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transmet de génération en génération, et le manifeste par la parole. Les formules de définition, qui sont la parole de l'Eglise, contiennent implicitement toute la vérité, mais la plupart n'embrassent d'une manière explicite que les éléments intégrants, qui, réunis ensemble, constituent ce que j'appelle l'intégrité de l'Idée. Pour concevoir clairement cette intégrité, il faut savoir qu'une vérité quelconque peut être connue de deux manières; ou bien on en a une connaissance telle, qu'on en peut tirer toutes les conséquences qui se rapportent au but pour lequel cette vérité est manifestée, ou bien sa notion est tellement défectueuse, qu'on n'en peut obtenir ce résultat. Un concept est intègre et adéquat au même degré que le but de sa connaissance est atteint. La notion qu'on aura de l'Idée devra donc se dire intègre, si elle est telle qu'on en puisse tirer par le raisonnement toutes les déductions nécessaires à la vie morale de l'homme, qui est la fin de la connaissance de l'Idée. La plupart des définitions formulées par l'enseignement de l'Eglise se restreignent aux éléments intégrants, c'est-à-dire, aux principes. Nonobstant cela, les décisions canoniques se sont quelquefois étendues à des conséquences, quand l'importance de la matière et les erreurs de l'époque l'ont exigé.

Les éléments intégrants de l'Idée, exprimés par l'enseignement de l'Eglise, contiennent en puissance toute la connaissance rationnelle que peut atteindre en cette vie le génie de l'homme. Il doit y avoir un instrument propre à développer ce germe et à en tirer, au moyen du raisonnement, les vérités qui y sont renfermées. Cet instrument est la science idéale, qu'on peut définir le développement successif des éléments intégrants de l'Idée. Ces éléments sont de deux sortes: les uns naturels et rationnels, les autres surnaturels et révélés. Les premiers appartiennent à l'Idée, telle qu'on peut la connaître naturellement; les seconds lui appartiennent aussi, mais seulement telle qu'on peut la saisir par le moyen de la révélation. Les

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premiers embrassent les intelligibles et ce sur-intelligible vague, indéterminé, très-général, que la raison nous fait pressentir. Les autres comprennent les sur-intelligibles spécifiques, lesquels déterminent et concrétisent ce même incompréhensible indéfini et général. J'ai dit que les éléments rationnels peuvent être connus naturellement, mais je n'exclus pas pourtant la nécessité de la révélation, même pour eux. Toutefois il y a entre eux et les éléments supra-rationnels une différence essentielle. Les premiers ne peuvent être connus réflexivement sans révélation, en ce sens et parce que la pensée réflexe a besoin de la parole pour entrer en exercice; pourtant l'homme les admet, non pas seulement en vertu de la parole donnée par l'autorité, mais aussi en vertu de l'évidence qui leur est propre, c'est-à-dire, de la clarté intrinsèque de l'Idée qui reluit immédiatement à notre âme, et dont la parole n'est que l'occasion excitatrice, et non pas la cause ni la démonstration. Aussi, bien loin que ce soit la parole qui prouve l'Idée rationnelle, c'est au contraire l'Idée qui démontre l'autorité de la parole. La raison de cela, c'est que l'Idée est vue immédiatement en elle-même, et l'on ne peut dire que la parole la voile en s'interposant entre elle et notre esprit, bien que la parole soit nécessaire pour la réveiller. Il en est tout autrement des vérités surnaturelles : elles dépendent de la seule parole révélée ; ce ne sont pas elles qui la prouvent, mais bien la parole qui les prouve elles-mêmes ; elles ne se voient pas, elles se croient; le concept qu'on en a est purement analogique, et cette analogie est fondée, non pas sur l'intuition ou sur le raisonnement, mais sur la simple autorité de la révélation.

La science qui développe les éléments rationnels est la Philosophie: celle qui développe les éléments supra-rationnels, est la Théologie révélée ou positive, comme on voudra l'appeler. La Philosophie et la Théologie réunies, forment la science complète de l'Idée. L'une en représente le côté clair, l'autre

en exprime le côté obscur naturellement, mais éclairci en partie par l'enseignement divin. Par rapport à l'Eglise, l'enseignement de la théologie est interne, celui de la philosophie est en même temps interne et externe. L'un est sacerdotal seulement, l'autre est sacerdotal et laïque de sa nature. La science révélée ne sort pas du cercle de l'Eglise, parce qu'elle a pour matière un objet qu'on ne peut atteindre qu'au moyen des documents dont l'Eglise seule est la dépositaire et l'interprète. La science rationnelle sort de ce cercle, en tant que l'intelligible reluit naturellement à l'esprit, et qu'il est l'héritage commun de tous les hommes. Toutefois la parole est nécessaire pour appréhender l'Idée rationnelle, la parole dépend de la révélation, et l'Eglise, en déterminant la parole révélée, en définit les éléments intégrants; d'où il suit que sous ce rapport la philosophie est subordonnée à la science sa sœur, et qu'elle est soumise dans une partie de ses dogmes à la juridiction de l'autorité ecclésiastique. La philosophie est le développement réfléchi et libre des éléments intégrants de l'Idée, dans l'ordre de la raison; mais elle n'est ni l'inventrice ni la maîtresse de ces éléments; elle les emprunte à la révélation, et par là même à l'enseignement d'autorité, et elle ne pourrait les prendre ailleurs, puisqu'ils sont inaccessibles à l'esprit, sans le secours d'une parole qui les exprime. Elle doit donc les conserver tels que les lui ont fournis les formules de l'Eglise, sans cela elle se détruirait elle-même en détruisant son objet propre. Personne n'est cependant en droit de conclure que la vérité rationnelle dépende de l'autorité, et qu'en conséquence, la philosophie soit, à parler absolument, une science seconde qui travaille sur les données d'une autre science. Car les éléments intégrants l'Idée ayant par eux-mêmes toute clarté et tout éclat, la phiJosophie se trouve ainsi basée sur l'évidence de son propre objet. C'est de la parole qu'elle tient la matière sur laquelle elle s'exerce, mais quand elle l'a reçue, elle l'appréhende im

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médiatement au moyen de sa lumière intrinsèque. L'enseignement d'autorité est l'occasion ou l'instrument indispensable, mais non pas la cause effective de la connaissance rationnelle.

Puisque la philosophie doit recourir à la parole révélée, pour avoir les éléments intégrants de l'Idée sur lesquels elle travaille, et dont le développement constitue sa tâche, il suit de là qu'il y a à distinguer dans l'histoire deux grandes époques philosophiques, correspondant l'une et l'autre aux deux grandes révélations qui les ont précédées; l'une aux premiers temps du genre humain, avant et après le déluge, et l'autre aux temps évangéliques. La révélation est une en soi, puisque la doctrine manifestée dans les divers temps est substantiellement une, et que Jésus-Christ n'a fait que renouveler et compléter l'enseignement primitif. Mais les conditions extérieures des révélations furent différentes, au moins en partie. La première fut, dans le principe, commune à toute l'espèce humaine; la révélation chrétienne fut propre au genre élu, c'est-à-dire, à l'Eglise, qui contient en puissance seulement la famille humaine, et dont la mission est de l'attirer successivement dans son sein et de lui rendre son harmonie primitive en lui communiquant sa vertu. Par la suite, la révélation primitive s'éteignit dans deux grandes souches de la race humaine, les enfants de Cham et ceux de Japhet, et elle se restreignit à un petit rameau sémitique, c'est-à-dire, au genre élu qui commence à Abraham. La révélation chrétienne, au contraire, alla toujours augmentant le nombre de ses prosélytes et s'étendant à de nouveaux peuples. Dans le second moment des deux révélations, leur mouvement fut tout-à-fait contraire : l'une se restreignit et eut moins d'adeptes, l'autre s'étendit et le nombre de ses disciples s'accrut. Les suites de cette différence sont très-importantes ici, car c'est d'elles que dépendirent en grande partie les destinées diverses de la philosophie. La philosophie païenne répond à la première révélation,

la philosophie chrétienne à la seconde. Toutes les écoles qu'on appelle vulgairement écoles antiques, remontent successivement à la révélation primitive, tandis que les modernes et celles du moyen-âge remontent au christianisme. Or la substance des deux révélations étant identique, il ne peut y avoir entre les deux philosophies d'autre différence que celle du mode dont elles ont participé ou participent à la lumière révélée.

La philosophie est la réflexion de l'esprit sur l'objet immédiat de la première intuition, au moyen de la parole. Les éléments intégrants de l'Idée parlée sont donc le sujet immédiat, ou, si l'on veut, la matière sur laquelle travaille le génie philosophique, pour l'élaborer et la faire passer à l'état de science. En recevant ces éléments, l'esprit humain est moins actif que passif. Son activité ne commence à s'exercer à leur égard que lorsqu'il les a acceptés, et consiste toute dans le travail scientifique. Mais de qui les reçoit-il? Il faut distinguer l'élément idéal de la parole qui le revêt. Pour l'élément idéal, objet éternel et immanent de l'esprit, la réflexion le prend de l'intuition immédiate, qui n'est pas un produit de l'art, mais un don de la nature, précisément parce qu'elle est intuition. En effet, l'Idée, en créant l'intuition, se manifeste à elle; aussi pour le principe intuitif, subsister et connaître sont choses inséparables. Quant à la parole, l'homme la reçoit de la société et de la famille. Mais la connaissance intuitive ne peut devenir réflexe sans le secours du langage, et il suit de l'à que la parole fournit à la pensée l'élément idéal lui-même, en tant qu'elle est la condition nécessaire pour qu'il puisse être repensé. Or la parole peut exprimer plus ou moins clairement, distinctement et adéquatement l'objet de l'intuition, et par là même influer sur la connaissance réflexe. C'est là un fait tellement certain et si universellement admis, qu'il est inutile de le prouver. D'où cette conclusion: bien que l'esprit prenne l'Idée de l'intuition et qu'il la contemple en

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