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Dans la suite des temps, lorsque les plébéiens eurent tellement abaissé les patriciens, que cette ® distinction de familles devint vaine, et que les unes et les autres furent indifféremment élevées. aux honneurs, il y eut de nouvelles disputes entre le bas peuple agité par ses tribuns, et les principales familles patriciennes ou plébéiennes, qu'on appela les nobles, et qui avoient pour elles le sénat qui en étoit composé. Mais, comme les, moeurs anciennes n'étoient plus, que des particuliers avoient des richesses immenses, et qu'il est impossible que les richesses ne donnent du pouvoir, les nobles résistèrent avec plus de force que les patriciens n'avoient fait; ce qui fut cause de la mort des Gracques et de plusieurs de ceux qui travaillèrent sur leur plan.

Il faut que je parle d'une magistrature qui contribua beaucoup à maintenir le gouvernement de Rome: ce fut celle des censeurs. Ils faisoient le dénombrement du peuple; et de plus, comme la force de la république consistoit dans la discipline, l'austérité des moeurs et l'observation constante de certaines coutumes, ils corrigeoient les abus que la loi n'avoit pas prévus, ou que le magistrat ordinaire ne pouvoit pas punir . Il y a

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a Les patriciens ne conservèrent que quelques sacerdoces,

et le droit de créer un magistrat qu'on appeloit entre-roi. · b Comme Saturninus et Glaucias.

On peut voir comme ils dégradèrent ceux qui, après la bataille de Cannes, avoient été d'avis d'abandonner l'Italie; ceux qui s'étoient rendus à Annibal; ceux qui, par une mauvaise interprétation, lui avoient manqué de parole.

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de mauvais exemples qui sont pires que les crimes; et plus d'états ont péri parce qu'on a violé les moeurs, que parce qu'on a violé les lois. A Rome, tout ce qui pouvoit introduire des nouveautés dangereuses, changer le coeur ou l'esprit du ci toyen, et en empêcher, si j'ose me servir de ceterme, la perpétuité, les désordres domestiques ou publics, étoient réformés par les censeurs: ils pouvoient chasser du sénat qui ils vouloient, ôter * à un chevalier le cheval qui lui étoit entretenu par le public, mettre un citoyen dans une autre tribu, et même parmi ceux qui payoient les charges de la ville sans avoir part à ses privi lèges a

M. Livius nota le peuple même; et de trentecinq tribus il en mit trente-quatre au rang de ceux qui n'avoient point de part aux privilèges de la ville b. ,, Car, disoit-il, après m'avoir

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condamné, vous m'avez fait consul et censeur: il faut donc que vous ayez prévariqué une fois ,, en m'infligeant une peine, ou deux fois en me créant consul et ensuite censeur."

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M. Duronius, tribun du peuple, fut chassé du sénat par les censeurs, parce que, pendant sa magistrature, il avoit abrogé la loi qui bornoit les dépenses des festins .

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Cela s'appeloit Ærarium aliquem facere, aut in caeritum tabulas referre. On étoit mis hors de sa centurie, on n'avoit plus le droit de suffrage.

↳ Tite - Live, liv. XXIX, chap. XXXVII.

Valère Maxime, liv. II, chap. IX, art. 5.

C'étoit une institution bien sage. Ils ne pouvoient ôter à personne une magistrature, parce que cela auroit troublé l'exercice de la puissance publique : mais ils faisoient déchoir de l'ordre et du rang, et privoient, pour ainsi dire, un citoyen de sa noblesse particulière.

Servius Tullius avoit fait la fameuse division par centuries, que Tite-Live bet Denys d'Halicarnasse nous ont si bien expliquée. Il avoit distribué cent quatre-vingt-treize centuries en six classes, et mis tout le bas peuple dans la dernière centurie, qui formoit seule la sixième classe. On voit que cette disposition excluoit le bas peuple. du suffrage, non pas de droit, mais de fait.. Dans. la suite on régla qu'excepté dans quelques cas particuliers on suivroit, dans les suffrages la division par tribus. Il y en avoit trente-cinq qui donnoient chacune leur voix, quatre de la ville, et trente-une, de la campagne. Les principaux citoyens, tous laboureurs, entrèrent naturellement dans les tribus de la campagne; et celles de la ville reçurent le bas peuple , qui, y étant enfermé, influoit très-peu dans les affaires; et cela étoit regardé comme le salut de la république. Et quand, Fabius remit dans les quatre tribus de la ville le menu peuple qu'Appius Claudius avoit répandu dans toutes, ilen acquit le surnom de très-grande.

a La dignité de sénateur n'étoit pas une magistrature.

b Liv. I, ch. XLIII.

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Liv. IV, art. 15 et suiv.

d Appelé turba forensis,

• Voyez Tite- Live, liv. IX, chap. XLVI.

Les censeurs jetoient les yeux tous les cinq ans sur la situation actuelle de la république, et distribuoient de manière le peuple dans ses diverses tribus, que les tribuns et les ambitieux ne pussent pas se rendre maîtres des suffrages, et que le peuple même ne pût pas abuser de son pouvoir.

Le gouvernement de 'Rome fut admirable, en ce que, depuis sa naissance, sa constitution se trouva telle, soit par l'esprit du peuple, la force du sénat, ou l'autorité de certains magistrats, que tout abus du pouvoir y put toujours être corrigé

Carthage périt, parce que, lorsqu'il fallut res trancher les abus, elle ne put souffrir la main de son Annibal même. Athènes tomba, parce que ses erreurs lui parurent si douces qu'elle ne voulut pas en guérir. Et parmi nous, les républiques d'Italie, qui se vantent de la perpétuité de leur gouvernement, ne doivent se vanter que de la perpétuité de leurs abus; aussi n'ont-elles pas plus de liberté que Rome n'en eut du temps des dé

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Le gouvernement d'Angleterre est plus sage, parce qu'il y a un corps qui l'examine continuellement, et qui s'examine continuellement luimême : et telles sont ses erreurs, qu'elles ne sontja mais longues, et que, par l'esprit d'attention qu'el les donnent à la nation, elles sont souvent utiles.

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En un mot, un gouvernement libre, c'est-àn dire toujours agité, ne sauroit se maintenir, s'il n'est par ses propres lois capable de correction.

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Ni même plus de puissance aut e r༢ sr 3EE+83» *TGཐེན Otp

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ORSQUE la domination de Rome étoit bornée dans l'Italie, la république pouvoit facilement subsister. Tout soldat étoit également citoyen: chaque consul, levoit une armée; et d'autres citoyens alloient à la guerre sous celui qui succédoit. Le nombre des troupes n'étant pas excessif, on avoit attention à ne recevoir dans la milice que des géns qui eussent assez de bien pour avoir intérêt à la conservation de la ville a. Enfin le sénat voyoit de près la conduite des généraux, et leur ôtoit la penséel de rien faire contre leur devoir.

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Mais lorsque les légions passèrent les Alpes et la mer, les gens de guerre, qu'on étoit obligé de laisser pendant plusieurs campagnes dans les pays que l'on soumettoit, perdirent peu à peu l'est prit de citoyens ; et les généraux, qui disposèrent

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a Les affranchis, et ceux qu'on appeloit capite censi, parce qu'ayant très-peu de bien ils taxés que pour leur tête, ne furent point d'abord éitôlés dans la milice de tèrre, excepté dans les acast Ipressants. Servius Tullius les avoit mis: dans la sixième classe, et on ne prenoit des soldats que dans les cing premières. Mais Marius. partant contre Jugurtha, enrôla indifféremment tout le monde: Milites scribere, dit Salluste, not more majorum neque ex classìbus, sed uti cujusque libido erat 5 capite censos plerosque. (De bello Jugurth.) Remarquez que, dans la division par ceux qui étoient dans les qui, dans la ditribus de la ville etoient à peu près les mêmes que vision par centuries, étoient dans la sixième classes i92%

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