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» Voyez-vous à l'extrémité de ce vallon ce >> chêne antique, dont les branches inclinées >> forment une ombre majestueuse? c'est-là qu'il » écoutoit le murmure du ruisseau, et qu'il sui>> voit des yeux son cours tranquille.

:

>> Tantôt il erroit au hasard dans la forêt » un sourire amer étoit sur ses lèvres; il profé>>roit quelques mots entrecoupés, images fan>>tastiques de ses sombres rêveries tantôt il » tomboit dans un long anéantissement comme >> un malheureux, abandonné de la nature en» tière ou tourmenté d'un amour sans espoir.

» Mais un jour il ne parut point au lever de >> l'aurore : en vain le soleil s'éleva sur l'horison, >> il ne vint point sous l'ombrage de la forêt, ni » sur le bord du ruisseau.

» Bientôt des chants lugubres, un funèbre >> appareil m'annoncèrent qu'il n'étoit plus : je » le vis porter lentement vers son éternelle de» meure. Lisez ces vers gravés sur la pierre: je vais écarter ces broussailles qui les couvrent.

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Reçois-le dans ton sein, ô terre bienfaisante! >> il ne brigua jamais ni les faveurs de la for>> tune, ni les éloges de la renommée; il appar» tint à la douce mélancolie, et la sagesse ne dédaigna point d'éclairer son humble nais

>>sance.•

» Le ciel le combla de ses faveurs; car il le >> doua d'une ame bienfaisante et sincère : il » n'avoit que des larmes à donner, il les ré>> pandit sur les malheureux : il ne désiroit qu'un » ami, et il eut un ami.

» Ne cherchez point à faire briller ses vertus » ni à tirer ses défauts de cet asyle terrible: c'est » ici que ses défauts et ses vertus reposent pour » jamais dans le sein de son père et de son Dieu » entre la crainte et l'espérance ».

Cette traduction nous a paru écrite avec beaucoup de goût, de force et d'harmonie, et ne laisse appercevoir nulle part la contrainte et la timidité d'une copie; il est vrai qu'en y conservant fidèlement l'esprit et le ton de l'original, on a substitué souvent des idées et des images nouvelles à celles qu'on a cra trop difficile de rendre heureusement en français. C'est à ceux qui connoissent le caractère différent des deux langues, et qui ont essayé de transporter des détails poétiques d'une langue étrangère dans la nôtre, à apprécier le mérite et la difficulté de ce travail. Cette traduction est l'ouvrage d'une dame jeune et aimable, qui joint aux agrémens de son sexe des connoissances et des talens qu'un homme

de

de lettres lui envieroit. Avec tout ce qui dispense ordinairement les femmes de réfléchir et de penser, elle s'est occupée de bonne heure à cultiver son esprit et à fortifier sa raison: c'est à elle que nous devons aussi le Portrait qu'on va lire. L'aimable auteur de ce petit ouvrage, en peignant le caractère de son ami, a peint en même temps le sien : c'est celui d'une ame honnéte délicate et très-sensible, d'une imagination vive et forte d'un esprit fin, accoutumé à observer et à réfléchir.

NOTE du nouvel éditeur. La personne désignée dans la note précédente est Mme. Necker, L'ami dont elle a fait le portrait étoit M. Moulton, ministre protestant de Genève, ami de J. J. Rousseau, qui avoit beaucoup d'esprit et de lumières, mais dont on ne connoit aucun ouvrage imprimé.

Tome IV.

P

PORTRAIT

DE MON AMI.

CLÉON reçut en naissant cette délicatesse d'organes qui accompagne souvent le génie; un feu brûlant coule dans ses veines, et répand la vie sur toutes ses actions; ce feu le nourrit et le consume; son esprit lui fournit une vigueur que son tempéramment lui refuse. Qu'un mot réveille une idée intéressante, aussitôt on le voit tressaillir; il se lève, il parle, il s'agite et semble dire: je n'existe que pour sentir et pour

connoître.

que

Quelle vie! quelle expression dans ses regards! de femmes envieroient ses yeux! Mais non, ils lancent le feu du génie; et quoique trèsgracieux, ils ne sont pas faits pour orner le front

de Vénus ni celui des Graces.

Ses traits ne sont ni mâles ni efféminés; son sourire est doux et tendre; sa physionomie fine, expressive, un peu singulière, peint naturellement la candeur et la gaieté; mais les fréquentes

secousses d'une imagination impétueuse lui font exprimer successivement le mépris, la colère ou l'indignation: en un mot, on ne peut regarder sa figure que comme le miroir de ses idées. Estil beau? est-il laid?.... Dites-moi ce qu'il pense dans ce moment, et je répondrai.

Le cœur de mon ami est inestimable à mes yeux; époux vertueux et fils attentif et soumis, dans les petits soins qu'il donne sans cesse aux devoirs de la nature et de l'amitié, on ne reconnoît plus ni ce mépris qu'il prétend éprouver pour les délicatesses minutieuses, nicet amour des grands principes qui lui fait abhorrer les détails. Soyons humains, dit-il quelquefois, mais que le bien soit l'ouvrage de notre raison et non celui du cœur, dont la sensibilité n'est jamais que foiblesse; point de compassion, c'est une petitesse; son orgueil la bannit, il est vrai, mais elle fuit au fond de son cœur. Son esprit dédaignant de suivre un sentier battu, s'écarte, sans s'égarer, dans des routes inconnues; son cœur, incapable de s'éloigner de la bonne nature, marche toujours à côté d'elle; ainsi ses sentimens et ses idées different constamment. Ses principes le tyrannisent. Cléon a passé sa vie à combattre ses passions, et le combat n'est pas fini.

Que de chimères dont il s'engoue! Il suffit

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