Page images
PDF
EPUB

en est le principe. Toutes les fois que la Providence veut, par des voies extraordinaires et ignorées, communiquer la vérité à quelqu'un qui se trouve sans sa faute hors de la société élue, il est clair que cet individu, par le fait même de son initiation à la vérité, devient membre du corps auquel un privilége divin a confié la conservation intégrale du dépôt des vérités idéales.

L'Eglise ne pourrait renfermer potentiellement le genre humain, et elle ne pourrait réduire peu à peu cette puissance en acte, si elle n'était pas une, si elle n'avait pas une organisation complète. Le principe organique qui informe tout individu et toute agrégation d'individus a deux éléments, l'un objectif et l'autre subjectif; l'un commun, l'autre particulier; l'un impersonnel, l'autre personnel. L'élément objectif commun, impersonnel, est le même pour tous les individus et pour toutes les agrégations; il n'est ni muable, ni multiple; le dire serait une absurdité; il est absolu, nécessaire, universel; c'est l'Idée considérée en soi, considérée dans son entité très-pure. Unité suprême, elle unit et harmonie ainsi toute la création, depuis cette existence d'ensemble que nous appelons univers, jusqu'au moindre de ses détails. Elle réside dans le tout et dans chacune des parties, et, sans sortir d'elle-même, sans s'épancher, sans se diviser, sans se multiplier, par la seule vertu de l'acte immanent de la création, elle répand en toutes choses l'actualité de l'existence, la force, l'harmonie, le mouvement, l'esprit, la vie. En tant qu'elle produit et régit l'univers, elle est l'âme du monde, dans un sens bien plus noble que le sens stoïcien et le platonicien. En tant qu'elle réside dans les esprits, elle est l'Intelligible; en tant qu'elle produit, actualise, détermine, classifie les forces de la nature, elle est l'essence générique et spécifique des choses; enfin, en tant qu'elle informe les diverses associations des hommes, depuis le cercle resserré de la famille jusqu'à la société universelle, elle est l'idéalité de

l'unité humaine. L'élément subjectif, contingent, particulier, fini, varie selon les individus et selon les sociétés qu'il dirige. Dans l'homme, c'est le principe pensant; dans le peuple c'est le caractère national; dans les corps organiques, c'est l'apy, la force plastique, le principe vital; dans les corps inorganisés, c'est une de ces forces de divers genres qui composent la nature. Appliquons ces concepts à la société ecclésiastique. Le principe objectif, chez elle, est le chef invisible, c'est-à-dire, l'Idée humanisée, résidant au milieu d'elle jusqu'à la consommation des siècles; le principe subjectif est, pour toute la société, son chef visible, et pour chacune des diverses parties, les autres pasteurs subordonnés au premier. La hiérarchie catholique, c'est l'organisation des divers chefs et de chacune des parties sous un chef unique et suprême. Et comme la hiérarchie catholique est le seul organisme qui, par son développement et son agrandissement successif, soit capable de produire l'unité morale de l'espèce humaine, il s'ensuit que son chef visible est le principe organique dont dépend l'unité future du monde. L'autorité pontificale est donc la paternité spirituelle et élective, nėcessaire pour former l'unité de la grande famille humaine, comme la paternité matérielle forme l'unité des familles particulières. Parmi les nations qui jouissent déjà du bienfait de l'organisation catholique, il y en a une qui se glorifie avec raison de posséder le centre de cette vaste sphère. Il est donc vrai de dire que, sous ce rapport, l'Italie, qui renferme dans son sein le principe de l'unité morale du monde, est la nation mère du genre humain. J'expose franchement et tranquillement ces idées, dont un grand nombre se moqueront aujourd'hui, mais que ni aujourd'hui, ni demain, personne ne combattra avec succès. La vérité est chose si belle et si précieuse, qu'on ne risque point à la professer et à la défendre en face de tous, même au péril d'être bafoué et honni. Du reste, il ne me paraît pas probable que le rire et l'insulte,

énfants de la légèreté, de l'ignorance et d'injustes préoccupations, puissent tenir longtemps contre la vérité et la bonne logique (42).

L'Eglise catholique est donc la société conservatrice et propagatrice de l'Idée; et cette double fonction explique toutes les propriétés et toutes les prérogatives dont elle est investie. En veillant à la conservation et à la propagation de la vérité, elle participe à la fois, mais diversement, au repos et au mouvement. Comme conservatrice, elle a une nature analogue à celle de l'Idée. L'Idée est éternelle, placée en dehors de la succession du temps; l'Eglise jouit d'une perpétuité absolue, exempte de toute vicissitude; et c'est en cela que consistent sa force et sa beauté. Rien de plus merveilleux que cette grande société ; elle est perpétuelle, puisqu'elle remonte sans interruption jusqu'au berceau du genre humain; immuable, elle est inaccessible au changement; immobile, elle exclut tout progrès et toute rétrogradation; elle est comme un pivot inébranlable et éternel sur lequel s'appuie et tourne la civilisation du monde. Car la marche et les vicissitudes des choses humaines ont besoin d'un fondement stable, d'un point d'appui fixe et immobile qui les produise, les soutienne, les règle, les dirige; sans cela, la société deviendrait un cahos et son cours une chûte. L'immobilité de l'Eglise, bien loin de nuire aux progrès de la civilisation, est nécessaire pour la faire marcher; dans l'ordre spirituel comme dans l'ordre matériel, le principe du mouvement ne peut se trouver que dans le repos. Il faut à la civilisation une règle éternelle et immuable pour diriger ses pas. C'est dans l'Idée que se trouve cette règle, et aussi dans la société qui la conserve et l'interprète, et qui ne pourrait remplir ce double et sublime emploi, si elle n'était immanente, en quelque façon, comme la vérité qu'elle promulgue. Tout individu, toute société qui se sépare de cette mère commune et prétend en tenir lieu, se condamne par le fait même de son schisme. En effet, si l'inté

grité de la vérité idéale périssait ou pouvait périr entre les mains de l'Eglisé, élue de Dieu pour la garder, il ne serait plus possible de la faire ressusciter. L'homme peut développer l'Idée apprise, mais il ne peut la retrouver; il peut la posséder, non comme chose dont il serait l'inventeur, mais seulement comme un enseignement qui lui vient d'ailleurs. Aussi la téméraire audace de ceux qui se révoltent contre l'Eglise est-elle punie de Dieu avec une justice rigoureuse et redoutable, par la perte même de ce bien que les imprévoyants novateurs ont la prétention de vouloir conquérir. L'hérésiarque croit la vérité perdue, et en voulant la retrouver, il la perd en effet. De là cette perpétuelle variation des individus et des sectes qui en rend l'histoire à la fois ridicule et douloureuse : inévitable conséquence de l'acte par lequel ils ont renié l'Idée et la société légitime qui la proclame. Depuis trois siècles, l'exemple du protestantisme fournit cette leçon au monde; après avoir annoncé depuis sa naissance la ruine prochaine de l'Eglise, le voilà prêt à périr lui-même. Ce n'est pas assez dire si la vie d'une secte consiste à croire à quelque chose et à avoir une doctrine commune, il est mort depuis longtemps. Car quel est le rit qu'il n'ait pas altéré, le précepte qu'il n'ait pas corrompu, le dogme qu'il n'ait pas falsifié, le fait qu'il n'ait pas révoqué en doute, l'institution qu'il n'ait pas rejetée ou viciée? Enfin, quel est le monument, le témoignage dont il n'ait pas arraché ou ébranlé les fondements? La meilleure réfutation de cette secte, ce sont ses doctrines. Au milieu de cette confusion, de cette discordance d'opinions et de systèmes qui se détruisent réciproquement et ne laissent pas une seule vérité debout au milieu des ruines, il est doux et rassurant de fixer les regards sur l'Eglise catholique, toujours conforme à ellemême et conservatrice infaillible du dépôt confié à sa garde. Comme un navire lancé sur une mer pleine de tempêtes, elle voit de loin et le déplore le naufrage des esquifs qui

:

ont déserté ses eaux; mais tranquille, et sûre de sa propre destinée, avec la foi pour boussole et le vicaire du Christ pour timonier, elle défie les flots menaçants et se rit de la tempête (43).

L'Eglise, avons-nous dit, est encore propagatrice de la doctrine idéale, et, sous ce rapport, sa loi est le mouvement, mais un mouvement sage et mesuré. Il est fondé sur la stabilité, et il est comme l'expansion paisible d'une force allant du centre à la circonférence. Le terme de ce mouvement est l'universalité des hommes, que l'Eglise aspire à embrasser dans son sein, pour leur rendre avec l'Idée l'unité qu'ils ont perdue. Le principe est Rome, prédestinée par la Providence à un empire universel et perpétuel, s'étendant jusqu'aux lieux les plus reculés, où le propage l'action d'une hiérarchie si bien organisée, qu'on dirait une vaste machine dont les roues sont mises en mouvement par un moteur unique. L'Idée humanisée est le centre invisible de cette grande masse, la racine-mère d'où sortent, et l'immense vigueur dont cette société est douée, et surtout cette fécondité qui signale à toutes les époques les missions catholiques. Cette fécondité est due sans doute en partie à la hiérarchie ecclésiastique, structure parfaite, qui unit dans ses opérations la stabilité à l'action et la célérité à la force. Mais la cause principale, c'est le privilége qu'a le catholicisme de posséder la vérité parfaite. L'efficacité du vrai, aidée par l'influence divine qui le fait pénétrer dans les esprits et dans les cœurs, est unique et incomparable. Car l'Idée est comme le soleil des intelligences, et sa force d'attraction les attire doucement et les entraîne puissamment dans son orbite. Les sectes hérétiques qui ne possèdent qu'une vérité altérée sont privées d'énergie et de vie; elles ressemblent aux comètes, qui, soustraites à l'action du soleil et égarées dans leur course, errent à l'aventure dans l'espace, astres solitaires et sans satellites. La société ecclésiastique conserve le divin dépôt, elle le

« PreviousContinue »