prix que lui ont donné l'art et le génie des particuliers. L'université doit être une, car point de force sans l'unité. Sans l'unité, nul moyen d'imprimer aux études cette direction. constante et uniforme qui les fait fleurir. L'université doit être publique ; seul le pouvoir public possède les moyens qui, par leur excellence et leur nombre, sont proportionnés à la grandeur du but. Les sources du savoir tarissent, quand elles sont divisées en un nombre infini de petits ruisseaux; et telles sont ces innombrables écoles mal organisées, sans union, faibles, débiles, exploitées par la cupidité ou l'esprit de parti, qui naissent si souvent et ne font que végéter dans toutes les capitales de l'Europe. Si l'on excepte les cleres, qui ne peuvent dépendre de la juridiction laïque en ce qui concerne les doctrines, je crois que les gouvernements libres, sans ôter aux particuliers la faculté d'enseigner, devraient exiger que quiconque aspire aux charges civiles reçût l'éducation publique. On objecte d'ordinaire que les universités dépendantes de l'état font de la science un monopole, et mettent obstacle à ses progrès en détruisant complètement ou en diminuant la liberté, tandis que les écoles nombreuses et libres viennent en aide à la science en excitant l'émulation. Mais le monopole est impossible, quand ce qu'il y a de meilleur dans la nation participe au gouvernement, et que la tâche de former les intelligences est confiée à l'élite des hommes de talent. Les vues bornées et souvent ignobles des professeurs ne favorisent pas ou favorisent bien peu la science solide; mais elles préjudicient extrêmement à l'instruction, qui exige de la gravité dans les maîtres et de l'accord dans l'enseignement. Le gymnase où les jeunes gens s'exercent n'est point une lice où doivent combattre les professeurs. Ceux-ci ont la presse et leurs assemblées particulières pour discuter et lutter à leur aise. Là les luttes peuvent favoriser la découverte de la vérité, tandis qu'elles sont gravement dommageables au sein des établissements, où il s'agit, non pas de débattre les doctrines in certaines, mais d'instruire des commençants, en les initiant aux résultats probables ou certains, mais précis et positifs qu'a enfantés la science. En somme, l'école est faite, non pour chercher et trouver, mais pour enseigner; non pour élaborer la science, mais pour l'exposer; non pour déblayer le terrain, mais pour faire connaître les matériaux que l'art en a extraits; non pour instruire des professeurs, mais pour faire de bons élèves. Suivre une marche opposée, c'est confondre le vrai avec le faux, le certain avec l'incertain; c'est semer le scepticisme, introduire le chaos dans les connaissances, créer des demi-savants, au lieu de savants véritables; et bien souvent alors, le salutaire aliment de la science se change en venin pour les jeunes générations. De ces considérations et d'autres semblables qu'il serait trop long d'exposer, il faut conclure que si les modernes ont raison d'aimer la liberté, ils ont souvent tort de la confondre avec la licence, sa plus grande ennemie. Les anciennes universités de l'Europe étaient certainement bien imparfaites, et susceptibles d'une foule d'améliorations. Mais je ne crains pas de le dire, malgré tous leurs défauts, elles valaient mieux que la plupart des universités actuelles. Les faits parlent assez haut. Quel est l'Athénée moderne d'où sont sortis, eu égard à la civilisation du siècle, autant de vrais savants qu'il en sortait des universités d'autrefois, sans excepter celles qui florissaient au moyen-âge? Alors on péchait par pédanterie, je l'accorde; aujourd'hui, on est frivole et superficiel; et pour moi je préfère les pédants de ces temps-là aux hommes spirituels du nôtre. Alors les ressources littéraires étaient moins abondantes, je l'avoue; mais, aujourd'hui, la légèreté des esprits, les mauvaises méthodes paralysent grandement les avantages qu'on pourrait en retirer. Je ne nie pas les vrais et légitimes progrès dont se vante la littérature moderne, même dans la sphère de l'enseignement; mais je dis que si l'on avance d'un côté, on recule de l'autre. Autrefois, par exemple, la fonction du professeur consistait à interpréter un texte élémentaire, dans lequel étaient clairement, succinctement et brièvement exposés les principes et les déductions fondamentales des sciences. Les leçons étaient quotidiennes ; celui qui occupait la chaire expliquait de vive voix, éclaircissait, développait le texte mot à mot et à satiété ; il y ajoutait les notions nécessaires, qu'il proportionnait au nombre et à la capacité de ses auditeurs. Ceuxci étaient souvent interrogés, souvent amenés à discuter entre eux, sous l'œil et la direction du professeur ; ils étaient accoutumés à se rendre maitres de leur sujet, à en pénétrer l'intime substance, à l'envisager sous chacune de ses faces, à distinguer les parties obscures et superficielles d'une doctrine, à exposer leurs concepts avec précision et clarté, à bien tenir le fil de la logique dans leurs raisonnements. De pareils exercices pouvaient bien n'être pas fort apparents, ou, selon l'expression en vogue, fort brillants; mais ils étaient solides et profitables. Les écoles, ainsi organisées, enfantaient de puissants génies: c'est d'elles que sont sortis le Dante, Galilée, Bacon, Bossuet, Leibniz, Newton, Linnée, Vico, Muratori, et tous les noms les plus illustres des temps modernes. Aujourd'hui, cette façon d'étudier serait regardée comme insipide, ridicule, pédantesque, insupportable. Nos illustres professeurs croiraient avilir leur éloquence, s'ils donnaient plus d'une ou de deux leçons par semaine. Ils parlent seuls, une heure durant, et dans un style qui n'est pas souvent, il est vrai, un modèle d'élocution didactique, mais qui, en revanche, est abondamment fourni de sentences, d'images, d'épigrammes. Ils briguent les applaudissements de l'auditoire ; et malheur à celui qui descendrait de chaire sans être applaudi par un agréable battement de mains 1! Malheur à celui qui sortirait d'une classe silencieuse! Quant aux auditeurs, beau 1 Je parle ici d'un grand nombre de professeurs, mais non de tous. Car coup écoutent, peu comprennent, tous applaudissent. Les premiers prennent sur un morceau de papier et à la volée les points principaux du thême développé ; et Dieu sait quelle précision mettent dans ces notes précipitées des jeunes gens inexpérimentés, pleins d'impatience, ignorant la matière traitée, qu'ils entendent pour la première fois, qu'ils ne peuvent bien saisir, ni à plus forte raison digérer dans une première leçon. Voilà pourtant à quoi se réduit en résumé toute l'utilité de ces séances; car pour la foule, pour le reste des auditeurs, ils en savaient en entrant tout autant qu'ils en savent en sortant de la salle. En quarante ou cinquante leçons de cette force, on vous enseigne une science, et l'on jette les fondements d'une célébrité future. Je laisse au lecteur le soin de compléter le tableau, en y ajoutant, si sa mémoire le lui permet, les noms illustres dont la célébrité est due à un pareil enseignement. Il est vrai que si l'on ne voit pas de ces écoles sortir en foule les hommes utiles et qui fassent honneur à la patrie, on y voit du moins accourir en foule les désœuvrés, les dandys, et enfin les jolies dames, curieuses d'acquérir une science si amusante et si facile. Et cela suffit à la civilisation du siècle et à la modeste ambition des savants professeurs. Nous pourrions nous consoler du déclin de l'enseignement oral, si l'enseignement imprimé était bon, et qu'il pût suppléer à ce qui manque au premier. Mais il est difficile que les livres soient bons, quand l'enseignement est mauvais; de pauvres écoliers ne peuvent guère devenir d'excellents écrivains. Chacun sait et chacun peut voir où en est la littérature. La presse et sa liberté modérée sont sans doute un grand bien; mais ce on ne pourrait sans ridicule nier que dans les diverses parties de l'Europe, il n'y en ait beaucoup de bons, et même quelques-uns excellents. Mais ce que j'ajoute sur le peu de fruits que les élèves retirent des leçons, a lieu plus ou moins, même quand le professeur est très-bon, toutes les fois qu'il ne réunit pas au talent une bonne méthode. Or cette condition manque certainement dans les cours que je signale dans le texte. bien se change en mal, quand les écrivains sont frivoles et inhabiles. La presse a produit les journaux. Politiques, scientifiques ou populaires, les journaux peuvent être très-utiles, quand ils sont bien rédigés et adaptés au but qu'ils doivent se proposer (32). Mais la plupart de ceux qui s'impriment en France semblent s'être assigné pour tâche de rendre la science fausse, incomplète, superficielle. Ils ont introduit et mis en vogue le charlatanisme, l'imposture et le trafic des opinions; trois fléaux qui menacent la littérature d'une seconde barbarie. Si la souveraineté du peuple, telle que le grand nombre l'entend, est au fond la souveraineté de la populace, la domination des journaux frivoles est une autre souveraineté, celle des ignorants, qui produit dans la sphère des connaissances élevées des effets analogues à ceux de la souveraineté du peuple dans l'ordre civil. L'ignorance, dans l'un et l'autre cas, ne peut produire que l'ignorance, et celleci la licence et l'anarchie. De tels journaux ne nuisent pas moins à ceux qui les écrivent qu'à ceux qui les lisent. Ils nuisent aux premiers, parce que cette manière de traiter tous les sujets pièce à pièce et isolément, exclut presque toujours la profondeur et bien souvent la vérité. Pour connaitre parfaitement un côté d'un objet quelconque, il faut examiner chacun des autres côtés, et envisager l'objet sous toutes ses faces. Quand un auteur entreprend un ouvrage de longue haleine, avec la résolution de traiter son sujet d'une manière complète, il passe successivement en revue les divers éléments qui le composent; il étudie leurs liaisons réciproques, et chacun des points qu'il examine contribue à éclaircir les autres points; les détails aident à connaître l'ensemble, et l'étude de l'ensemble apporte une connaissance plus approfondie des détails. De plus, le long espace de temps nécessaire à tout travail d'une certaine importance, sert beaucoup à mûrir les pensées, et leur donne cette profondeur, cette précision et cette solidité qui man |