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supposé même que l'origine de ce gouvernement ait été vicieuse, la légitimité lui est conférée par le concours des autres pouvoirs souverains, soit internes, soit externes, qui le reconnaissent 1. Telle est la doctrine catholique tant dans la théorie que dans la pratique; et c'est la seule qui soit conforme aux principes de la droite raison. Si les maximes des légitimistes étaient fondées, et qu'une dynastie reconnue par tous les pouvoirs nationaux et par toutes les puissances étrangères, sans en exclure le chef suprême de la chrétienté, fût usurpatrice, il n'y aurait peut-être pas en Europe un seul gouvernement légitime, et le droit politique serait impossible à concilier avec le repos dû au pays. Car contre un pouvoir absolument illégitime la rébellion ne peut être interdite. Il est vrai que plusieurs des sectaires dont nous parlons ont une logique tout-à-fait curieuse; ils se retranchent à l'ombre de ce principe, qu'il faut dans tous les cas obéir à l'usurpateur. Mais comment le devoir peut-il exister d'un côté, si de l'autre il n'y a point de droit? Il ne faudrait pas croire pour cela que leur soumission soit sincère. Ils ne se révoltent pas, parce qu'ils n'ont point les forces suffisantes pour une si grande entreprise. Mais ils ne se font pas scrupule de déchirer, de calomnier celui qui gouverne, de semer la défiance, de lui susciter des ennemis, d'attiser contre lui le feu de l'opinion publique, de chercher, par des moyens de toutes sortes, à rendre le gouvernement impossible. Or, s'il n'est pas permis de se révolter par les armes, comment justifier la rébellion par les paroles? Si la violence est défendue, comment les brigues et la fourbe peuvent-elles être autorisées? La loi divine et la loi humaine, en défendant la rébellion, interdisent les moyens d'arriver à cette fin, et tendent ainsi à la conservation du pouvoir public. Que si vous cherchez le but contraire, si vous voulez détruire ce même pouvoir, il importera

Cette doctrine sera développée en son lieu.

fort peu à la sûreté de votre conscience que vous le fassiez avec la parole et la plume, ou par les séditions et les armes. Et supposé qu'il y ait une différence morale entre l'un et l'autre de ces moyens, la noblesse et la générosité ne sont certainement pas de votre côté. Celui qui gouverne un état doit trouver parfois beaucoup moins désagréable de se voir attaquer franchement les armes à la main, que d'être chaque jour en butte à cette guerre d'insinuations perfides et de calomnies que se permettent contre lui les journaux et les libelles, qui le maltraitent et le déchirent avec une hypocrite malignité. Si ces hommes agissaient sincèrement, loueraientils ailleurs ce qu'ils blâment chez eux? L'Espagne avait traversé une longue série de malheurs, elle avait été désolée d'abord par les invasions étrangères, puis par les excès et les désordres civils, puis par un despotisme ignoble et corrupteur; enfin elle était parvenue à jouir d'un gouvernement, réunissant aux avantages de la monarchie les antiques libertés nationales. Ce gouvernement, s'il n'était pas absolument le meilleur, était certainement le meilleur qu'elle pût avoir alors, eu égard aux circonstances. Toute âme bien née désirait à ce noble et malheureux pays la paix et le repos, pour consolider le nouvel ordre de choses et effacer les traces de ses infortunes passées. Par malheur, un homme se rencontre qui prétend certains droits vrais ou faux dans l'origine (il importe peu de les examiner); cet homme croit pouvoir, humainement et chrétiennement, allumer dans sa patrie l'incendie de la guerre civile, et il est suivi dans son entreprise d'un petit nombre de prêtres insensés ou coupables, qui pensent faire une œuvre agréable à Dieu en poignardant ⚫ leurs concitoyens d'une main et en bénissant le poignard de l'autre. L'Europe, saisie d'horreur, vit sortir de cette guerre impie des atrocités dignes des temps les plus féroces et les plus barbares. Que font alors les légitimistes français? Ils applaudissent à cette rage scélérate et ils lui aident ; ils en

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couragent de tout leur pouvoir cette guerre fratricide, ils souhaitent que le carnage ne finisse pas, plutôt que de voir la victoire favoriser le parti opposé au leur. Un prêtre français (homme respectable d'ailleurs), aveuglé par le zèle des factions, se fait l'interprète de ces opinions délirantes et emploie sa plume à attiser chaque jour le feu de ce funeste incendie, sans songer même combien une telle conduite est indigne de la mansuétude du sacerdoce chrétien, sans songer que celui qui loue ou favorise d'une manière ou d'une autre des œuvres de sang, doit en répondre devant Dieu comme devant les hommes. Je me hâte d'ajouter que la portion la plus instruite et la plus sage du clergé français désapprouve ces égarements. Mais il est toujours douloureux de penser qu'il se trouve dans ce corps illustre un seul homme osant se faire en face de l'Europe le panégyriste d'une guerre qui déshonore la civilisation du siècle, et qui provoquera l'horreur de la postérité.

Et qu'on ne vienne pas ici invoquer la religion, comme si c'était lui être utile que de la rendre complice du despotisme et des fureurs civiles. Quiconque veut lui être vraiment utile doit se montrer ami des progrès sociaux, ne doit pas être hostile à ces changements amenés par les vicissitudes politiques, ou commandés par le caractère de l'époque. Si parmi les nouveaux gouvernements il s'en trouve quelques-uns qui ne paraissent pas trop aimer la religion, ce n'est pas tant leur faute que celle des hommes en général et du siècle lui-même. Quand vous changeriez les hommes qui gouvernent, vous ne pourriez pas changer les nations, et si les premiers sont odieux et qu'ils favorisent la religion, il en résultera qu'au lieu de lui être utiles, ils la rendront odieuse comme eux. Il est tels hommes en Europe qui, s'ils régnaient, montreraient certainement beaucoup de zèle pour la foi et pour l'Eglise; toutefois, ils feraient plus de mal à l'Eglise et à la foi que ne leur en ont fait les Césars persécuteurs du

christianisme. Le plus grand ennemi de la religion est un roi odieux et méprisé qui s'avise de la protéger. Voulez-vous réconcilier aux croyances catholiques les peuples égarés? Acceptez franchement les progrès de la civilisation moderne; accommodez-vous aux faits et aux institutions que le temps a apportés; combattez l'erreur, défendez la vérité et ses fondements, mais gardez-vous pourtant de ce sophisme puéril qui érige un fait en principe. Le consentement universel ne pourra jamais changer le faux en vrai; mais le consentement peut légitimer un fait auparavant illégitime, quand la moralité de ce fait dépend de ce consentement même. Croire que le principe de l'inviolabilité du pouvoir souverain force à regarder comme légitime un prince déchu, en vertu de la souveraineté même répartie entre les membres du grand corps des nations, c'est un paralogisme ridicule. A tout prendre, je tiens pour certain que le plus grand malheur qui puisse arriver à la religion en France et dans la péninsule espagnole, serait la restauration des dynasties déchues; et cela, non pas à cause du caractère personnel des princes, que je n'examine pas, mais parce que le parti qui dominerait alors ferait exécrer la religion dont il revêt le manteau. Parmi les profanations qu'elle a eu à subir de nos jours, il faut certainement compter l'audace de ceux qui osent élever pour étendard d'une guerre impie, l'image la plus aimable et la plus vénérée qui soit au monde après celle du Rédempteur; cette image qui exprime aux chrétiens tout ce que l'amour divin et humain a de plus pur, de plus noble, de plus tendre, de plus doux, de plus éloigné de la fureur et du sang. Et c'est au nom de Marie qu'une poignée d'insensés déchirent leur patrie et massacrent leurs frères! La postérité la plus reculée respectera comme un noble souvenir la piété de ces généreux Polonais, attaqués et non pas agresseurs, qui ont levé une bannière chrétienne pour défendre leur liberté, leur religion, et non pour usurper ou détruire la liberté d'au

4trui; pour sauver un pays et une nationalité, et non pour en opprimer un autre ; pour maintenir les traités violés par la perfidie d'un prince; car leur guerre était sainte et pieuse. Mais faire d'un étendard sacré un drapeau de parricide! Cette audace sacrilége devrait ouvrir les yeux à tous ceux qui croient être utiles à la foi en lui donnant l'appui des factions, qui l'adorent en apparence, et qui, dans le vrai, la blasphêment. Louons en retour et louons hautement la portion du clergé français qui professe un sincère et noble dévouement à l'organisation civile de sa patrie, qui sait qu'il est utile à la religion de consacrer cette organisation, en lui donnant la sanction suprême qu'elle ne peut recevoir d'ailleurs; oui, louons cette portion du clergé français qui, sans péril pour la foi ni pour son propre honneur, je dis plus, avec profit pour l'une et pour l'autre, rend hommage au gouvernement actuel, ce qu'elle ne pourrait peut-être pas faire à l'égard d'un autre gouvernement sans s'avilir et sans soulever contre elle d'amères calomnies, Le progrès de l'instruction solide et variée parmi le clergé français délivrera encore la religion d'un autre ver qui la ronge. Je veux parler de l'insolence de ces écrivailleurs (dont la France est si riche), qui osent raisonner et déraisonner sur les choses sacrées sans en savoir le moindre mot. Depuis que la secte des incrédules furieux est morte, il s'en est levé une autre une foule de théologiens de gazettes ont envahi la littérature sacrée ; et c'est à qui traitera le plus mal les questions les plus redoutables et les plus délicates. Mystères chrétiens, morale, Bible, tradition, conciles, pères de l'Eglise, histoire ecclésiastique, hiérarchie, culte, discipline, tout ressort de leur tribunal; et Dieu sait comme ils traitent ces objets vénérables, qu'un savoir puissant et mûr peut seul aborder. Loin de blâmer les laïques d'entrer dans l'étude de la religion, je reconnais que c'est chose très-utile, et je tiens que la modestie de René Descartes sur ce point sent fort l'hypocrisie 1

1 Voir la note 19 de ce volume.

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