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jurisconsultes et des plus grands orateurs qu'ait jamais eus l'Angleterre.

Un prêtre catholique fut accusé d'avoir dit la messe; son procès fut porté au tribunal du banc du roi; plusieurs témoins déposèrent contre lui. Mylord Mansfield, qui présidoit déjà ce tribunal, qu'il préside encore aujourd'hui à l'âge de quatre-vingt-six ans, dit au dénonciateur, principal témoin: Vous êtes bien sûr que cet homme est un prêtre papiste, et qu'il a dit la messe? Le témoin ayant répondu, oui, le juge répliqua : Vous savez donc ce que c'est qu'une messe? Le témoin se troubla, et ne put pas ré pondre. Alors mylord Mansfield, s'adressant aux jurés, leur dit : « Pour déclarer cet homme » coupable, il faut que vous ayez la preuve complète qu'il a dit la messe, et qu'il vous soit » démontré que c'est la messe que cet homme » disoit quand les témoins l'ont vu faire des actes » qu'ils ont pris pour la messe. Voyez si votre >> conscience est entièrement satisfaite sur ce » point. » Les jurés demandèrent aux témoins et se demandèrent à eux-mêmes, quelles étoient les cérémonies qui constituoient la messe; et n'ayant pu trouver une seule réponse satisfaisante, trouvèrent que le corps du délit n'étoit pas prouvé, et déclarèrent l'accusé non coupa

ble. Il est heureux de trouver un juge aussi sage; mais il est fâcheux que le juge soit obligé d'être plus sage et plus humain que la loi.

Voici une autre anecdote plus intéressante encore, parce qu'en offrant une nouvelle preuve de la sagesse et de l'esprit supérieur de mylord Mansfield, elle jette quelque lumière sur l'esprit de la multitude en général, et fait connoître en particulier le caractère du peuple anglais, lorsque dans ses passions même on lui parle au nom de la loi.

Ce grand magistrat étant, suivant l'usage d'Angleterre, en tournée dans une province pour y rendre la justice, on cita devant lui une vieille femme accusée d'être sorcière. Les habitans du lieu étoient fort échauffés contre elle, Des témoins déposèrent qu'ils l'avoient vu marcher en l'air, la tête en bas et les pieds en haut. Mylord Mansfield écouta tranquillement l'accusation et les témoins, et voyant la disposition du peuple, qu'il ne falloit pas irriter, dit à l'assemblée : : « Je ne doute pas que cette femme n'ait » traversé les airs la tête en bas et les pieds en » haut, puisque des témoins l'ont vu; mais elle a » l'honneur d'être Anglaise comme vous et moi >> par conséquent, elle ne peut être jugée que >> par les lois du pays, ni condamnée qu'autant

» qu'elle les aura violées. Or, je ne connois au>> cune loi qui défende de se promener en l'air et » de marcher la tête en bas et les pieds en haut. » Chacun de nous peut en faire autant impuné» ment: ainsi, je ne vois aucun motif de faire le » procès à l'accusée, qui peut s'en retourner >> chez elle quand elle voudra. » Ce discours calma tous les esprits, et la vieille femme sortit sans être inquiétée par personne,

S.

LA JEUNE BOHÉMIENNE,

L'HOMME, comme tous les animaux, aime l'indépendance par instinct; il ne goûte les avantages de la vie sociale que par habitude et sans réflexion. On a cité plusieurs exemples de sauvages qui, après avoir vécu quelque temps chez un peuple civilisé, avoient un beau jour quitté des habits qu'ils trouvoient incommodes, et renoncé à une vie dont ils ne sentoient que les gênes, pour retourner vers leurs anciens compagnons, et errer avec eux dans les bois et les déserts. L'aventure suivante, très - véritable et récemment arrivée, vient à l'appui de ces exemples, et présente le même résultat.

Il y a encore, en Angleterre, beaucoup de ces troupes vagabondes qu'on appelle Bohémiens, et que des lois anciennes et sévères n'ont pu détruire. On les appelle Gypsies, contraction d'Egyptiens. Ils parcourent les campagnes comme ailleurs, demandant l'aumône, volant les poules, et disant la bonne aventure, Leur air et leurs moeurs, leur teint basané,

leur langage plus accentué et plus animé, annoncent une race d'hommes différente de celle des naturels du pays.

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Une femme riche qui vivoit à la campagne, rencontra un jour une troupe de ces Gypsies dans lesquelles elle remarqua une jeune fille de sept à huit ans, dont la figure agréable, l'air vif et intelligent lui plut. Elle la demanda à sa mère pour l'élever et en prendre soin. La mère y consentit volontiers, moyennant quelques guinées qu'on lui donna. La jeune fille qui, jusques-là, avoit été exposée à toutes les intempéries de l'air, couverte de haillons sales et déchirés, mangeant du pain noir et des mets dégoûtans, couchant en plein champ ou dans une écurie, se trouva tout-à-coup transplantée dans une bonne maison, bien vêtue, bien nourrie, bien soignée et fort caressée. On lui donna des maîtres; elle concevoit avec une extrême facilité, mais elle n'aimoit pas l'application. Elle devint cependant aussi instruite que les jeunes personnes les mieux élevées. Elle avoit environ quatorze ans lorsqu'elle tomba dans une mélancolie dont il étoit difficile de la distraire. Un jour elle alla dans la chambre de sa bienfaitrice, et lui dit qu'elle vouloit la quitter. Pourquoi donc, mon enfant, lui dit la dame?

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