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avec un soin merveilleux sa vie passée; et malheur si elle prête le flanc par quelque endroit à une sagace et inexorable malignité! En matière religieuse, c'est autre chose. Qu'un homme trahisse la foi jurée à Dieu, trahisse son ministère, insulte la religion, l'Eglise, la majesté du pontificat, se fasse renégat public et profanateur, qu'il entraîne en foule par son exemple les simples dans sa chute, il vous est défendu de dire contre lui une parole sévère, de condamner un scandale si solennel; quiconque a cette audace est accusé d'intolérance, mot magique comme tant d'autres, qui donne raison à qui l'emploie le premier. Mais la tolérance et l'intolérance ont pour objet les actions, non les jugements. La tolérance interdit de violenter la conscience d'autrui, et non pas de la juger quand elle se publie elle-même; elle interdit d'entraver et d'usurper la liberté d'autrui, elle n'interdit pas d'influencer les opinions par la parole, de dire que le bien est bien, que le mal est mal, quand il s'agit de faits notoires et accomplis à la vue de tous ; autrement la tolérance serait l'indifférence, elle serait pour les uns un privilége qui deviendrait une servitude et un dommage pour les autres. Il est vrai qu'en toutes choses il faut procéder avec une grande modération; mais l'homme qui n'a pas cette modération n'est point pour cela intolérant, il pèche d'une autre manière : il ne faut pas pervertir ainsi le sens des mots, selon les caprices de la mode. Au siècle dernier, on appelait intolérants ceux qui défendaient la religion avec les armes de la science; c'est chose permise aujourd'hui. Mais parce qu'on ne peut pas toujours défendre la foi sans parler des scandales de ceux qui l'offensent, cette sorte de défense ne se tolère pas. Il serait donc permis d'invectiver contre les renégats d'une secte politique et d'une opinion, et l'apostasie religieuse seule, devra être respectée! Pour moi, je ne le concevrai jamais. Les peines temporelles contre les délits purement religieux sont à réprouver, parce que, si elles n'ont point d'autre effet, elles font le délinquant pire qu'il n'était, elles rendent la

religion odieuse, et sont opposées à sa nature, toute de douceur et de mansuétude. Mais la censure, même grave, n'est point une de ces peines et n'engendre aucun de ces inconvénients. Elle peut même produire les effets contraires, et souvent elle est nécessaire pour empêcher ou détruire l'influence empoisonnée que des scandales illustres et publics produisent sur la multitude. Autrement la mansuétude chrétienne serait mollesse et lâcheté; elle équivaudrait à une connivence tacite avec ceux qui insultent et blasphèment la religion qui enseigne cette mansuétude. Aujourd'hui, on exige de la religion l'humilité qu'elle commande à ses disciples, et l'on vous permet de la défendre, pourvu que vous le fassiez tout bas. Réfutez les sophismes de ses adversaires, mais avec grande modestie; gardez-vous de dire, fût-ce à bon droit, une parole qui puisse déplaire; gardez-vous d'avoir trop.de confiance dans la bonté de votre cause, de montrer cette généreuse assurance qui sied au défenseur de la vérité. Vous ferez même très-bien de louer les intentions de tout ennemi de la foi, et d'élever bien haut en toute occasion la noblesse et la constance de leur conduite (4). A ces conditions, nous vous permettrons d'écrire; sinon, nous vous appellerons intolérant, déclamateur, fanatique, homme incivil, indigne de vous présenter en bonne compagnie. Pour moi, j'ai toujours pensé que le chrétien doit être humble dans tout ce qui le concerne personnellement; mais je tiens aussi qu'une noble fierté ne messied pas au défenseur de la vérité. Jamais je ne pourrai croire que la religion ne soit pas et ne doive pas être grandement superbe, parce que la religion, c'est Dieu; et ce qui est orgueil dans les hommes, est en Dieu le légitime sentiment de sa propre excellence. Il n'est rien de plus impérieux que la vérité, reine suprême et absolue des esprits créés, et sûre, au milieu des persécutions, d'un immortel triomphe. Ceux qui conseillent de défendre mollement sa cause ont pour but de la ruiner, sans le faire paraître artifice digne de l'empereur Julien, qui

voulait la destruction du christianisme, en ayant l'air de le tolérer. Les défenseurs de la religion ne font droit ni aux conseils, ni aux menaces de cette sorte; ils n'ont garde d'être timides et poltrons, ni d'avoir peur du siècle. Respect profond pour l'homme privé en toute circonstance; à l'égard de l'écrivain, modération; mais franchise sévère toutes les fois que l'honneur de la vérité l'exige. Les oreilles délicates s'en offenseront on fera grand bruit, une foule de gens s'élèveront contre vous, accoutumés à entrer en fureur quand la religion qu'ils voudraient détruire ose lever la tête et les regarder en face; mais ces colères ne dureront pas. Les emportements et les fureurs des hommes passent, les opinions injustes s'éteignent seule la raison n'aura jamais tort, elle est assurée de la victoire et du triomphe (5).

La délicatesse moderne n'interdit pas seulement la censure personnelle des vivants, quand il s'agit de religion; elle ne souffre pas même qu'on parle sévèrement des morts. Ce n'est pas que cela soit absolument défendu : nos puritains ne se font pas scrupule d'invectiver à tort et à travers contre les réputations les plus illustres, toutes les fois que la mode ne les a pas consacrées. Mais malheur à qui porte la main sur les idoles de la mode! Malheur à qui parle peu respectueusement de certains noms adorés du vulgaire élégant et dameret! Il m'est arrivé dans mon dernier écrit de parler avec sévérité de Georges Byron et du caractère moral de ses œuvres. Je n'ignorais pas que ses écrits offrent une pâture agréable à un certain monde de lecteurs et de lectrices, et que celui qui ose crier contre le poète anglais court le risque de soulever contre lui une grande tempête; il faut tout dire pourtant, de tels ennemis sont plus redoutables par leur nombre que par leurs forces. Mais quand j'ai de bonnes raisons de croire que ma façon de voir s'accorde avec la vérité, je n'ai point coutume de me mettre grandement en peine pour chercher si elle est en aussi bon accord avec la sagesse des

salons et l'opinion vulgaire. Là on ne se soucie pas trop de la vérité ni de la justice; et s'il avait été pauvre et plébéien, religieux et moral dans sa vie et dans ses écrits, Byron vivant, avec tout son talent poétique, aurait-il été aussi fameux qu'il le fut? mort, trouverait-il tant de panégyristes de sa personne, et tant d'admirateurs de ses ouvrages? Il est permis d'en douter. Je ne suis le courtisan ni des vivants, ni des morts; je méprise hautement les illustres vicieux, et je les juge les plus vils des hommes, après leurs adorateurs. Je prierai ensuite les fougueux défenseurs de Byron de répondre à cette question: ce que j'ai dit de ses mœurs et de la moralité de ses écrits, est-ce vrai ou faux? Si c'est faux, il serait bon de le savoir; si c'est vrai, qu'ils me permettent de le dire : ou la religion et la morale sont une chimère, ou je n'ai point dépassé les bornes en parlant du poète anglais. Et je ne suis pas le seul à penser ainsi je sais des Anglais très-doctes et très-modérés qui n'ont point meilleure opinion, et qui ne parlent pas plus favorablement de leur compatriote. Comment? Un homme aura passé ses jours à blasphemer la providence de son Créateur, et il ne sera pas permis de dire sur lui une parole de blâme! Un poète aura usé son talent à corrompre ses semblables en les charmant, usé son génie à déraciner les fondements de la société humaine qui sont les terreurs et les espérances de la religion, et l'on ne pourra pas le proclamer plus coupable devant Dieu et les hommes que ces vulgaires malfaiteurs qui languissent dans les cachots et expirent au gibet! Les beaux vers feront excuser la dissolution des mœurs et l'impiété des doctrines! Vous méprisez à bon droit et réputez vil le brigand, le parjure, le traître, et vous justifiez, vous louez, vous élevez au ciel le blasphémateur, le sacrilége, le corrupteur de la jeunesse et de l'innocence! A vos yeux, criminel est celui qui offense les hommes, et il faut louer celui qui s'attaque à Dieu! Où en sommes-nous, si c'est ainsi qu'on parle aujourd'hui, si par faveur pour un poète, on ne tient

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nul compte de ce qu'il y a de plus sacré et de plus véné- ̧ rable? Mais ce poète fut un grand génie, un rare caractère, il était d'illustre naissance. Et qui vous le nie? Que Byron ait été plus grand encore, supposons-le; qui ne voit que ses qualités augmentent sa faute au lieu de l'amoindrir? Plus sont grands les dons de la nature et de la fortune que Dieu accorde à un homme, plus est coupable l'abus que cet homme en fait. Le génie et une éducation cultivée aggravent les fautes, parce qu'ils augmentent à la fois les mauvais effets qui en proviennent et la faculté de les éviter. Quant à la noblesse de la naissance, en vérité, je m'étonne qu'on mette en avant, pour excuser un auteur, une allégation qui ferait rire si on la produisait pour disculper un prince. Tacite a épargné peut-être la toge des patriciens et la pourpre des empereurs? Mais Byron avait reçu de la nature les passions les plus ardentes, qui rendent ses travers excusables. — Je sais que l'emportement des passions diminue la faute, et je ne pénètre point dans la conscience du coupable pour la juger. Je désire de cœur que cette raison ait valu le plus possible à cet infortuné en présence du juge suprême. Mais si la passion diminue la faute, elle ne l'annulle pas; si elle peut faire pardonner les écarts et les emportements passagers, elle ne peut disculper et justifier toute une vie. Elle peut excuser une parole libre, quelque poésie fugitive, oui ; la turpitude d'un livre infâme, elle ne peut l'effacer. Et ici je ne parle que des actions extérieures; là cesse notre compétence, à nous autres hommes qui ne pouvons aller plus loin, en jugeant les défauts d'autrui. — Où en serait la juste et salutaire sévérité de l'histoire, s'il fallait pallier et flatter les crimes illustres, par une sotte bénignité envers les passions des criminels? Quel malfaiteur n'est pas le jouet de ses penchants, et à ce titre, digne de commisération et d'excuse? Qui ne sait que l'énormité d'un délit est proportionnée à la violence des mouvements qui le produisent, et que les grands coupa

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