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pagée et se propagera jusqu'à la fin la première leçon donnée au genre humain par le maître suprême. Les plus anciennes sociétés dont l'histoire fasse mention ne sont pas plutôt organisées que nous trouvons chez celles où fleurit la civilisation, l'éducation mise au rang des choses publiques. Dans la vie patriarchale, le chef de la famille et de la tribu est en même temps le précepteur de tous ceux qui vivent avec lui comme des enfants avec leurs pères. Dans le régime des castes, les sages investis du sacerdoce sont les conducteurs, les législateurs, les maîtres des classes subalternes; le sanctuaire ou l'oracle, siége du commerce, de la justice, de la religion, lien mutuel des peuples, est aussi la chaire de l'enseignement et la source de la morale. Ainsi, dans les deux plus anciennes formes de la société, le patriarchat et le régime des castes, la religion et l'éducation se confondent et font partie de la chose publique ; et dans le fait, le culte et le gouvernement sont les deux principaux instruments de la civilisation des peuples. L'histoire nous montre l'éducation publique en vigueur chez les anciens Perses, et nous fait conjecturer que longtemps auparavant elle était commune à tous les peuples de l'Hiram; c'est peut-être de là qu'elle passa en Egypte, où nous la trouvons florissante sous le règne des Pharaons 1. Les Doriens, qui probablement furent dans l'origine un rameau pélasgique, l'introduisirent dans la Grèce hellénique, et dans presque toutes leurs colonies; ils la régularisèrent en Béotie, en Laconie, en Crète, dans la Grande-Grèce, et l'élevèrent sous plusieurs rapports à un rare degré de perfection. C'est un fait certain que les merveilles de la Grèce antique ont eu pour principale cause l'influence du génie dorien, et son talent à améliorer les hommes en les disciplinant. Lycurgue, restaurateur d'institutions plus antiques, vicia l'éducation dorienne, dont il

1 Nous exposerons dans le second livre les raisons qui rendent vraisemblable l'origine hiranique de la civilisation si antique des Egyptions.

exagéra le principe. Pythagore la réduisit en art, s'en servit pour fonder la philosophie italo-grecque, et s'en aida pour tenter une réforme religieuse et politique. Platon, qui suivit la marche des Doriens dans presque toutes les parties de la philosophie, organisa sa république idéale sur le modèle de la Crète et de Sparte. Et en effet, les Pythagoriciens, comme les anciens Doriens, tenaient l'éducation civile pour une chose de la plus haute importance; ils l'estimaient le moyen le plus efficace de conserver l'état, et de faire de la république comme un microcosme et un concert musical, à l'image de l'universelle et éternelle harmonie. Chez les autres nations anciennes, l'éducation ne fut pas, il est vrai, organisée de cette organisation positive que nous venons de voir chez les peuples précités; néanmoins, il ne faut pas l'oublier, la force de la coutume, le respect pour la religion et le sacerdoce, le pouvoir des lois et des magistrats, la vie privée subordonnée à la vie publique, une foule d'usages très-différents de ceux des sociétés modernes, en un mot, les mœurs des anciens faisaient que l'éducation dépendait beaucoup plus de l'état que des particuliers. Ainsi, l'on peut conclure que, sauf de rares exceptions, l'éducation publique, tantôt plus, tantôt moins, fut commune à tous les peuples de l'antiquité.

Le christianisme, se vouant à la tâche sublime de perfectionner, d'ennoblir les hommes, est l'éducation du genre humain dans l'ordre de la vie future. Mais en conférant à l'homme la noblesse de l'âme, en lui ouvrant le royaume céleste, il lui donne le bonheur même de la terre; car la morale qui enfante la vertu ici-bas pour produire là-haut la béatitude, la morale est la chaîne qui unit et harmonie entre elles la vie de la terre et la vie du ciel. Aussi trouve-t-on dans le christianisme le concept social et éducateur des Doriens, mais dilaté, agrandi, élevé à la perfection absolue par la substitution de l'idée de l'éternité à la créature et au

temps. Les disciples d'Egimius et de Pythagore façonnaient l'homme et les institutions sur le modèle de la cité du monde; l'Evangile le forme sur celui de la cité de Dieu.

En accord avec les données de la philosophie parfaite, le Christ fit remonter au ciel le type suprême et idéal que les Gentils en avaient fait descendre, pour le placer sur la terre et dans les créatures sensibles. Et si les Pythagoriciens, selon le concept panthéistique de la philosophie sacerdotale, dont leur secte était descendue, donnaient le Koopos ou plutôt le Ocоxopos comme type suprême de la perfection, le Christ est monté plus haut, et il a dit : Soyez parfaits, comme votre Père céleste est parfait 1. Aussi, l'éducation païenne s'attachait plus au corps, moins à l'esprit ; plus aux actes, moins aux pensées et aux affections; plus à l'homme extérieur, moins. à l'homme intérieur ; et en somme, plus aux effets et à l'accessoire, moins aux causes et au principal; tandis que l'Evangile donna le modèle de l'institution la plus parfaite, qui comprend tout l'homme, et développe ses facultés, chacune dans la proportion de sa valeur. L'institution chrétienne se compose de deux sciences, l'une préservatrice pour les enfants surtout, l'autre médicale et pénitentiaire pour l'homme corrompu. Toutes deux se composent de dogmes et d'un culte ; le dogme, qui est l'Idée, instruit les intelligences; le culte forme, adoucit et ennoblit les âmes et les mœurs. Le cathéchisme et les canons, c'est-à-dire, l'enseignement et la discipline, sont les deux instruments d'éducation dont se sert l'Eglise. Par le premier, elle éclaire et domine les esprits; par le second, elle dompte les affections mauvaises et les volontés perverses. Mais comme l'action directe du christianisme ne sort pas du cercle de la religion, c'est à la civilisation qu'il appartient de s'approprier les idées chrétiennes, de les incorporer à ses propres éléments, et de s'en enrichir

Matth., v. 48.

dans sa marche. Cela ne put se faire dans les premiers temps de l'Eglise, parce que la société était païenne. Quand le paganisme fut mort, les barbares arrivèrent, bouleversant et déracinant toutes les institutions antiques, tandis que la religion immobile, recueillie en elle-même, demeurait intacte au milieu des ruines. A la barbarie succéda l'état féodal, simultanément avec l'état municipal; tous deux grossiers, morcelés, favorisant les forces particulières, ennemis de la force générale, ayant, il est vrai, une certaine puissance, mais totalement dépourvus d'unité et d'un principe de vie durable.

L'Europe, ainsi en lambeaux, ne pouvait s'occuper d'éducation; et de même que par le défaut de force de centralisation, les états étaient hachés en communes et en châtellenies. de même l'action éducatrice fut morcelée et restreinte à la famille et à l'individu. L'unité du pontificat catholique ne put pas non plus remédier au mal, parce que toutes les passions, unies contre les droits sacrés qu'elle défendait, allèrent demander l'union et la force dont elles étaient dénuées, au funeste étendard de l'empire. Les empereurs donnèrent l'exemple aux autres princes; après une guerre glorieuse de plus de deux siècles, la douce voix du pontife fut enchainée par le fer des potentats, et avec Boniface VIII périt totalement cette souveraineté européenne, qui seule pouvait créer les nations modernes, sans détriment pour leur liberté (30). Cela ne serait pourtant point arrivé, si Clément V avait ressemblé à Pie VII; car on n'enchaîne pas la force morale, avant de l'avilir. Pour briser les nerfs de la papauté, Philippe le Bel la transporta en France, comme on a voulu le faire de nos jours. Mais plus heureux ou plus malheureux que Napoléon, il parvint à faire un pape feudataire et français, et il réussit par ce seul acte à lui ôter la suprématie politique sur l'Europe. Tels sont les bienfaits dont le SaintSiége, l'Italie et l'Europe furent alors redevables à la France.

Toutefois, si la papauté n'eut ni les moyens, ni le temps de former complètement les nations, elle put du moins aider les républiques. Lois somptuaires, milices citoyennes dès l'origine, assemblées nombreuses, ordres religieux et populaires, sociétés et corporations des arts et métiers; commerce de terre et de mer, un mouvement continuel, une vie partout si vive et si agitée, dans les places publiques, dans les maisons, dans les églises, et par-dessus tout l'idée de la liberté civile, qu'on faisait consister dans le droit de commander, et qui provoquait au plus haut point l'intervention des chefs dans tout ce qui regardait les particuliers; une pareille organisation permit aux républiques du moyen-âge d'exercer une puissante influence sur l'éducation des citoyens, et, en cela, ces républiques participèrent au caractère de la libre antiquité grecque et romaine. Avec tout cela, l'indépendance individuelle prédominait, et elle enfanta quelquefois la grandeur et la beauté, plus souvent les horreurs du moyen-âge.

Le morcellement féodal et municipal disparut à la fin du XVe siècle et au commencement du suivant. Le despotisme national ou étranger lui succéda. L'unité politique fut obtenue en tout ou en partie, mais aux dépens de la liberté et de l'indépendance du pays. Cette unité aurait été un faisceau d'institutions libres, si elle avait été l'œuvre des papes. Elle les sépara et les éteignit toutes, parce qu'elle fut l'œuvre des rois. Mais les rois ne songèrent pas plus à l'éducation, que les barons et les peuples. Et ce fut un bien. Car si les despotes avaient eu sous la main un agent aussi puissant, peut-être auraient-ils imprimé dans la nature de leurs sujets un cachet d'esclavage indélébile. La civilisation moderne, inséparable d'une liberté tempérée, aurait été étouffée dans son berceau; Charles, Henri, Philippe, Louis, ajoutant à la force des canons la tyrannie des intelligences et des imaginations, seraient parvenus à faire des nations européennes de lâches et vils troupeaux, ou des hordes formi

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