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MÉMOIRES

D'ANNE DE GONZAGUE,

PRINCESSE PALATINE.

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Il a paru en 1786 un ouvrage sous ce titre, qu'on annonçoit comme imprimé d'après un manuscrit nouvellement découvert et comme composé par la princesse palatine elle-même. Après avoir lu l'analyse suivante, qui en fut publiée dans le temps, il parut difficile de ne pas regarder ces mémoires comme supposés.

L'ORAISON funèbre d'Anne de Gonzague, par Bossuet, et les mémoires du cardinal de Retz ont rendu célèbre le nom de cette princesse. On sait la part qu'elle eut aux troubles de la fronde; elle joignoit l'esprit à la galanterie, et porta dans l'intrigue beaucoup de sincérité et beaucoup d'habileté. Des mémoires écrits par une femme de ce caractère ne pouvoient manquer d'attirer l'attention publique, qu'une autre considération a dû fixer plus particulièrement sur l'ouvrage que nous examinons.

Ces Mémoires sont-ils véritablement de la princesse palatine, ou sont-ils supposés ? c'est une question qui a dû s'élever dans l'esprit de ceux qui en ont lu la première page; mais qui, à ce qu'il nous semble, n'a pas dû tenir en suspens ceux qui en ont continué la lecture avec quelque attention. Tout, dans cet ouvrage, nous paroît avoir le caractère de la supposition: tout a l'empreinte de l'esprit et du langage moderne; nous croyons même que l'auteur n'a jamais prétendu tromper long-temps les lecteurs. Ecrivain ingénieux, mais copiste peu exercé sans doute, il ne s'est pas donné la peine d'envelopper cette petite fraude littéraire de toutes les vraisemblances dont elle eût été susceptible; peut-être même ne désire-t-il pas que l'erreur s'établisse. Un masque spirituel, après avoir amusé et embarrassé quelque temps la curiosité dans un bal, n'est pas fâché d'être à la fin reconnu et de jouir de ses succès. L'auteur des Mémoires d'Anne de Gonzague perdroit à garder le masque trop long-temps.

Entrons dans quelques détails pour prouver notre opinion. L'esprit et la galanterie, l'habileté et la sincérité dans les affaires, ce sont-là, suivant les témoignages uniformes de tous les mémoires du temps, les traits distinctifs du

caractère de la Palatine; ces mêmes traits doivent se retracer plus développés et mis en action dans des mémoires, écrits par elle-même, où sa sincérité naturelle devoit s'épancher avec d'autant plus de liberté, qu'elle ne les écrivoit que pour une amie et non pour le public. Voilà ce qu'on attend en ouvrant le livre, et ce qu'on ne trouve point en le lisant.

La princesse Palatine, dit le cardinal de Retz, estimoit autant la galanterie qu'elle en aimoit le solide : ce coup de pinceau hardi et piquant est un trait de caractère qui ne se retrouve point dans le cours des Mémoires. La Palatine, après avoir raconté les détails de sa première jeunesse, et une aventure avec M. de Guise, où elle montra un caractère passionné plutôt que tourné à la galanterie, ne parle plus d'elle, ni de ses amours, ni de ses liaisons de parti, ni même de son mariage. D'après son caractère établi, il est impossible que ses affections et ses goûts n'aient fort influé sur le parti qu'elle prenoit aux affaires; rien ne l'annonce. On ne la voit d'ailleurs presque jamais en action; elle n'entre dans les intrigues que pour dire son avis ou donner des conseils ; il est vrai qu'elle ne manque jamais de prédire tout ce qui doit arriver; mais cela n'est pas difficile lorsqu'on

raisonne en 1785 sur les événemens de 1645. Si l'on nous disoit que les détails de galanterie se trouvoient dans les passages des mémoires qui ont été supprimés, nous répondrions que l'esprit et le ton de galanterie n'auroit pu s'effacer de ce qui reste. Si l'on prétendoit qu'ayant écrit ses mémoires à un âge où elle ne regardoit plus ses galanteries que comme des erreurs de sa jeunesse qu'elle vouloit oublier, nous répondrions encore que ces mémoires sont supposés écrits vers 1664, au moment où elle venoit de perdre son mari, et qu'alors la liberté du veuvage, au lieu de la séparer du monde et des dissipations séculières, ne lui servit qu'à se plonger avec moins de contrainte dans les délices et à s'engager dans les routes les plus écartées du salut: c'est ce qu'on lit dans un précis historique très-édifiant sur la vie d'Anne de Gonzague, imprimé à la tête de plusieurs éditions des Oraisons funèbres de Bossuet.

On voit dans ce précis et dans d'autres écrits du temps, que la Palatine resta toujours trèsattachée et fidèle à la reine Anne, et qu'elle avoit sa confiance; mais on ne trouve dans les Mémoires aucun détail de cet attachement, de cette liaison intime avec la reine, encore moins d'une fidélité digne d'être louée par Bossuet;

la

on n'y remarque pas un trait ni d'estime pour le caractère, ni de véritable affection pour personne de cette reine.

L'auteur des Mémoires ne pouvoit pas manquer de chercher à relever la sincérité dans les affaires, que les contemporains de la Palatine lui ont tous accordée; mais c'est elle-même qui parle de sa sincérité et qui la fait valoir. Est-ce bien le propre de cette qualité de se louer ellemême ? C'est ce qu'on pourroit demander à l'auteur de quelques synonymes pleins d'esprit, de finesse et de raison, fort connus dans le monde, et qui mériteroient de l'être du public. La Palatine parle avec affectation de sa sincérité et ne la montre guère dans la conduite qu'on lui fait tenir. Elle a l'air de se jouer des différens partis, et met plus d'adresse que de sincérité dans les expédiens qu'elle propose pour accommoder les affaires; elle emploie même (p. 165) une finesse inutile pour empêcher Monsieur d'aller au parlement, où ce prince n'avoit, suivant elle-même, nulle envie d'aller.

On pourroit relever quelques légers anachronismes dans ces Mémoires. Par exemple, la princesse raconte (page 103) une conversation qu'elle a eue avec le coadjuteur, avant l'époque

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