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objet une forte lumière; si l'on peut ajouter la beauté du coloris à l'énergie du dessin; si l'on peut, en un mot, représenter chaque idée par une image vive et bien terminée, et former de chaque suite d'idées un tableau harmonieux et mouvant, le ton sera nonseulement élevé, mais sublime.

Les ouvrages bien écrits seront les seuls qui passeront à la postérité : la quantité des connaissances, la singularité des faits, la nouveauté même des découvertes ne sont pas de sûrs garants de l'immortalité. Si les ouvrages qui les contiennent ne roulent que sur de petits objets, s'ils sont écrits sans goût, sans noblesse et sans génie, ils périront, parce que les connaissances, les faits et les découvertes s'enlèvent aisément, se transportent, et gagnent même à être mis en œuvre par des mains plus habiles. Ces choses sont hors de l'homme; le style est l'homme même. Le style ne peut donc ni s'enlever, ni se transporter, ni s'altérer. S'il est élevé, noble, sublime, l'auteur sera également admiré dans tous les temps; car il n'y a que la vérité qui soit durable, et même éternelle. Or, un beau style n'est tel en effet que par le nombre infini des vérités qu'il présente toutes les beautés intellectuelles qui s'y trouvent, tous les rapports dont il est composé, sont autant de vérités aussi utiles, et peut-être plus précieuses pour l'esprit humain que celles qui peuvent faire le fond du sujet.

Le sublime ne peut se trouver que dans les grands sujets. La poésie, l'histoire et la philosophie ont toutes le même objet, et un très-grand objet; l'homme et la nature. La philosophie décrit et dépeint la nature, la poésie la peint et l'embellit; elle peint aussi les hommes; elle les agrandit, elle les exagère; elle crée les héros et les dieux. L'histoire ne peint que l'homme, et le peint tel qu'il est ainsi le ton de l'historien ne deviendra sublime que quand il fera le portrait des plus grands hommes, quand il exposera les plus grandes actions, les plus grands mouvements, les plus grandes révolutions, et partout ailleurs il suffira qu'il soit majes tueux et grave. Le ton du philosophe pourra devenir sublime toutes les fois qu'il parlera des lois de la nature, de l'être en général, de l'espace, de la matière, du mouvement et du temps, de l'âme, de l'esprit humain, des sentiments, des passions; dans le reste, il suffira qu'il soit noble et élevé. Mais le ton de l'orateur et du poëte, dès que le sujet est grand, doit toujours être sublime, parce qu'ils sont les maîtres de joindre à la grandeur de leur sujet autant de couleur, autant de mouvement, autant d'illusion qu'il leur plaît; et que, devant toujours peindre et toujours agrandir les objets, ils doivent aussi partout employer toute la force, et déployer toute l'étendue de leur génie 1.

BUFFON.

Discours de réception à l'Acad. franç

1 On voit assez que ces préceptes si excellents et si admirablement présentés ne s'appliquent qu'à des ouvrages du genre de ceux que Buffon lui-même avait composés, et ne peuvent, sous certains rapports, convenir aux sujets poéti

ques, passionnés, dramatiques, plaisants, légers. C'est au professeur à faire sentir dans quels cas il faut les suivre à la lettre. (N. E.)

LEÇONS FRANÇAISES

DE LITTÉRATURE

ET

DE MORALE.

PREMIÈRE PARTIE.

PROSE.

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