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ces zoophytes ou animaux - plantes. Si quelque chose paroît confirmer le systême de la continuité de la chaîne des êtres, ce sont ces formes intermédiaires qui paroissent remplir l'intervalle des végétaux et des animaux, et qui semblent être des animaux mi-partis de la chaîne immense de la nature. Cette idée, renouvelée des Grecs, est-elle aussi vraie qu'imposante? De la végétation au simple sable, à l'argile, n'y a-t-il pas une distance infinie? Les polypes, les orties de mer sont-ils bien réellement des animaux? Ont-ils du sentiment, et n'est-ce pas le don inexplicable du sentiment qui constitue l'animal? Apperçoit-on réellement une gradation continue et sans interruption entre les êtres? Nous voyons des animaux à quatre pieds et à deux; mais il n'y en a point à trois, malgré les admirables propriétés attribuées au nombre de trois par toute l'antiquité. On trouve des reptiles qui ont un nombre de pieds indéterminé. Combien d'espèces ne peut-on pas imaginer entre l'homme et le singe, entre le singe et d'autres genres?

Et si nous levons les yeux vers l'espace, quelle gradation proportionnelle y a-t-il entre les distances, les grosseurs et les révolutions des planètes? Cette chaîne prétendue se trouve rom

pue, de Saturne jusqu'aux entrailles de notre petit globe.

Nous finissons par remarquer que, quelque systême qu'on embrasse, il faut admettre une force motrice, qui, d'un embrion plus petit que la cent millième partie d'un ciron, forme un éléphant, un chène. C'est cette force motrice, le principe de tout, dont nous demandons raison. Elle agit d'un bout de l'univers à l'autre. Mais quelle est-elle ? L'éternel géomètre nous a permis de calculer, de mesurer, de diviser, de composer; mais pour les premiers principes des choses, il est à croire qu'il se les est réservés.

VOLTAIRE.

RÉFLEXIONS

Sur la manière dont l'Histoire romaine est écrite.

L'HISTOIRE romaine est encore à faire parmi nous. Il étoit pardonnable aux historiens romains d'illustrer les premiers temps de la république par des fables qu'il n'est plus permis de transcrire que pour les réfuter. Tout ce qui est contre la vraisemblance doit au moins inspirer des doutes; mais l'impossible ne doit jamais être écrit.

On commence par nous dire que Romulus, ayant rassemblé trois mille trois cents bandits, bâtit le bourg de Rome de mille pas en carré : or, mille pàs en carré suffiroient à peine pour deux métairies; comment trois mille trois cents hommes auroient-ils pu habiter ce bourg?

Quels étoient les prétendus rois de ce ramas de quelques brigands? N'étoient-ils pas visiblement des chefs de voleurs qui partageoient un gouvernement tumultueux avec une petite horde féroce et indisciplinée?

Ne doit-on pas, quand on compile l'histoire ancienne, faire sentir l'énorme différence de ces capitaines de bandits avec de véritables rois d'une nation puissante?

Il est avéré, par l'aveu des écrivains romains, que, pendant près de quatre cents ans, l'état romain n'eut pas plus de dix lieues en longueur et autant en largeur. L'état de Gênes est beaucoup plus considérable aujourd'hui que la république romaine ne l'étoit alors.

Ce ne fut que l'an 360 que Veïès fut prise après une espèce de siége ou de blocus qui avoit duré dix années. Veïès étoit auprès de l'endroit où est aujourd'hui Civita-Vecchia, à cinq ou six lieues de Rome; et le terrain autour de Rome, capitale de l'Europe, a toujours été si stérile que le peuple voulut quitter sa patrie pour aller s'établir à Veïès.

Aucune de ses guerres, jusqu'à celle de Pyrrhus, ne méritoit de place dans l'histoire, si elles n'avoient été le prélude de ses grandes conquêtes. Tous ces événemens jusqu'au temps de Pyrrhus sont pour la plupart si petits et si obscurs qu'il fallut les relever par des prodiges incroyables, ou par des faits destitués de vraisemblance, depuis l'aventure de la louve qui nourrit Romulus et Remus, et depuis celle de Lucrèce, de Clélie,

de Curtius, jusqu'à la prétendue lettre du méde cin de Pyrrhus, qui proposa, dit-on, aux Romains d'empoisonner son maître, moyennant une récompense proportionnée à ce service. Quelle récompense pouvoient lui donner les Romains, qui n'avoient alors ni or, ni argent; et comment soupçonne-t-on un médecin grec d'être assez imbécille pour écrire une telle lettre?

Tous nos compilateurs recueillent ces contes sans le moindre examen; tous sont copistes, aucun n'est philosophe. On les voit tous honorer du nom de vertueux des hommes qui au fond n'ont jamais été que des brigands courageux; ils nous répètent que la vertu romaine fut enfin corrompue par les richesses et par le luxe, comme s'il y avoit de la vertu à piller les nations, et comme s'il n'y avoit de vice qu'à jouir. de ce qu'on a volé. Si on a voulu faire un traité de morale au lieu d'une histoire, on a dû inspirer encore plus d'horreur pour les déprédations des Romains, que pour l'usage qu'ils firent des trésors ravis à tant de nations qu'ils dépouillèrent l'une après l'autre.

Nos historiens modernes de ces temps reculés auroient dû discerner au moins les temps dont ils parlent; il ne faut pas traiter le combat peu vraisemblable des Horaces et des Curiaces,

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