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senté avec des chaînes qui lui sortoient de la bouche et venoient aboutir aux oreilles d'un peuple innombrable; quelqu'un ayant demandé qui avoit attaché tant d'oreilles à la bouche de ce héros, un philosophe lui répondit: Demandez plutôt qui a attaché ce malheureux à tant d'oreilles. Mais revenons à Platon : il n'y a qu'à lire ses dialogues pour sentir de combien de réflexions et d'étude est accompagné le talent dont l'avoit doué la nature. Consultez Cicéron, et vous connoîtrez encore mieux si le talent, si le ressort et la sensibilité suffisent pour former un orateur.

Je remarquerai, avant de finir cet article, que c'est l'élocution qui doit être regardée comme l'ame de l'éloquence, qu'elle seule embaume les ouvrages et leur assure l'éternité, et que, chez les Grecs et les Latins, elle dut sur-tout sa perfection au mécanisme de leur langue, dont tous les mouvemens étoient connus, calculés, et en même temps très-souples et très-libres. La nôtre n'a point, il est vrai, les mêmes avantages; cependant, quoique sa prosodie soit incertaine et presqu'arbitraire, quoique sa marche soit gênée et presqu'uniforme, nous ne laissons pas de trouver dans les ouvrages de nos bons écrivains une infinité d'exemples où, comme

dans les écrits des Grecs et des Latins, brillent toutes les parties de l'élocution, c'est-à-dire, où à la beauté et souvent même au sublime de l'expression se joignent les qualités harmonieuses et pittoresques du style: ainsi, lorsque le grand Bossuet, au lieu de dire que les hommes devenoient de jour en jour plus méchans, dit qu'ils alloient s'enfonçant dans l'iniquité, non-seulement il anime et ennoblit sa pensée en nous présentant l'iniquité sous l'image d'un gouffre immense et profond; mais il peint en même temps une masse énorme, descendant avec lenteur et par degrés dans l'abîme. Si ceux de nos auteurs qui ont traité de la langue s'étoient un peu plus attachés à l'envisager sous ce point dé vue, nous leur devrions non-seulement la conservation d'une infinité de formes excellentes qui sont vieillies et que rien ne supplée, mais encore un sentiment plus sûr et plus exquis sur l'harmonie du discours. Nous l'avons déjà dit: il en est des langues comme des mœurs; lorsqu'elles sont parvenues à leur perfection, il faut nécessairement les fixer, celles-ci par des lois, celles-là par des observations qui, en attachant l'attention à certains procédés, éclairent l'esprit sur les causes de l'impression qu'ils font sur l'oreille.

A.

LET TRE

DE M. MARIETTE,

Sur les ouvrages de M. PIRANESI.

PARM

ARMI le grand nombre d'ouvrages que le célèbre M. Piranesi a publiés sur les antiquités romaines, il en est un où il s'est proposé de faire l'apologie des Romains, et de montrer, contre votre sentiment qui est aussi le mien, que par rapport aux arts et pour ce qui concerne en particulier l'architecture, non-seulement ce peuple ne doit rien aux Grecs, mais qu'il a acquis sur ces derniers une grande supériorité par la solidité, la grandeur et la magnificence des édifices qui firent autrefois l'ornement de leur capitale (1). Il met ces bâtimens en opposition avec ceux qui appartiennent proprement aux Grecs, et dont on voit encore quelques vestiges, tant à Athènes que dans quelques autres

(1) Della magnificenza d'architettura de' Romani. 1761. In Roma.

parties de la Grèce. Il n'en trouve aucun qui soit pour la solidité, soit pour l'importance, lui paroisse comparable à la grande cloaque de Rome, aux fondations de l'ancien capitole, à l'émissaire (1) du lac Albane, et à quelques autres anciens édifices qui furent construits de gros et immenses quartiers de pierres dans les premiers temps de la république, et qui servent encore aux mêmes usages que dans leur origine. Le même M. Piranesi a recueilli un nombre considérable de chapiteaux, de bases, de fûts de colonnes, d'entablemens, etc. Ces divers morceaux, tous variés dans leurs formes, ainsi que dans les ornemens dont ils sont surchargés, lui fournissent, à ce qu'il prétend, des preuves convaincantes de la fécondité du génie des Romains; ce génie éclate encore, selon cet auteur, dans la grandeur et l'étendue de ces édifices spacieux qui, tout ruinés qu'ils sont,

(1) La crainte d'une inondation terrible fit interrompre aux Romains le siége de Veïés pour exécuter cet ouvrage, qui, tout difficile qu'il étoit, coûta assez peu de temps. Il fallut pourtant percer une montagne et y pratiquer un canal revêtu de pierre dans une longueur très-considérable. On craindroit de s'engager aujourd'hui dans une semblable entreprise. Il en est fait mention dans Tite-Live.

couvrent aujourd'hui dans Rome des espaces de terrain immenses; et voici comment il rai

sonne.

Les plus anciens bâtimens des Romains ont été construits avant qu'il y eût aucune communication entre leur nation et celle des Grecs. Les plus récens sont chargés d'ornemens et se distinguent par des membres d'architecture de forme bizarre, qui ne ressemblent en aucune manière aux mêmes membres dont les Grecs furent les inventeurs; donc les Romains n'ont rien emprunté ni rien appris des Grecs. Ils ne tiennent d'eux ni la science de la construction ou la meilleure façon de bâtir, ni le goût de la décoration.

Mais ce raisonnement ne prouve pas que les Romains aient trouvé l'un et l'autre dans leur propre fonds. M. Piranesi lui-même convient que lorsque les premiers Romains voulurent élever ces masses de bâtimens dont la solidité nous étonne, ils furent contraints d'emprunter la main des architectes étrusques leurs voisins. Autant valoit-il dire celle des Grecs, puisque ces étrangers, qui étoient Grecs d'origine, ne savoient des arts et n'en pratiquoient que ce qui avoit été enseigné à leurs pères dans le pays d'où ils sortoient.

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