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Quand des hommes de mérite tels que Manzoni, Pellico, Balbo, Montalembert, Tommaseo, qui ont à la fois le génie, une science solide et une intention droite, traitent des choses sacrées, certes ils ne peuvent que faire du bien, et leur parole est d'autant plus digne d'être appréciée, qu'ils ne peuvent être accusés d'en faire un métier, comme il plaît à quelques hommes polis de le dire des prêtres. Mais que d'autres, avec un esprit médiocre et une science qui ne l'est pas même, s'avisent de pénétrer dans le sanctuaire et de traiter les mystères religieux, c'est ce qui ne peut se supporter. Les gardiens du sanctuaire doivent les en punir, non par l'anathème, mais par le mépris. Si le clergé comptait dans ses rangs un certain nombre d'écrivains ingénieux et vigilants, qui sussent, tantôt avec les armes de la logique, tantôt avec celles du ridicule, faire bonne justice de ces profanes corrupteurs de la théologie, croit-on que leur babil serait aussi incessant, aussi importun, et leur nombre aussi considérable! Certes, si Bossuet, Fénélon, Arnauld, ou quelque autre de ces hommes éminents vivait encore, la France aurait de moins quelques centaines de théologiens, mais la religion et la littérature s'en trouveraient beaucoup mieux. Je pose en principe qu'aucun livre irreligieux de quelque valeur apparente ne devrait rester sans réponse; eh bien! je pourrais en citer plusieurs que l'esprit et la réputation des auteurs rendent spécieux, et qui n'ont pas trouvé plus de contradicteurs parmi les membres du clergé français que s'ils avaient été publiés en Chine et non en France! et pourtant la défense publique de la foi contre les sophismes de l'erreur est un des principaux devoirs du sacerdoce. Quand on attaque le clergé dans ses droits ou qu'on le calomnie dans ses actes, le silence peut être de la dignité; mais il devient inopportun toutes les fois qu'il peut être imputé à faiblesse. Un orateur illustre, du haut de la tribune parlementaire, gourmande le clergé français comme un maitre ferait de ses écoliers; il se vante d'être le défenseur de la foi et

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de l'Eglise, il accuse un vénérable prélat d'un acte de discipline qui ne ressort pas le moins du monde de la juridiction laïque 1. Il ne m'appartient pas de décider si cet acte est digne de louange ou de blâme, d'après les règles que tracent les circonstances, la prudence et la charité chrétienne, auxquelles doit se conformer toute application des statuts canoniques. Quand il s'agit de choses extrinsèques au dogme, je ne dénie pas non plus aux laïques le droit d'émettre leurs opinions, pourvu qu'ils le fassent avec le respect et la modération convenables; et certainement les ecclésiastiques ne repousseraient pas, dans les choses justes, la correction fraternelle et l'admonition même des laïques. Mais d'abord, dans l'affaire de Clermont, il ne s'agissait pas seulement de discipline, puisque la controverse roulait de plus sur l'absolution et sur les sacrements; en outre, l'intervention laïque n'est ni décente, ni opportune, quand le laïque n'est pas membre de l'Eglise. En effet, en pareille circonstance, les clercs peuvent dire au censeur : « Qui êtes-vous? Nous ne vous connaissons pas. La communion à laquelle vous appartenez, si toutefois vous faites partie d'une société religieuse quelconque, n'est pas la nôtre. Pour entrer en discussion sur un point de discipline ecclésiastique, il faut avant tout penser chrétiennement et catholiquement. Les paiens n'étaient pas reçus à se mêler de l'organisation de l'Eglise primitive, et encore moins à juger et à reprendre les évêques, quand il s'agissait de confession, de sacrements, de sépulture chrétienne. Vous nous accusez de prétendre à la domination, de vouloir ressusciter le pouvoir sacerdotal. Inculpation ridicule à propos d'une règle purement sacrée, et qui ressort proprement de la juridiction ecclésiastique. Vous vous vantez d'avoir protégé la religion et l'Eglise! sachez que l'Eglise et la religion ne se soucient pas plus de la protection. de leurs ennemis, qu'elles n'ont peur de leurs accusations et

1 Cousin, Disc. sur la renaiss. de la dom. ecclés. Paris, 1839.

de leurs calomnies. Et qui êtes-vous, vous qui prétendez avoir été le protecteur de la religion, et qui vous faites en ce moment l'accusateur de ses ministres? Malgré la noblesse et la droiture morale de votre esprit, que nous nous faisons un devoir de reconnaître, malgré certaines démonstrations pathétiques de christianisme et de catholicisme qui ne séduiront personne, qui êtes-vous? Un homme professant dans vos écrits, sans nulle équivoque, le rationalisme pur et le panthéisme, et infectant de ces doctrines les chaires et les écoles de votre patrie. Or, si avec cela vous osez nous dénoncer plaisamment comme aspirant à une domination injuste et abhorrée, nous vous accuserons, vous, et à meilleur droit, d'égarer la jeunesse par votre enseignement, et d'empoisonner les sources de la sagesse publique. Etrange protecteur de la religion, qui renouvelle les délires de Celse, de Porphire, de Proclus, dont il se vante d'être le disciple! Il n'y a qu'une différence entre vous et les anciens adversaires du christianisme : c'est qu'ils le combattaient visière levée, et qu'ils s'efforçaient de le renverser, alors qu'ils le voyaient plein de vie; tandis que vous, vous le croyez prêt à mourir, et vous lui portez le dernier coup, en feignant de l'adorer avec une soumission menteuse (15), ce qui vraiment ne nous épouvante guère. Mais ce que nous trouvons étrange, c'est le zèle et la folie de certaines gens qui ont la prétention de protéger la foi et de censurer la théologie, sans croire au catéchisme." Je me garderai bien de blâmer un corps aussi illustre que clergé français, en le voyant, dans ces conjonctures et d'autres semblables, regarder le silence comme plus digne de lui que la publicité; mais du moins il me sera permis de déplorer le résultat de ce silence, qui rend plus audacieux une foule d'hommes dont l'insolence croît à proportion de la retenue d'autrui, et dont on ne peut réprimer les cris qu'en les attaquant vigoureusement 1.

1 Il ne faut pas oublier que ces paroles ont été écrites en 1840. (N. d. T.)

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S'il est à désirer que les laïques étudient à fond la religion, il n'est pas moins important pour les clercs de se rendre habiles dans les sciences profanes; de là naissent une noble émulation et un doux commerce de sagesse entre les deux classes d'hommes qui se partagent la société civile. C'est pour cela qu'il me paraît utile de montrer l'union intime de la religion et de la philosophie, de découvrir entre l'une et l'autre, comme je crois l'avoir fait, des liens de parenté qui n'ont point encore été remarqués et qui rendent ces deux sciences absolument inséparables, bien que distinctes. Jusqu'ici on a voulu le plus souvent identifier la philosophie avec la religion, ou l'en isoler complètement : deux excès également funestes, qui les dénaturent l'une et l'autre et qui vont à les anéantir. Il me semble avoir prudemment évité ce double écueil; et comme j'ai trouvé que la raison et la révélation sont deux fleuves jaillissant d'une même source, l'unité du principe m'a donné sur les fondements de mon système, une sécurité et une confiance que sans cela je ne pourrais avoir. Je base la philosophie sur une formule aussi ancienne que le monde; d'une part, cette formule est le fondement et le faite de toute connaissance humaine; de l'autre, elle se trouve exprimée dans le monument le plus antique de la révélation, et elle est elle-même la plus magnifique preuve de sa vérité. J'invite ceux qui ne tiennent pas le christianisme pour une chimère ou une pure probabilité à s'occuper du noble travail d'une régénération philosophique. Je les invite à examiner les idées que j'expose pour les corriger si elles sont inexactes, les réfuter si elles sont fausses, et pour proposer une voie meilleure, que je serai le premier à suivre quand elle me sera montrée. Car, en vérité, il ne s'agit point ici de questions littéraires ou accessoires, dans lesquelles l'amourpropre serait plus excusable, mais bien des vérités les plus capitales, des problèmes les plus importants qui puissent être proposés aux amis de la science. Quant aux demi-sa

vants, je ne mépriserai pas non plus leurs observations. parce que la vérité est un don précieux qu'on doit accepte de quelques mains qu'il vous vienne; mais je les averti qu'il ne sera peut-être pas aussi facile qu'ils le croien d'exercer à mon égard cette censure dont ils sont si avides ni de prouver que j'ai tort par des raisons plausibles 1.

Dans tous les cas, je tiens la religion catholique non-seu lement pour une doctrine respectable, ainsi que l'appell bénignement la condescendance des éclectiques modernes mais je la regarde comme la seule qui ait réellement une va leur scientifique en matière spéculative; comme la seul philosophique, la seule capable d'aider aux progrès de civilisation. Et loin de croire les principes de la théologi antique passés de mode, fanés et devenus stériles, je le estime plus riches de jeunesse, de fraîcheur et de fécondité que ces théories qui datent de l'année où leurs auteurs le publient. L'opinion contraire ne m'émeut pas le moins d monde; car pareille à la mode qui est son thermomètre, ell disparaîtra bientôt pour faire place à une autre, et ainsi d suite, jusqu'à ce que de changement en changement on e revienne à l'antiquité, où les esprits se reposeront en recor naissant que la mode n'a point d'empire sur la vérité, et qu' le vrai est vrai, précisément parce qu'il est antique. Il y trente ou quarante ans, on voulait encore penser et croir d'après la mode; en France, on avait substitué le catéchism

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1 Ces paroles et beaucoup d'autres semblables ne s'adressent pas, comme on le voit, à ceux qui, sans avoir une érudition extraordinaire, ont pourtant de la modération, de la discrétion et de la politesse: Mais, aujourd'hui, le nombre des ignorants présomptueux est si grand, surtout parmi cette classe d'hommes qui s'imaginent avoir le privilége d'être savants sans étudier, comme ils ont celui d'être riches et de vivre sans travail, le nombre de ces ignorants présomptueux est si grand, dis-je, que j'ai pensé qu'en faisant connaitre mon sentiment sur ce point, je ne ferais pas une chose hors de saison. J'ai parlé assez clairement et peut-être trop, parce que je ne pouvais pas dire: Sapienti pauca.

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