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tomber dans quelques erreurs, malgré toutes ses sages précautions, car il ne borne ni ne mesure sa soumission à l'Eglise, et la résolution où il est d'obéir au moindre de ses signes. Cette liberté catholique élève au plus haut point la puissance de l'esprit dans un auteur; il en reçoit une aptitude singulière à faire marcher les sciences et à découvrir des mondes nouveaux dans la vaste sphère du scible. La foi en son propre génie est toujours nécessaire pour entreprendre et accomplir de grandes choses; mais il n'est donné qu'au seul catholique de s'y abandonner avec une parfaite tranquillité de conscience, car quelque fondées que lui paraissent ses idées, il les soumet à l'autorité suprême de l'enseignement, qui seul ne peut faillir (14).

Propager la science et la faire fleurir dans le clergé n'est pas une œuvre difficile en soi, mais les particuliers seuls n'y suffiraient pas. Il faut que les premiers pasteurs y apportent leur concours efficace, y emploient les moyens qu'ils ont en abondance, eux qui sont préposés au gouvernement de l'Eglise. Que les vénérables prélats dont la France admire la piété et la vertu choisissent dans leurs séminaires les jeunes gens qui promettent le plus ; qu'ils les délivrent du joug de certaines études trop élémentaires et trop restreintes; qu'ils leur fournissent les secours suffisants pour s'appliquer aux études vers lesquelles ils se sentent spécialement portés ; qu'ils fondent une institution où l'élite du clergé soit initiée aux sciences les plus élevées, et où la perfection de la discipline scientifique soit unie à celle de l'éducation cléricale; qu'ils réclament pour cette œuvre sainte et sacrée, qui entraînerait de grandes dépenses, le concours du gouvernement : celui-ci ne devrait point le refuser, puisqu'il s'agirait d'une entreprise éminemment utile, incapable de causer le moindre ombrage; puisque cette institution serait dirigée par le corps des évêques, et que les laïques y interviendraient, non comme arbitres, sans doute, mais comme conseillers. Que les

évêques français fassent cela, et deux générations ne se passeront point sans que l'église de France ait des théologiens, des philosophes, des érudits, des orientalistes, des physiciens et des mathématiciens illustres, capables de rivaliser heureusement et noblement avec l'élite des savants français et étrangers 1. C'est qu'en effet il est très-important de remar

1 Le vœu qu'exprime ici M. Gioberti est depuis vingt-cinq ans celui de l'épiscopat français. Car, connaissant mieux que personne les besoins de leurs églises, nos évêques ont compris parfaitement que l'institution de maisons de hautes études est nécessaire, non-seulement pour relever le clergé et lui faire reprendre son antique place à la tête du mouvement scientifique et littéraire, mais encore pour conserver et défendre la religion, aujourd'hui l'objet de tant d'attaques.

Dès 1822, les évêques dans leurs réunions s'occupent de cet important projet.

Au retour de Reims, après le sacre de Charles X, en 1825, les nombreux évêques qui se trouvaient alors à Paris sollicitèrent l'établissement d'une maison de hautes études, et, quelques semaines après, le 20 Juillet 1825, une ordonnance royale, contre-signée par M. l'évêque d'Hermopolis, statue: 1. Il sera établi à Paris une maison centrale de hautes études.

Nul ne pourra y être admis sans être engagé dans les ordres sacrés et sans avoir terminé les cours ordinaires de théologie et de philosophie. Une deuxième ordonnance nomme une commission pour l'organisation du nouvel établissement. - Le 16 Janvier, la commission se réunit au

Louvre, sous la présidence du cardinal de La Fare. Le gouvernement propose les bâtiments du Val-de-Grâce pour la tenue de l'école, mais de regrettables conflits de juridiction entre le grand-aumônier et l'archevêque de Paris empêchent la réalisation des premiers projets.

Dès lors, plusieurs évêques, malgré leur peu de ressources individuelles, songèrent à pourvoir leurs diocèses du bienfait de cet établissement. Les grands cours de Saint-Sulpice furent ouverts à Paris pour y suppléer. Dans les provinces, nous pourrions citer le cardinal de Rohan, archevêque de Besançon, qui fonda en 1829 une rente annuelle de 6,000 francs, affectés à l'entretien d'une maison de hautes études.

Depuis la révolution de 1830, plusieurs évêques ont manifesté les mêmes desseins. M. l'archevêque de Paris en a exprimé plusieurs fois l'intention formelle. Dans tous les diocèses de France on a introduit de nombreuses améliorations dans les cours d'études des séminaires; et notamment à Saint-Flour, à Bayeux, Coutances, etc.

quer que la science du clergé ne peut produire ses fruits qu'autant qu'elle est au-dessus, ou du moins à la hauteur de la science contemporaine. Si Bossuet et Malebranche n'avaient pas été, chacun dans son genre, égaux ou supérieurs aux savants de leur siècle, croyez-vous que les grands esprits d'alors auraient reconnu l'empire de la religion? Aussi, en se livrant aux sciences même profanes, le clergé est loin d'aller contre la fin principale de son ministère. Au contraire, il emploie le moyen le plus efficace pour l'atteindre : car ainsi il réconcilie la foi avec l'opinion publique, et l'accrédite universellement en la montrant ce qu'elle est, un assentiment raisonnable. Or, y a-t-il au monde un moyen plus propre à rendre la multitude capable de la foi, que de lui montrer dans les ministres et les docteurs de la religion l'élite de la sagesse nationale? Qu'il s'élève au sein du clergé moderne un seul homme illustre réunissant la science à la vertu, et il réussira peut-être mieux lui seul à réconcilier les classes élevées avec la foi catholique, que les missions et les prédications ordinaires. Ces derniers moyens sont certainement utiles, ils sont nécessaires, saints, pourvu qu'ils soient bien employés ; mais seuls, ils ne suffisent pas. Espérons que le temps n'est pas loin où tous les pasteurs des âmes seront convaincus que la science éminente est aujourd'hui nécessaire dans le clergé, pour préparer les voies aux œuvres et aux merveilles de l'apostolat.

Quoique l'église de France ne soit plus de nos jours en proie aux fureurs de la tempête ni au feu des persécutions, toutefois elle est encore loin de goûter le bonheur et la paix : des ennemis intérieurs la troublent, des guerres extérieures la travaillent, et il n'est pour elle qu'un moyen de triompher, c'est de devenir de plus en plus riche de sagesse et de

Que l'on donne à nos évêques les moyens de fonder des maisons de hautes études, et bientôt, en ce point comme en bien d'autres, l'église de France apprendra comment ils comprennent ses besoins, et ce qu'ils sauraient faire pour y pourvoir. ( N. d. T.)

science. Une secte obstinée et perturbatrice, qui emprunte le masque de la religion, s'est introduite dans le sanctuaire, où elle a réussi à gagner quelques ardents défenseurs. Je veux parler de ces factieux connus sous le nom de légitimistes. Chez eux, comme dans toutes les sectes, on rencontre sans doute des hommes généreux et loyaux, que des sentiments sincères attachent à la lignée du prince déchu et à l'inviolabilité du pouvoir monarchique qu'ils croient lésée par le nouvel état de choses; à la religion qui, selon eux, est plus en harmonie avec l'ancien régime; à la tranquillité et à la sûreté de l'état, qu'ils ont vu troubler par les dernières révolutions. Mais la plupart n'ont en vue que la ruine des libertés publiques 1, la restauration d'un pouvoir despotique qu'ils aiment, non pour lui-même, mais pour les richesses et les vices qui en forment le cortége. Ce sont en grande partie des nobles, qui soupirent après l'éclat et la domination du patriciat, derniers restes de l'état féodal; ce sont quelques prêtres (je le dis avec douleur), quelques prêtres qui pleurent les richesses perdues, et regrettent les intrigues séculières; ce sont des oisifs de toute espèce, pauvres d'argent et avides de plaisirs et de dissolution, qui n'ont point du tout ou point assez des faveurs d'une cour constitutionnelle, et qui regrettent ces bienheureux temps où les sueurs du peuple alimentaient les vices des courtisans et du roi. Il serait impossible d'imaginer une faction plus hostile que celle-là à l'Evangile, plus contraire à l'esprit généreux de l'Eglise catholique. Et qu'on ne vienne pas, pour lui donner une apparence d'honnêteté,

1 Fidèles à notre rôle de traducteurs, nous devons reproduire textuellement toutes les expressions de notre auteur; mais nous croyons également de notre devoir de déclarer que nous sommes loin de partager ici toute sa pensée. Etranger à la France, M. Gioberti a pu facilement prendre des exceptions pour la règle, en appréciant les hommes. Quant aux doctrines politiques, elles sont le domaine de la discussion, c'est au lecteur à les apprécier. (N. d. T.)

qu'on ne vienne pas l'abriter sous les dehors d'une fidélité chevaleresque, fût-elle sincère! L'idolâtrie des princes est une trouvaille moderne, et surtout française 1; jamais elle n'a pris ni ne prendra racine dans les cœurs mâles des Italiens. La fidélité envers les princes légitimes est un devoir : mais adorer un homme et une famille, leur subordonner toute affection et tout devoir, les préférer à ce qui est mille fois plus sacré, la nation et la patrie; en un mot, faire du monarque une idole et de la sujétion un culte, ce serait une exagération ridicule, si elle n'était souvent pernicieuse. Vous prétendez que de tels sentiments ne partent point de l'intérêt privé? J'y consens. Mais pour n'être pas ignoble, un instinct mérite-t-il d'être appelé héroïque ? S'il faut l'appeler ainsi, je dirai à mon tour qu'il y a un héroïsme faux et insensé, et que les héros extravagants ne sont pas ceux que l'histoire a loués. Quiconque éveille une guerre civile, trouble un pays, immole des millions d'innocents, occasionne des cruautés dont le récit pénètrera d'horreur, quiconque en agit ainsi, ne trouvera jamais dans le mépris qu'il fait lui-même de sa propre vie, l'excuse des moyens détestables qu'il dirige à son but. L'héroïsme doit avoir pour règle la raison, la justice, le bien général des hommes, loi suprême des organisations sociales. Tout autre héroïsme est une folie, un délit, une scélératesse qui méritent non l'apothéose, mais la prison, ou tout au moins les petites-maisons. L'idolâtrie des princes est un reste de ces ordres de chevalerie qui peuvent avoir procuré quelque bien à une époque barbare, mais qui ont fait leur temps, pour l'honneur et l'avantage de l'espèce humaine. Quand un gouvernement établi est reconnu par les différents pouvoirs de la nation et l'ensemble des autres peuples civilisés et chrétiens, il est en tout point légitime, quel qu'ait pu être le vice de son origine; car,

1 Machiavel, Discours, III, 41. Portrait de la France.

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