et autres pareils, quoique opposés entre eux en apparence, sont l'application d'un seul et même principe, je veux dire du sensualisme et du psychologisme, à la politique; en sorte que les gouvernements qui devraient être la civilisation personnifiée et la raison sociale, deviennent l'instrument de la force, de la barbarie, de la corruption.

Ce que j'ai dit jusqu'à présent répond à la question renfermée dans le titre de ce chapitre. Nous avons vu que les causes objectives du déclin actuel des sciences philosophiques se réduisent à deux, savoir : l'altération des principes et l'égarement de la méthode; en d'autres termes, le sensisme et le psychologisme. Or ces deux hérésies scientifiques ont une racine plus profonde; elles proviennent d'un désordre qui remonte plus haut, je veux parler de l'obscurcissement et de la négation des concepts idéaux. Nous devons donc, pour achever notre dessein, examiner en quoi consiste la substance intégrale de ces concepts. Mais avant de commencer ce difficile travail, je rappellerai les points principaux de la route que j'ai suivie.

Au moment où l'esprit humain a exercé pour la première fois ses facultés, comme être pensant, il a connu l'Idée en tant qu'elle est principe de nos connaissances; et il l'a connue

en l'appréhendant par une intuition immédiate, qui est ellemême produite par l'Idée, en tant que principe créateur. Ensuite il l'a repensée et développée avec le secours de la parole, et la révélation du langage créa la philosophie. Mais, quand l'esprit humain déchut de sa perfection originelle, l'Idée s'obscurcit, la parole s'altéra, l'unité de notre race s'éteignit, et sauf le rameau choisi, les générations humaines perdirent l'intégrité et la pureté de cet enseignement primitif et divin. Toutefois, la tradition ne s'éteignit pas complètement, même chez celles-ci; et elle conserva quelques restes de la vérité idéale, qui, transmis de siècle en siècle, de nation en nation, furent la base de l'antique sagesse qui a resplendi chez les peuples païens. L'Idée humanisée 1 rendit à la parole humaine sa perfection native, et ramena la connaissance rationnelle à sa première splendeur. Le christianisme enfanta une philosophie nouvelle, qui s'élevait à une grande hauteur au-dessus de la maigre sagesse des païens, par la connaissance intégrante de la vérité idéale qu'elle renfermait. Mais le germe divin manqua d'espace et d'air pour fleurir et fructifier, parce que la nécessité de défendre la vérité divine contre les paradoxes et les sophismes des hérétiques, ne permit pas aux Pères de l'Eglise de se livrer ex professo aux recherches philosophiques, bien que plusieurs d'entre eux aient enfanté par circonstance de hautes et profondes spéculations. Dans l'âge suivant, celui des scholastiques, la barbarie rompit en beaucoup d'endroits le fil de la-tradition scientifique, et dépouilla les sciences spéculatives des secours d'érudition dont elles avaient besoin. Toutefois, quelques génies supérieurs montrèrent dans les deux époques que la racine du savoir, c'est-à-dire, l'Idée, était saine et intacte; et la civilisation croissante qui cultivait l'heureux germe, l'aurait en

1 D'après le sens que je donne au mot Idée, cette locution Idée humanisée est parfaitement orthodoxe, comme on le verra dans la suite.

peu de temps fécondé jusqu'à la maturité, sans l'œuvre de deux hommes : Luther, qui l'étouffa dans les croyances religieuses de la moitié de l'Europe, et Descartes, qui le mit au ban de la philosophie du monde chrétien. Ces deux hommes fameux dissipèrent autant qu'ils le purent le double patrimoine de la science divine et humaine, arrachèrent ses fondements, et ralentirent ainsi les progrès naissants de la civilisation moderne; qu'on voie maintenant avec quelle raison on les étudie et on les honore comme s'ils en étaient les patrons. Descartes donna l'exclusion à toute tradition religieuse et scientifique; il se fit sceptique pour croire; il nia l'Idée et entreprit de la refaire avec le secours du sens intime. Cette audace étourdie enfanta le psychologisme et le sensualisme, comme deux jumeaux en un seul corps et d'eux sortirent à peu d'intervalles le matérialisme, le fatalisme, l'immoralisme, l'athéisme, l'idéalisme, le panthéisme, le scepticisme, et ces autres monstruosités ou folies de la philosophie moderne, qui ont anéanti la science, en l'amenant à son néant actuel. La philosophie est morte, ou, pour mieux dire, la vraie philosophie ne vit plus ailleurs que dans la religion. C'est là que doit aller la chercher quiconque veut encore en profiter et jouir de sa lumière. Car celle qui s'enseigne aujourd'hui est une vaine ombre, un masque trompeur, un languissant fantôme, qui ne peut satisfaire les esprits viriles, accoutumés à ne se payer que de la réalité. Mais la religion ne nous donne autre chose de la philosophie que les éléments intégrants, c'est-àdire, les principes et la méthode : le reste doit être l'œuvre du génie et de l'étude. Afin donc de restaurer les sciences philosophiques, il faut renouer le fil rompu de la tradition, fonder de nouveau la science sur l'Idée légitime et chrétienne, en refaisant le travail scientifique sur ce modèle. Mais l'Idée chrétienne est-elle véritablement identique à l'Idée rationnelle? En quoi consiste substantiellement l'Idée? La solution de ces problèmes sera la matière du chapitre suivant.

NOTES.

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