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sophie. Le corps de la nation n'avait jamais été infecté ni corrompu; mais les hommes incrédules où indifférents en matière religieuse ne marquaient pas même en ce temps. Peutêtre, comme l'a soupçonné un auteur 1, la précoce incrédulité du moyen-âge se rattache-t-elle aux dernières filiations de l'Arianisme, qui, remontant lui-même aux doctrines des gnostiques, peut être regardé comme le rationalisme le plus ancien qui ait levé l'étendard de la guerre contre le christianisme, qu'il a combattu dès son berceau. Mais sans examiner ce point, au sujet duquel, du reste, on ne peut former que des conjectures, il est certain que si l'incrédulité italienne en ces temps grossiers n'eut pas d'origine antique, elle s'accrut, s'alimenta principalement dans les cours: d'abord, dans le palais impérial de Frédéric II, puis dans les palais des petits tyrans italiens, et en particulier dans ceux des Ezelin, des d'Anjou, des Visconti, des Médicis, des Sforza, des Farnèse, des Gonzague et des princes d'Este. La civilisation, qui aboutit à la corruption quand les améliorations des sensibles l'emportent sur les progrès moraux, et les faits sur les idées, enfante d'ordinaire une espèce de sensualisme spéculatif et pratique, peu différent de l'impiété; celui-là naît pour l'ordinaire dans les classes nobles, chez lesquelles abondent, avec la culture civilisatrice, les moyens de corruption. Aussi voit-on que le déclin des croyances religieuses en Italie date de la même époque que ceux qui ont fomenté la désunion, et qui, après l'avoir morcelée et tyrannisée, ont appelé sur elle les étrangers, et ont scellé du dernier sceau l'esclavage de leur patrie.

Parmi les philosophes du moyen-âge, un grand nombre négligèrent la tradition scientifique, en prenant pour point de départ la philosophie arabico-grecque, c'est-à-dire,

1 ECKSTEIN. Le Catholique, tom. 1, p. 282, 283.

l'Aris

tote des Arabes, comme s'il eût été leur unique, ou presque leur unique prédécesseur. C'était aller évidemment contre la raison, qui prescrit de ne pas remonter, en philosophie, à un des premiers ou au premier anneau de la chaîne scientifique, sans reparcourir les anneaux intermédiaires et légitimes de la tradition; car autrement, le fil traditionnel se rompt, et la science rétrograde. Une autre erreur des Scholastiques fut de préférer Aristote à Platon, beaucoup moins hétérodoxe, sous plusieurs rapports, que le philosophe de Stagire. Or, on n'erre pas impunément dans les doctrines, dans les doctrines philosophiques surtout; aussi ne doit-on pas s'étonner si le culte excessif du péripatétisme engendra le nominalisme et cette secte ambiguë des conceptualistes, comme on les appelle aujourd'hui, laquelle ne diffère pas essentiellement de l'autre; toutes deux aplanirent la voie à toutes les erreurs de la philosophie moderne, et furent le sensualisme et le psychologisme du moyen-âge. Les philosophes italiens du xve siècle et du suivant aggravèrent le mal en annulant les traditions chrétiennes, et en refoulant la lumière des vérité idéales vers les ombres du paganisme. Aussi leur œuvre, utile, admirable même sous le rapport de l'érudition, fut en philosophie une vraie rétrogradation. Et cela est si vrai, que quiconque veut refaire aujourd'hui la tradition scientifique, peut presque les laisser de côté (j'en excepte Bruno) et remonter droit aux Scholastiques.

J'ai fait cette courte digression pour montrer comment, en Italie, le terrain était en partie préparé à recevoir la semence du lutheranisme, et à la faire germer avec une exubérance et une rapidité plus grandes même qu'en Allemagne. Je parle des classes élevées et corrompues, et non de l'universalité des Italiens qui s'est toujours montrée l'ennemie des nouveautés licencieuses. Les deux Socin menèrent à sa perfection le principe protestant, en s'en servant pour détruire l'ontologie chrétienne, comme Luther s'en était prévalu pour renver

ser le culte et la hiérarchie catholiques. Le moine saxon avait combattu la hiérarchie et la tradition; les deux gentilshommes de Sienne firent la guerre à l'Idée elle-même, et lui substituèrent un nominalisme et un sensualisme déguisés sous un masque de rationalisme, et tempérés seulement par ces rudiments ou simulacres d'Idée que la science païenne avait sallvés des ruines de la vérité primitive. Aussi, tandis que les protestants n'empruntaient aux auteurs païens que l'accessoire et l'élocution, les sociniens ressuscitèrent le fond de leur esprit et de leurs doctrines. En effet, par cela même qu'il répudie le sur-intelligible idéal et révélé, le Socinianisme obscurcit, en rigueur de logique, l'intelligible; il le dépouille de cette pureté, de cette perfection que lui donnent les doctrines évangéliques, et il réduit la sagesse du Christ à l'étroite mesure de Socrate et de Platon ; il substitue, en définitive, à l'Idée splendide et adéquate du Catholicisme, l'Idée tronquée et nébuleuse de la philosophie païenne. Les vérités supra-rationnelles de la révélation ne sont conservées par le Socinianisme qu'en apparence, ce n'est qu'une manière de parler, une expression de l'intelligible, et son but en cela était d'établir une harmonie apparente entre l'aristocratie socinienne et la multitude, et de former une doctrine exotérique à l'usage du seul vulgaire (58).

Le premier pas dans le chemin de l'erreur fut fait les par Allemands; le second par les Italiens; le troisième et dernier fut le fait des Français, chez qui domine le génie celtique. Au seizième siècle la France n'était pas assez civilisée pour pouvoir entrer dans une voie qui exige une certaine habitude des sciences spéculatives; et Calvin, dans les doctrines idéales, n'a fait que copier Luther. Mais au siècle suivant, Descartes acheva d'épuiser le principe protestant en transportant ce funeste germe des doctrines religieuses aux sciences speculatives. Et en effet, la méthode cartésienne dans la spéculation, est en parfait accord avec la méthode protestante dans les

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l'autorité qui exprime et accompagne la parole révélatrice, il croit aux mystères incompréhensibles, sous la garantie de l'autorité qui les enseigne. Ainsi l'homme qui, par la grâce du premier rit qui l'accueille à sa naissance, était devenu chrétien en habitude, le devient en acte, s'approprie librement l'Idée parfaite, et avec elle il devient membre de la cité spirituelle, et acquiert le droit de citoyen dans le royaume de Dieu. Nul ne peut déterminer l'instant précis ni le mode spécial de cette opération dans chaque individu, puisque la vérité absolue et multiforme du christianisme peut influencer l'esprit de mille manières différentes, et que l'expression divine qui en accompagne et en accroît l'efficacité, peut se proportionner de diverses manières au caractère particulier de chaque enfant, et aux conditions où il se trouve placé. Mais ce qui est manifeste, c'est que la foi chrétienne et la foi rationnelle dans l'enfant instruit convenablement ne sont jamais précédées de l'analyse, du doute, de l'examen, et que la méthode cartésienne et protestante répugne pareillement à la religion et à la nature. Dans les deux cas, on anéantit la foi par le scepti cisme, pour pouvoir la créer de nouveau par l'examen on renonce à la possession d'un don si précieux, reçu de l'éducation, et l'on court le grand danger de ne pouvoir le recouvrer; pareil à cet homme qui aurait en ses mains un grand trésor nécessaire à son existence, et qui aimerait mieux le jeter dans la mer, pour avoir le plaisir de le repêcher, en se fatiguant et en nageant au risque de se noyer. Et en effet, la foi qui est l'innocence de l'esprit, est semblable à l'innocence des mœurs; il est beaucoup plus facile de la conserver quand on l'a, pourvu qu'on emploie la vigilance convenable, que de la recouvrer quand on ne l'a plus. La foi est la vie des âmes, et les âmes, comme les corps, ne peuvent sortir du sommeil de la mort ni ressusciter sans miracle.

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Le Cartésianisme empire encore la méthode protestante et en développe le germe funeste. Dans ses commencements.

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