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François Villon, dont Boileau a dit qu'il sut le premier

Débrouiller l'art confus de nos vieux romanciers,

se fit remarquer par un caractère opposé. Débauché, gai compagnon, assez peu scrupuleux sur la différence du tien et du mien pour avoir mérité la corde, il écrivit des bouffonneries et des satires qui abondent en saillies plaisantes mêlées à des réflexions sensées et même mélancoliques. Il faut lire les Deux Testaments et les Franches repues. Le genre qu'il avait mis en vogue fut continué, mais avec plus d'art que verve, par Coquillart, Pierre Faifeu, Guillaume Cretin, et plusieurs autres. Régnier, Marot, et le Mondain de Voltaire rappellent cette école.

ROMANS CHEVALERESQUES, HISTORIQUES, ALLEGORIQUES.

de

La plupart des poëtes français, tout en se renfermant, pour le fond, dans ce genre facile et rapide, tourmentaient la forme par des bizarreries qui ne prouvaient que la patience de leurs auteurs: c'étaient les acrostiches, les rimes batelées, brisées, équivoquées, fraternisées, rétrogradées, les vers à double face, etc. Plusieurs entreprenaient et parachevaient des poëmes de longue haleine où il n'était pas rare de compter dix-huit à vingt mille vers. Ces poëmes étaient de deux espèces, les poemes historiques ou chevaleresques, en vers ou en prose, et les poëmes allégoriques.

Le roman historique tantôt s'attachait à l'antiquité classique, de là les longs poëmes sur la guerre de Troie et sur la vie d'Alexandre, comme celui de Lambert Li Cors et d'Alexandre de Bernay qui employa la forme de vers appelée, d'après le sujet qu'il a traité, vers alexandrins; tantôt, il dénaturait l'histoire moderne par des exagérations poëtiques et des contes de légendaires. Tels sont le Roman du Rou de Robert Wace, le Récit de choses Merveilleuses de mon Temps, par Jean Moulinet, l'Histoire de France de Mousque d'Arras, la Vie de Duguesclin, par Cuvelier, etc. Les dicts du roi Arthur et de la table ronde, les faits de Charlemagne et de ses paladins, les aventures de Huon de Bourgogne, d'Ogier le Danois, de Renaud de Montauban, de Perceval le Gallois, et surtout le fameux Amadis de Gaule, que le Portugais Lobeira mit en vogue, étaient les sujets ordinaires des romans chevaleresques. Chrétien de Troyes, Huon de Villeneuve et beaucoup d'autres s'acquirent un nom dans ce genre. Le roman chevaleresque, en passant en Italie et en Espagne, produisit deux chefs-d'œuvre. L'un

fut son triomphe, l'autre son coup de mort; le Roland furieux de l'Arioste, et le Don Quichotte de Cervantes.

Un seul poëme allégorique suffit pour donner une idée des autres, c'est le Roman de la Rose, qui fut regardé pendant deux siècles comme le plus grand effort de l'esprit humain et qu'il est impossible de lire aujourd'hui jusqu'au bout. Une allégorie continuelle sur l'amour est le fond du sujet; le poëte renferme dans ce cadre des moralités et des descriptions assez longues, il est vrai, mais qui ne manquent ni de vérité ni d'élégance, et l'étalage habituellement fastidieux de son érudition scolastique et théologique. On distingue cependant, à travers ce mélange indigeste, la critique presque toujours spirituelle et moqueuse de la société, et surtout des femmes de son siècle. Ainsi brille dès l'origine le génie., essentiellement raisonneur et comique, de la poésie française. La première partie du Roman de la Rose écrite vers le milieu du xme siècle, par Guillaume de Lorris, que Marot appelait l'Ennius français, est bien supérieure à celle qu'y ajouta, au commencement du siècle suivant, Jean de Meung dit Clopinel. On peut s'en convaincre en

le

parcourant dans la bonne édition publiée par M. Méon en 1844. Les principaux ouvrages qui se rapprochent de ce modèle et dont quelquesuns l'avaient devancé, sont : le fameux Roman du Renard, celui du Nouveau Renard, par Jacques Gielée, le Champ vertueux de bonne vie, par Jean Dupin, le Champion des Dames, par Martin Franc, le Blason des fausses amours, de Guillaume Alexis, le joli poëme de l'Amant cordelier, de Martial d'Auvergne, la Danse aux aveugles, de Pierre Michaut, les poëmes moraux que l'on appelait Doctrinals, etc.

ART DRAMATIQUE, MYSTÈRES, MORALITÉS, FARCES, SOTIES.

Si déjà il est facile de remarquer dans les diverses branches de la littérature les influences indiquées au commencement de cet essai, elles sont plus frappantes et acquièrent une actualité plus spéciale encore lorsqu'il s'agit du théâtre. C'est dans les mystères et les cérémonies religieuses qu'il faut chercher le berceau de l'art dramatique chez les modernes comme chez les anciens. Mais le drame grec était né au sein d'une religion qu'Homère et les homérides avaient depuis longtemps rendue brillante et poétique, à une époque de patriotisme et de liberté qui préparait Marathon et Salamine; le drame français, au contraire, apparut dans un temps de bigoterie et d'ignorance, au milieu des boues de Paris,

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A

sous le règne de Charles VI, siècle d'anarchie et de licence, impur mélange de luxe et de barbarie; de là tous les défauts qui frappent dans ces pièces, leur platitude et leur trivialité, leurs plaisanteries toujours burlesques, souvent cruelles, la confusion du sacré et du profane, de la moralité presque idéale de l'Évangile avec les prosaïques réalités de la vie demi-sauvage de nos aïeux. On peut voir l'origine des mystères dans les rapsodies des pèlerins qui, revenus de la terre sainte, chantaient dans les villes et les châteaux leurs travaux et leurs misères, en variant ces récits de longs chapitres de l'Ancien et du Nouveau Testament; et d'une autre part, dans les fêtes superstitieuses, absurdes et ordurières qui se célébraient dans les églises et qu'on appelait la Féte des Fous, de l'Ane, des Innocents, etc. Ces éléments s'organisèrent en 1402, et des acteurs, sous le nom de confrères de la Passion, représentèrent des pièces que l'on appela Mystères. Les mystères, les moralités, les farces et les soties forment tout le drame de ce temps.

Pour connaître les premiers, il suffit d'en parcourir un seul. Le plus fameux de tous était le grand mystère, dont l'auteur est l'évêque Jean Michel. Il se compose de trois parties: la Conception, la Passion et la Résurrection, et se subdivise en 174 actes qui exigeaient au moins 400 acteurs. Tous les autres lui ressemblent. Le mystère des Actes des apôtres, par Arnauld Greban, renferme 80,000 vers; la représentation en dura 40 jours consécutifs. Il en est à peu près de même des mystères de l'Ascension et de la Pentecôte, de celui de la Nativité, par le malheureux Barthélemy Anneau, massacré par le peuple en 1565 sur un soupçon de protestantisme, des mystères de l'Apocalypse, de Job, d'Abraham, du Vieux Testament qui contenait plus de 62,000 vers, etc.

Une seconde catégorie de mystères renferme ceux dont le sujet était tiré de la vie des saints et des histoires de la légende; c'était la vie de monseigneur saint Jean-Baptiste, de saint Andry, saint Laurent, saint Dominique, saint Barthélemy, de madame Marie Magdeleine, de madame Barbe,de madame Geneviève, le mystère du roi Avenir, celui de la Sainte-Hostie, qui célèbre un fait encore conservé dans les traditions du Brabant, etc. Enfin une troisième espèce de mystères traitait des sujets de l'histoire profane, comme le mystère de Troie la Grande, celui de Griselidis, le mystère de la France, qui renferme les événements du règne de Charles VII, et qui se rapproche singulièrement des pièces bistoriques de Shakspeare, le génie du poëte anglais mis à part, bien entendu.

Une moralité n'était le plus souvent qu'un mystère abrégé. Le nombre des vers ne dépassait

pas mille ou douze cents. Jean Parmentier et la reine de Navarre se distinguèrent dans ces sortes de drames. Mais il y avait une espèce de moralité beaucoup plus curieuse et que le système allégorique du Roman de la Rose avait mise en vogue; l'étude d'une théologie creuse et d'une scolastique barbare et subtile, en exagérant le spiritualisme raffiné de l'allégorie, donna naissance à ces étranges compositions. Jean Moulinet, le modèle du genre, fit représenter ainsi la moralité du Rond et du Quarré, celle des Vigiles des morts. Il y en eut une des Quatre états de la vie, de Bienavisé et Malavisé, de Bonnefin et Malefin, de Peu, moins, trop et prou; une autre intitulée: Mundus, caro, demonia. Quelquefois les moralités n'étaient que de simples paraboles, morales ou politiques, comme celle de l'Enfant prodigue, du Mauvais riche, du Ladre, ou le développement en action de quelque conte populaire, telle est celle du Chevalier qui donna sa femme au diable, de l'Enfant de perdition qui tua son père et pendit sa mère, etc. Enfin dans quelques-unes le sujet est tout pastoral ou tiré de l'ancienne mythologie, comme la pastorale du Berger et de la Bergère, citée par M. Le Grand d'Aussy dans ses fabliaux des xne et xme siècles, et la moralité intitulée : la Folie et l'Amour, par Louise Labbé, surnommée la belle Cordière et la Sapho du xvio siècle; la jolie fable de La Fontaine qui porte le même titre peut donner une idée de cette spirituelle allégorie.

Le monopole des moralités appartenait aux clercs de la basoche. Pour varier leur spectacle, ils y joignirent les pièces bouffonnes nommées farces, et la troupe du prince des Sots joua en même temps les soties. Tandis que les Bourguignons, les Armagnacs, les Anglais, les Aventuriers, la Jacquerie, tiraillaient et déchiraient la France, et qu'on avait une peste tous les dix ans, fidèles au vieil esprit de causticité goguenarde, les basochiens et les sols se moquaient des vaincus et des vainqueurs, des ladres et des médecins. Louis XI, qui n'aimait pas toujours la plaisanterie, leur imposa silence, mais ils reparurent sous Louis XII, qui permit les théâtres libres, pour que la vérité, comme dit un auteur de son temps, arrivât jusqu'à lui. Parmi les soties de ce siècle dont le but principal était de réformer les abus, on distingue celle du médecin Nicole de La Chenaye, intitulée : la Condamnation des banquets, celle de l'Ancien Monde et du Nouveau Monde, qui rappelle la satire politique d'Aristophane; et la fameuse sotie de la Mère Sotte, par Pierre Gringore, dirigée principalement contre les abus ecclésiastiques.

Les soties et les farces sont infiniment supérieures aux mystères et aux moralités.

Molière lui-même n'eût pas désavoué plusieurs traits du Savetier et surtout l'immortelle farce de Patelin, admirable éclair de génie qui, à deux siècles d'intervalle, présage Tartufe à la France. L'auteur de Patelin est inconnu, on l'attribue à Pierre Blanchet de Poitiers, mort en 1519. M. François de Neufchâteau a cru le retrouver dans des fragments de la langue d'oc. Quoi qu'il en soit, comme dit Sainte-Beuve, Patelin, vieux titre littéraire, d'origine douteuse, mais avant tout gauloise, appartenant à une nation et à une époque plutôt qu'à un individu, vaut pour la France une rapsodie d'Homère, une romance du Cid, une chanson d'Ossian.

Louis XII était le père du peuple; François Ier, qui n'était que le père des lettres, établit la censure théâtrale et proscrivit les farces et les soties. En même temps les discussions religieuses qui occupaient les esprits faisaient plus vivement sentir quels inconvénients pouvaient naître du travestissement des dogmes religieux dans les mystères. Les parlements et le clergé donnèrent l'éveil au roi, qui interdit aux confrères de la Passion les sujets tirés des saintes Écritures, de peur de prêter à rire aux calvinistes ; tandis que Henri VIII défendait les mêmes représentations en Angleterre comme favorables au papisme. Les mystères disparurent alors pour jamais. Il est vrai qu'une puissance plus forte que les rois, les parlements et le clergé, et dont les arrêts sont bien plus difficilement cassés, l'opinion publique, les rejetait également. Les soties et les farces, au contraire, devaient renaître plus brillantes et produire plus tard Molière et Beaumarchais.

PROSE; CHRONIQUES ET MÉMOIRES.

Une observation qui ne peut échapper à ceux qui étudient l'ancienne langue française est l'extrême différence qui existe entre la poésie et la prose jusqu'au siècle de Louis XIV. Dès le principe, on s'apercoit que la poésie, j'excepte le théâtre, reste en général la langue du petit nombre; toujours fidèle aux vieilles formes, lors

qu'elle veut s'enrichir, elle préfère dans ses emprunts les idiomes de l'antiquité au langage vulgaire. La prose, au contraire, se plie successivement à toutes les impressions populaires, son premier besoin est d'être intelligible à tous, elle adopte sans répugnance les habitudes de la société qui doit la lire; elle comprend de prime abord la vérité que Voltaire a formulée depuis: Ce qui n'est pas clair n'est pas français. » Il suit de là que la prose du xive et du xve siècle est généralement d'une lecture beaucoup plus facile que la poésie de la même époque. C'est la pre mière remarque qui nous frappe en parcourant les auteurs de chroniques et de mémoires, les seuls prosateurs qui nous sont parvenus, ou du moins qui méritent de fixer l'attention.

Le plus ancien est ce bon sire de Joinville, qui suivit saint Louis à la croisade; hardi et jovial, d'une franchise de style qui témoigne en faveur de sa véracité, mais qui porte quelquefois le naïf jusqu'au trivial. Villehardouin et Olivier de La Marche lui furent inférieurs; le livre du premier est cependant fort remarquable par l'intérêt du sujet qu'il a traité. Froissart, que Walter Scott appelait son maître, les a tous surpassés ; l'Hérodote de l'histoire de France, car ce nom lui est dû, aussi naïf, aussi sensé que Joinville, est un coloriste plus brillant que lui; il a jeté dans ses mémoires ce merveilleux qui donne à ses annales l'apparence de notre roman historique moderne, mais qui n'est autre chose que le reflet de l'esprit de son temps. Au-dessus d'eux tous, se place Philippe de Comines; peintre de Louis XI, il est à la hauteur de son modèle, c'est le Tacite du moyen âge; il n'a point le style si éminemment pittoresque de Tacite, la langue du xive siècle ne l'admettait pas; mais on retrouve en lui la sagacité, l'expérience, souvent la profondeur de l'historien romain. N'oublions ni Jean de Troyes, le panégyriste du même prince, ni Monstrelet, ni Jean Le Maire, ni Christine de Pisan, ni Juvénal des Ursins dont l'étude est si importante pour celui qui veut connaître dans toute leur vérité les faits et les mœurs du xve siècle.

Mais déjà se préparait une grande révolution littéraire qui occupa toute la période suivante et se fit sentir surtout dans la poésie.

SEIZIEME SIÈCLE.

Un esprit de réforme universelle s'était emparé de l'Europe à la fin du règne de Louis XII. Ce fut d'abord contre le catholicisme qu'il se dirigea. Le protestantisme naissait en Allemagne, Henri VIII allait le faire monter sur le trône d'Angleterre. Il s'était déjà glissé au cœur de la France. Il en était la pensée dominante; un rapide coup d'œil jeté sur l'histoire, le théâtre, la littérature de cette époque suffit pour s'en convainere. La grande majorité des écrivains de ce temps, Henri Étienne, Rabelais, Marot, Pasquier, Montaigne, tournent au protestantisme et au scepticisme. Les écritures et les croyances fondamentales sont généralement respectées, mais toutes les plumes, sérieuses ou plaisantes, semblent uniquement dirigées contre les corporations religieuses, la discipline de l'Église et la plupart de ses dogmes. Il fallut la main de Francois Ier armée du glaive de l'inquisition et plus tard l'espingole de Charles IX, pour arrêter cette tendance qui ne succomba que sous le despotisme de Richelieu et la force morale de Louis XIV. Mais quand le besoin d'innover s'est une fois emparé des âmes, repoussé sur un point, il s'élance sur un autre, et toutes les institutions, tous les systèmes religieux, politiques, littéraires sont tour à tour attaqués et abandonnés; les idées et les hommes luttent, combattent, succombent, se relèvent, jusqu'à ce qu'enfin une grande pensée domine le chaos, et qu'à l'époque de criticisme succède une époque d'organisme. Car ces deux mots, dans leur acception nouvelle, peignent bien ces états de malaise et de repos successifs qui se partagent la vie des nations. Le seizième siècle tout entier est une époque critique.

POÉSIE LYRIQUE, SATIRIQUE, ÉPIQUE; CRITIQUE LITTÉRAIRE.

Octavien de Saint-Gelais et Jean Marot suivaient encore les traces de Villon; mais Clément, le fils de Jean, devait surpasser de bien loin et les disciples et le maître. C'est le premier de nos poëtes qui soit encore intelligible d'un bout à l'autre. Son caractère est une gracieuse causerie,

une naïveté vive et fine, qui jette le trait avec tant d'aisance et de naturel que, tout inattendu qu'il soit, il arrive souvent que la réflexion seule en révèle toute la portée. Il avait, dit Étienne Pasquier, une veine grandement fluide, un vers non affecté, un sens fort bon, et encore qu'il ne fût accompagné de bonnes lettres ainsi que ceux qui vinrent après lui, si n'en était si dégarni qu'il ne les mit souvent en œuvre fort à propos. Outre le conte, la chanson, le rondeau, la ballade, déjà en vogue, Marot cultiva l'épigramme, l'épitre, l'élégie et la satire qu'il appelait coq à l'âne; et partout son talent fut également facile et spirituel. Il y a plus d'antithèse, d'affectation, de mignardise, comme disait Pasquier, dans les poésies de Mellin de Saint-Gelais, le fils d'Octavien. Pierre Fabri, Eustorge de Beaulieu, Claude Collet, Lyon Jamet, Bérenger de La Tour, Étienne Dolet, Thomas Sebilet et une foule d'autres appartiennent à la même école. Il faut distinguer dans le nombre Jacques Gohorry, Maurice Seve, Victor Brodeau et La Borderie pour la piquante gaieté de leur esprit; Antoine Heroët, Gilles Corrozet, et Gilles d'Aurigny, qui prouvèrent par leurs pièces intitulées la Parfaite Amie, le Rossignol, et le Tuteur d'amour, que la galanterie n'exclut pas la décence. Charles Fontaine fut la dernière colonne d'un édifice que la réforme littéraire ébranlait déjà de toutes parts.

L'étude de l'antiquité apportée de Grèce en Italie et d'Italie en France faisait de rapides progrès et se répandait parmi les hommes éclairés ; elle était devenue la passion non-seulement des savants, mais aussi des poëtes et des littérateurs. Les premiers, qui n'employaient jusqu'alors que les langues mortes, voulurent prendre rang parmi les seconds qui n'étaient qu'hommes de cour et du monde, et forcer le langage commun à exprimer leurs idées. Mais ils sentirent en même temps la nécessité de l'élever à la hauteur des anciens idiomes dont ils étudiaient les chefs-d'œuvre. S'ils jetaient les yeux autour d'eux, ils ne voyaient dans le français qu'une langue à demi barbare, consacrée le plus souvent à des pensées communes, à de fades galanteries ou à des bouffonneries grossières. Tel était du moins l'effet que

devait produire Marot et son école sur l'esprit des jeunes enthousiastes qui sortaient tout transportés de la lecture d'Homère et de Virgile. Que firent-ils? Pleins d'une ardeur qu'ils croyaient patriotique, ils résolurent de rapprocher la littérature française, et pour le fond et pour la forme, de ces antiques littératures alors si admirées et si admirables en effet. Ils voulurent, comme dit Boileau, parler grec et latin en français, et cette erreur les perdit. Telle fut l'origine du système classique, dont Dubellay formula les théories, et dont Ronsard fut le plus parfait. modèle dans la pratique, système singulier où le besoin d'originalité ne conduisit qu'à une imitation servile et ridicule.

Dans les poésies de Dubellay, mort en 1560, on voit l'ode prendre la place de la chanson, le vers alexandrin retrouver sa dignité; il y a dans ses Regrets, espèce de poëme semblable aux Tristes d'Ovide, et dans le Poëte courtisan une certaine gravité mélancolique qui n'est pas sans charme. Quant à Ronsard, jamais peut-être aucun écrivain n'eut une telle réputation de son vivant. Comblé de la faveur des souverains français et étrangers, idolâtré de tous les savants, des poëtes et des littérateurs de son siècle, traduit dans presque toutes les langues, il fut pleuré de toute la France, et, pour me servir de l'expression de Sainte-Beuve, qui a écrit l'histoire de ce poëte et de son école, et a donné en 1828 une bonne édition de ses chefs-d'œuvre, sa mémoire, revêtue de toutes les sortes de consécrations, sembla entrer dans la postérité comme dans un temple. Les œuvres de Ronsard se composent d'odes, de chansons, d'élégies et du poëme épique de la Franciade. Au milieu de l'emphase trop souvent inintelligible qui fatigue dans ses divers ouvrages et qui le fit trébucher de si haut, on remarque de l'élévation dans l'idée et l'expression, et souvent des innovations heureuses dans le mécanisme du vers. Il faut reconnaître aussi que s'il ne réussit presque jamais comme imitateur de Pindare et d'Homère, il eut plus de succès dans le genre anacréontique. Plusieurs de ses chansons sont pleines de grâce. Tel est aussi le principal mérite de Jean-Antoine de Baïf, de Remi Belleau, d'Olivier de Magny, de Jacques Tahureau, de Claude de Pontoux, et de toute cette milice de poëtes qui combattaient sous les sept chefs que Ronsard avait appelés la pléiade poétique et qu'il commandait lui-même. Dubartas, au contraire, ne descendit jamais à la chanson, et dans son poëme de la Création du monde, il exagéra encorele faste pédantesque de Ronsard. Vauquelin de la Fresnaye fut plus simple; ses satires, ses Idylles et surtout son Art poétique méritent d'être lus. Il n'a pas été inutile à Boileau.

Cinquante ans ne s'étaient pas écoulés depuis les triomphes si enivrants de Ronsard, que déjà la carrière qu'il avait ouverte et parcourue avec tant d'éclat se refermait d'elle-même. Desportes, l'un des meilleurs poëtes de son école, se bornait à la chanson; il en faisait de délicieuses que toute la France savait par cœur ; la réserve de Bertaut allait jusqu'à la platitude; le cardinal Duperron, homme d'ailleurs habile et éloquent, Papillon, Lingendes, et ceux que l'on a appelés la queue de Ronsard, préparèrent la voie aux Colletet, aux Scudéri, et à toute cette race de poëtes que nous retrouverons au siècle suivant.

Mais il ne faut pas confondre avec eux les satiriques qui parurent alors. Leur enthousiasme politique ou leur génie ont mis à part ces héritiers de la vieille gaieté française, Passerat, Durant, qui contribuèrent à la satire Ménippée; Agrippa d'Aubigné, le champion intrépide et trop peu connu du protestantisme; Thomas de CourvalSonnet, et surtout Régnier, vrai créateur de la satire en France, naïf, hardi, cynique, mais moins effronté que Juvénal et peut-être plus réellement poëte que ne le fut Boileau lui-même, au moins dans ses satires. Il faut l'étudier dans l'édition et avec les remarques de M. Viollet Le Duc.

Ce ne fut pas cependant la faiblesse des successeurs de Ronsard qui donna à son école le coup mortel, et le fit tomber lui-même dans un aussi profond oubli que sa renommée avait été haute. Le xvIe siècle s'ouvrait par une réforme plus heureuse et plus durable. La gloire en était réservée à Malherbe.

ART DRAMATIQUE.

La réforme de Ronsard avait envahi toute la poésie de son temps, et, à défaut même des intérêts de la politique et de l'Église, elle eût suffi pour faire tomber le drame antérieur au xvi siecle. La transition fut singulièrement brusque; à des pièces tout à fait chrétiennes pour le fond, et françaises pour la forme, succédèrent, d'un seul bond, des drames entièrement païens et antiques pour la forme comme pour le fond. Les représentations des pièces grecques et latines traduites presque vers pour vers et mot pour mot étaient déjà habituelles dans les universités de France comme dans celles d'Allemagne, d'Italie et d'Angleterre. Protégées par Henri II, elles passèrent de là sur la scène; et bientôt la traduction littérale ne fut plus qu'une imitation libre. A part l'extrême ridicule du style, les pièces de ce temps sont de vraies tragédies grecques. Une action extrêmement simple, des actes fort courts, des personnages peu nombreux, des chœurs quelquefois brillants, une intention de gravité qui

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