ipsa æternitas semper tuebitur. Voilà pour l'étendue et la perpétuité; voici pour la solidité et la pureté de la gloire : Obstupescent posteri certè imperia, provincias, Rhenum, Oceanum, Nilum, pugnas innumerabiles, incredibiles victorias, monumenta, munera, triumphos audientes et legentes tuos. Sed nisi hæc urbs stabilita tuis consiliis et institutis erit, vagabitur modo nomen tuum longè atque latè; sedem quidem stabilem et domicilium certum non habebit 2. Voilà ce qui s'appelle définir magnifiquement. Nos orateurs modernes ont connu l'art de rendre les définitions éloquentes. Je vais en citer deux exemples, pris tous les deux de cette oraison funèbre de Turenne, qui fait la gloire de Fléchier. Voici comment il définit la valeur véritable, celle de son héros : N'entendez pas par ce mot (de valeur) une hardiesse vaine, indiscrète, etc. Voy. l'Oraison funèbre. bas. L'autre définition est celle d'une armée : Qu'est-ce qu'une armée, etc. Voyez plus A l'égard des définitions philosophiques, elles sont d'un usage d'autant plus fréquent dans les choses même les plus familières, que les hommes ne sont jamais en contradiction que pour n'avoir pas défini, ou pour avoir mal défini. L'erreur n'est guère que dans les termes. Ce que j'assure d'un objet, je l'assure de l'idée que j'y attache: ce que vous niez de ce même objet, vous le niez de l'idée que vous y appliquez. Nous ne sommes donc opposés de sentiments qu'en apparence, puisque nous parlons de deux choses différentes sous un même nom. Quand vous lirez clairement dans mon idée, quand je lirai clairement dans la vôtre, vous affirmerez ce que j'affirme, je nierai ce que vous niez; et cette conciliation des idées ne s'opère qu'au moyen des définitions. Il y en a qui donnent à penser ; il y en a d'autres qui en épargnent la peine. Du nombre des premières sont celles-ci, qu'Aristote nous a données Le juste est l'utile en commun. La prudence est la vertu de la raison dirigée au bonheur. La volupté est le seul bien que l'on désire pour lui-même. Un bien d'opinion est celui dont on ne ferait aucun cas, s'il fallait l'avoir en secret. Du nombre des dernières sont celles-ci, du même philosophe : La tyrannie est une monarchie sans limites. La magnanimité est une bien 1 N'appelle pas ta vie le souffle qui t'anime; ta vie est celle qui sera florissante dans la mémoire de tous les siècles, que la postérité prendra soin de nourrir, que l'éternité même prendra soin de défendre. 2 La postérité sera frappée d'étonnement, sans doute, en lisant ou en entendant raconter de toi des empires soumis, des provinces conquises; le Rhin, l'Océan, le Nil, asservis; faisance qui veut agir en grand. La mélancolie est à la fois douleur et volupté : douleur dans le regret, volupté dans le souvenir. Or on sent bien que celles qui demandent de la méditation ne sont pas du genre oratoire. Tout y doit être facile à saisir et à pénétrer d'un coup d'œil. L'auditeur n'a le temps ni d'hésiter ni de réfléchir. La pensée, en volant comme la parole, doit jeter sa lumière, et laisser son impression. Ceci peut distinguer l'éloquence parlée de l'éloquence écrite. MARMONTEL. Éléments de littérature, t. 11. LA BIBLE. L'Écriture surpasse en naïveté, en vivacité, en grandeur, tous les écrivains de Rome et de la Grèce. Jamais Homère même n'a approché de la sublimité de Moïse dans ses cantiques, particulièrement le dernier, que tous les enfants des Israélites devaient apprendre par cœur. Jamais nulle ode grecque ou latine n'a pu atteindre à la hauteur des psaumes; par exemple, celui qui commence ainsi : Le Dieu des Dieux, le Sei‹gneur a parlé, et il a appelé la terre, › surpasse toute imagination humaine. Jamais Homère ni aucun autre poëte n'a égalé Isaïe peignant la majesté de Dieu, aux yeux duquelles royaumes ‹ ne sont qu'un grain de poussière; l'univers qu'une tente qu'on dresse aujourd'hui, et qu'on enlève demain. Tantôt ce prophète a toute la douceur et toute la tendresse d'une églogue, dans les riantes peintures qu'il fait de la paix; tantôt il s'élève jusqu'à laisser tout au-dessous de lui. Mais qu'y a-t-il, dans l'antiquité profane, de comparable au tendre Jérémie, déplorant les maux de son peuple; ou à Nahum, voyant de loin, en esprit, tomber la superbe Ninive sous les efforts d'une armée innombrable? On croit voir cette armée, on croit entendre le bruit des armes et des chariots; tout est dépeint d'une manière vive qui saisit l'imagination; il laisse Homère loin derrière lui. Lisez encore Daniel, dénonçant à Balthazar la vengeance de Dieu toute prête à fondre sur lui; et cherchez, dans les plus sublimes originaux de l'antiquité, quelque chose qu'on puisse lui comparer. Au reste, tout se soutient dans l'Écriture; tout y garde le caractère qu'il doit avoir, l'histoire, le détail des lois, les des des batailles sans nombre, d'incroyables victoires, les monuments, les titres, les triomphes qui attesteront ta gloire ; mais si cette ville n'est rétablie par les conseils et par tes sages institutions, ton nom sera bientôt comme errant et vagabond dans l'univers sans avoir de demeure stable et de domicile assuré. criptions, les endroits véhéments, les mystères, les discours de morale; enfin, il y a autant de différence entre les poëtes profanes et les prophètes, qu'il y en a entre le véritable enthousiasme et le faux. Les uns, véritablement inspirés, expriment sensiblement quelque chose de divin; les autres, s'efforçant de s'élever au-dessus d'eux-mêmes, laissent toujours voir en eux la faiblesse humaine 1. FÉNÉLON. Dialogue sur l'éloquence de la chaire. L'ÉCRITURE SAINTE. Entre tous les avantages qui relèvent l'excellence et le prix de l'Écriture sainte au-dessus de tous les autres livres, un des plus admirables est ce parfait tempérament avec lequel elle joint l'une à l'autre deux choses qui paraissent incompatibles, une grande douceur et une grande majesté, un air simple et facile, et une extraordinaire élévation. Quand on la lit, et qu'on la médite, c'est comme un nouveau ciel qui s'ouvre, où l'on voit briller, pour ainsi dire, mille feux et mille lumières, et les rayons qu'elle envoie de toute part étonnent les yeux, et les éblouissent à mesure qu'elle les éclaire. Ce caractère est si sensible qu'il se fait remarquer de soi-même, et que l'on en peut aisément tirer une preuve certaine de sa divinité; on ne voit paraître dans ce livre, ni art, ni étude, ni philosophie, ni rhétorique, ni éloquence mondaine; et néanmoins, dépourvu de tous ces ornements, il ne laisse pas d'avoir ce que tout l'art du monde ne saurait donner, savoir: une souveraine autorité qui imprime le respect dans l'âme de ses lecteurs, avec une douceur qui attire et captive leur attention. Or n'est-ce pas là une preuve convaincante qu'il n'y a que Dieu qui puisse en être l'auteur? Au reste, si vous demandez pourquoi ces deux choses devaient ainsi se rencontrer dans les saintes Écritures, il n'est pas difficile d'en donner la raison : c'est un livre que le Saint-Esprit a dicté, et qui contient les plus hauts mystères de Dieu; il fallait donc, nécessairement, qu'il y eût un air de majesté répandu dans ses principales parties, qui eût rapport à la dignité de son auteur, et à l'excellence de sa matière; et puisque c'était un ouvrage destiné à l'instruction et à la consolation des hommes, et qu'il devait être mis entre les mains des plus simples, il fallait qu'il eût de la proportion avec la condition de ceux pour qui il était composé, et, conséquemment, qu'il eût de la simplicité et 1 Voyez, en vers, le même sujet. une sorte de familiarité. La sagesse divine a voulu, pour ces raisons, faire un juste accord de ces deux choses; mais ce qu'il y a de plus admirable, c'est que cette majesté et cette douceur ne se trouvent pas seulement dans quelques endroits de l'Écriture, mais partout, et qu'elle ne renferme presque pas un chapitre, ni une histoire, ni un discours, où l'on ne les découvre avec un peu de réflexion; cela se montre surtout, et plus particulièrement, dans ces paraboles que les évangélistes rapportent, et dont Jésus-Christ avait coutume de se servir lorsqu'il enseignait les peuples; car, d'un côté, la parabole est une espèce de langage figuré, familier et populaire, qui emprunte les images les plus communes et les plus connues, pour en faire naître d'autres plus profondes et plus éloignées de la portée commune des esprits; c'est une façon d'instruire engageante, qui réveille l'esprit, et l'applique agréablement en lui donnant lieu, par ce qu'on lui dit, de méditer sur ce qu'on ne lui dit pas : d'une autre part, les choses que Jésus a cachées sous ces voiles, sont les plus importants articles de sa doctrine, les secrets les plus relevés de la Providence et du salut des hommes: la matière en est sublime, et proportionnée à la grandeur de celui dont la parabole propose les mystères; la forme en est claire et facile, et proportionnée à notre capacité. CLAUDE. Premier sermon sur la parabole des Noces. IDÉE D'UNE PROVIDENCE UNIVERSELLE ET SPÉCIALE. Que je méprise ces philosophes qui, mesurant les conseils de Dieu à leurs pensées, ne le font auteur que d'un certain ordre général, d'où le reste se développe comme il peut! comme s'il avait, à notre manière, des vues générales et confuses, et comme si la souveraine intelligence pouvait ne pas comprendre dans ses desseins les choses particulières qui seules subsistent véritablement ! N'en doutons pas, Dieu a préparé dans son conseil éternel les premières familles qui sont la source des nations, et, dans toutes les nations, les qualités dominantes qui devaient en faire la fortune. Il a aussi ordonné dans les nations les familles particulières dont elles sont composées, mais principalement celles qui devaient gouverner ces nations, et en particulier, dans ces familles, tous les hommes par lesquels elles devaient ou s'élever, ou se soutenir, ou s'abattre : jusqu'à quel degré, et jusqu'à quel temps? il le sait, et nous l'ignorons. Ce long enchaînement des causes particulières qui font et défont les empires, dépend des ordres secrets de la divine providence. Dieu tient, du plus haut des cieux, les rênes de tous les royaumes; il a tous les cœurs en sa main: tantôt il retient les passions, tantôt il leur lâche la bride, et par là il remue tout le genre humain. Veut-il faire des conquérants, il fait marcher l'épouvante devant eux, et il inspire à eux et à leurs soldats une hardiesse invincible. Veut-il faire des législateurs, il leur envoie son esprit de sagesse et de prévoyance; il leur fait prévenir les maux qui menacent les États, et poser les fondements de la tranquillité publique. Il connaît la sagesse humaine, toujours courte par quelque endroit : il l'éclaire, il étend ses vues, et puis l'abandonne à ses ignorances il l'aveugle, il la précipite, il la confond par elle-même : elle s'enveloppe, elle s'embarrasse dans ses propres subtilités, et ses précautions lui sont un piége. Dieu exerce par ce moyen ses redoutables jugements, selon les règles de sa justice toujours infaillible. C'est lui qui prépare les effets dans les causes les plus éloignées, et qui frappe ces grands coups dont le contrecoup porte si loin 1. DE LA PROVIDENCE. BOSSUET. Que le monde est grand, qu'il est magnifique ! Que le gouvernement des États et des empires offre à nos yeux de sagesse, d'ordre et de magnificence, quand nous y voyons une Providence qui dispose de tout, depuis une extrémité jusqu'à l'autre, avec poids, avec nombre, avec mesure; qui voit les événements les plus éloignés dans leurs causes; qui renferme dans sa volonté les causes de tous les événements; qui donne au monde des princes et des souverains, selon ses desseins de justice ou de miséricorde sur les peuples; qui donne la paix, ou qui permet les guerres, selon les vues de sa sagesse; qui donne aux rois des ministres sages ou corrompus; qui dispense les bons ou les mauvais succès, selon qu'ils deviennent plus utiles à la consommation de son ouvrage; qui règle le cours des passions humaines, et qui, par des ménagements inexplicables, servir à ses desseins la malice même des hommes! Que le monde, considéré dans ce point de vue, et avec l'ouvrier souverain qui le conduit, est plein d'ordre, d'harmonie et de magnificence! fait Mais, si on en sépare la Providence, et qu'on le regarde tout seul, si on n'y voit plus que les passions humaines qui semblent mettre tout en mouvement, ce n'est plus qu'un chaos, qu'un théâtre 1 Voyez, en vers, Morale religieuse, etc. de confusion et de trouble, où nul n'est à sa place; où l'impie jouit de la récompense de la vertu ; où l'homme de bien a souvent pour partage l'abjection et les peines du vice; où les passions sont les seules lois consultées; où les hommes ne sont liés entre eux que par les intérêts mêmes qui les divisent; où le hasard semble décider des plus grands événements; où les bons succès sont rarement la preuve et la récompense de la bonne cause; où l'ambition et la témérité s'élèvent aux premières places que le mérite craint, et qu'on refuse au mérite; enfin, où l'on ne voit point d'ordre, parce que l'on n'y voit que l'irrégularité des mouvements, sans en comprendre le secret et l'usage. Voilà le monde séparé de la Providence. LA RELIGION. MASSILLON. Qu'est-ce que la religion? une philosophie sublime qui démontre l'ordre, l'unité de la nature, et explique l'énigme du cœur humain; le plus puissant mobile pour porter l'homme au bien, puisque la foi le met sans cesse sous l'œil de la Divinité, et qu'elle agit sur la volonté avec autant d'empire que sur la pensée; un supplément de la conscience, qui commande, affermit et perfectionne toutes les vertus, établit de nouveaux rapports de bienfaisance sur de nouveaux liens d'humanité; nous montre dans les pauvres des créanciers et des juges, des frères dans nos ennemis, dans l'Être suprême un père; la religion du cœur, la vertu en action, le plus beau de tous les codes de morale, et dont tous les préceptes sont autant de bienfaits du ciel. Le cardinal MAURY. L'ORATEUR CHRÉTIEN. Le christianisme élevait une tribune où les plus sublimes vérités étaient annoncées hautement pour tout le monde, où les plus pures leçons de la morale étaient rendues familières à la multitude ignorante; tribune formidable, devant laquelle s'étaient humiliés les empereurs souillés du sang des peuples; tribune pacifique et tutélaire, qui, plus d'une fois, donna refuge à ses mortels ennemis ; tribune où furent longtemps défendus des intérêts partout abandonnés, et qui, seule, plaidait éternellement la cause du pauvre contre le riche, du faible contre l'oppresseur, et de l'homme contre lui-même. Là, tout s'ennoblit et se divinise; l'orateur, maître des esprits, qu'il élève et qu'il consterne tour à tour, peut leur montrer quelque chose de plus grand que la gloire et de plus effrayant que la mort; ilpeut faire descendre du haut des cieux une éternelle espérance sur ces tombeaux où Périclès n'apportait que des regrets et des larmes. Si, comme l'orateur romain, il célèbre les guerriers de la légion de Mars, tombés au champ de bataille, il donne à leurs âmes cette immortalité que Cicéron n'osait promettre qu'à leur souvenir 1; il charge Dieu lui-même d'acquitter la reconnaissance de la patrie. Veut-il se renfermer dans la prédication évangélique, cette science de la morale, cette expérience de l'homme, ces secrets des passions, étude éternelle des philosophes et des orateurs anciens, doivent être dans sa main. C'est lui, plus encore que l'orateur de l'antiquité, qui doit connaître tous les détours du cœur humain, toutes les vicissitudes des émotions, toutes les parties sensibles de l'àme, non pour exciter ces affections violentes, ces animosités populaires, ces grands incendies des passions, ces feux de vengeance et de haine où triomphait l'antique éloquence, mais pour apaiser, pour adoucir, pour purifier les âmes. Armé contre toutes les passions, sans avoir le droit d'en appeler aucune à son secours, il est obligé de créer une passion nouvelle, s'il est permis de profaner, par ce nom, le sentiment profond et sublime qui, seul, peut tout vaincre et tout remplacer dans les cœurs, l'enthousiasme religieux qui doit donner à son accent, à ses pensées, à ses paroles, plutôt l'inspiration d'un prophète que le mouvement d'un orateur. VILLEMAIN. Discours d'ouverture, décembre 1822. LA MAJESTÉ ROYALE. Je n'appelle pas majesté cette pompe qui environne les rois, ou cet éclat extérieur qui éblouit le vulgaire : c'est le rejaillissement de la majesté, et non pas la majesté elle-même. La majesté est l'image de la grandeur de Dieu dans le prince. Le prince, en tant que prince, n'est pas regardé comme un homme particulier, c'est un personnage public; tout l'Etat est en lui; la volonté de tout le peuple est renfermée dans la sienne. Quelle grandeur, qu'un seul homme en contienne tant! La puissance de Dieu se fait sentir, en un instant, de l'extrémité du monde à l'autre. La puissance royale agit, en même temps, dans tout le royaume; elle tient tout le royaume en état, comme Dieu y tient tout le monde. Que Dieu retire sa main, le monde retombera dans le néant. 1 Voyez Cicéron, à la fin de la 14e Philippique. Le discours de Périclès, auquel l'auteur fait allusion, se trouve dans Thucydide, liv. II, chap. 33. (N. E) Que l'autorité cesse dans le royaume, tout sera en confusion. Ramassez tout ce qu'il y a de grand et d'auguste, voyez un peuple immense réuni en une seule personne; voyez cette puissance sacrée, paternelle et absolue; voyez la raison secrète qui gouverne tout le corps de l'État, renfermée dans une seule tête vous voyez l'image de Dieu, et vous avez l'idée de la majesté royale. Oui, Dieu l'a dit VOUS ÊTES DES DIEUX; mais, ô dieux de chair et de sang! ò dieux de boue et de poussière, vous mourrez comme des hommes! O rois! exercez donc hardiment votre puissance, car elle est divine et salutaire au genre humain ; mais exercez-la avec humilité, car elle vous est appliquée par le dehors; au fond, elle vous laisse faibles, elle vous laisse mortels, et elle vous charge devant Dieu d'un plus grand compte. BOSSUET. Éducalion de Mgr le Dauphin. CE QUE C'EST QU'UN ROI. Je n'appelle pas roi celui que le bonheur de la naissance a placé sur le trône, et qui, n'ayant de roi que le nom, esclave en effet des vices les plus honteux, sans talents, sans vertu, n'offre aux yeux de l'univers qu'un vain fantôme de la royauté. J'appelle roi celui qui, étant l'image de Dieu sur la terre par la participation de sa puissance, lui ressemble encore plus par la participation de ses vertus; qui, maître de ses passions, ne règne pas moins sur son cœur que sur les peuples qui lui sont soumis; qui, au-dessus des autres hommes par la hauteur de sa dignité, est au-dessus de sa dignité par la supériorité de ses talents; qui, versé dans la science profonde du gouvernement, suftit à tout par ses lumières, et qui, jaloux de ses devoirs, ne se repose que sur lui-même du pénible soin de les remplir; qui, redoutable à la guerre, facile à la paix, réunit en soi les qualités rarement compatibles de guerrier et de pacifique; qui, dans un juste milieu de clémence et de fermeté, sait tempérer la rigueur des lois sans affaiblir l'obéissance; pour tout dire, en un mot, qui, faisant de la justice le principe de ses délibérations et de ses conseils, la fait régner avec lui sur le même trône. MABOUL. Oraison funèbre de Louis XIF. LE RICHE ET LE PAUVRE DANS L'ESPRIT DU MONDE ET DANS L'ORDRE DE LA PROVIDENCE. Qu'est-ce qu'un riche dans l'esprit du monde' C'est un homme de jeux, de fêtes, de spectacles, d'amusements, dont toute la gloire consiste à être orgueilleusement frivole, tout le mérite à ne rien refuser à ses passions, et qui, ne mettant de bornes à ses désirs que celles de sa fortune, n'est grand le plus souvent qu'à force de crimes et de scandales. Dans l'ordre de la Providence, c'est un ange de paix et de consolation placé entre Dieu et les hommes, pour achever la distribution des biens de la terre c'est l'ambassadeur du ciel et comme l'apôtre de la Providence, obligé de la faire connaître à ceux qui l'ignorent, de la disculper auprès de ceux qui l'accusent. Et tel que l'astre du jour, dont la marche éclatante parle à tous les yeux de la gloire de son auteur, le riche, par ses bienfaits, parle au cœur de tous les hommes de la sagesse et de la bonté divine; et, selon qu'il est avare ou généreux, sensible ou inexorable, il devient pour les peuples un objet, ou de terreur, ou de consolation: un dieu, s'il est bienfaisant; un monstre, s'il est barbare. De même, qu'est-ce qu'un pauvre selon le monde? Hélas! quelles couleurs pourraient nous le dépeindre? C'est un être isolé, proscrit, triste rebut de la nature entière; qui semble, dit le sage, comme échappé à la Providence; qui rampe avec dédain sur la surface de la terre; à qui la misère a comme imprimé sur le front un caractère de honte et d'ignominie: errant, fugitif, et comme retranché du reste des humains, semblable à ces lieux que la foudre a frappés, et dont on n'approche qu'en tremblant, on ne le rencontre qu'avec peine, on ne l'approche qu'avec horreur; c'est, ce semble, lui faire grâce que de lui parler; l'humanité en lui n'a plus de droits, le malheur plus de dignité; on ne le plaint même pas, on ne le secourt qu'avec dégoût; et, réduit à rougir de son existence, il semble qu'en devenant malheureux, il a cessé d'être homme. Dans l'ordre de la Providence, au contraire, un pauvre, c'est en quelque sorte le plus intéressant de ses ouvrages, et comme le secret de sa sagesse, qui a rendu le pauvre précieux et nécessaire au riche; qui a voulu que le riche fût le protecteur du pauvre, et le pauvre le sauveur des riches qu'il délivre du danger des richesses sur la terre, en leur offrant les moyens de les convertir en charités qui leur servent à acheter le ciel; en sorte que le pauvre, dans l'ordre de la Providence, est tout à la fois un juge qui tient dans sa main le sort des grands et des riches, qui entasse sur leur tête ou des bénédictions ou des anathèmes. C'est-à-dire, en un mot, que le riche et le pauvre, dans l'ordre de la Providence, sont le contraire de nos idées : le riche en est le ministre, le pauvre en est le bien-aimé ; le riche a ses ordres, et le pauvre a ses droits, l'un pour donner, l'autre pour recevoir. Et de même que cette Providence s'est reposée sur les parents de l'éducation des familles, sur les législateurs du gouvernement de la société, sur les rois de la conduite des empires, elle a fait les riches pour se reposer sur eux du soin des pauvres, et elle ne leur a donné plus de biens que pour les distribuer à ceux qui en manquent, pour remplir par leurs largesses l'intervalle que la misère a mis entre eux et leurs frères. CAMBACÉRÈS. LA VÉRITÉ. La vérité, cette lumière du ciel, est la seule chose ici-bas qui soit digne des soins et des recherches de l'homme. Elle seule est la lumière de notre esprit, la règle de notre cœur, la source des vrais plaisirs, le fondement de nos espérances, la consolation de nos craintes, l'adoucissement de nos maux, le remède de toutes nos peines; elle seule est la source de la bonne conscience, la terreur de la mauvaise, la peine secrète du vice, la récompense intérieure de la vertu; elle seule immortalise ceux qui l'ont aimée, illustre les chaînes de ceux qui souffrent pour elle, attire des honneurs publics aux cendres de ses martyrs et de ses défenseurs, et rend respectables l'abjection et la pauvreté de ceux qui ont tout quitté pour la suivre; enfin, elle seule inspire des pensées magnanimes, forme des âmes héroïques, des âmes dont le monde n'est pas digne, des sages seuls dignes de ce nom. Tous nos soins devraient donc se borner à la connaître, tous nos talents à la manifester, tout notre zèle à la défendre; nous ne devrions donc chercher dans les hommes que la vérité, et ne souffrir qu'ils voulussent nous plaire que par elle en un mot, il semble qu'il devrait suffire qu'elle se montrât à nous pour se faire aimer, et qu'elle nous montrat à nous-mêmes pour nous apprendre à nous connaître. L'HYPOCRISIE. MASSILLON. Quand je parle de l'hypocrisie, ne pensez pas que je la borne à cette espèce particulière qui consiste dans l'abus de la piété, et qui fait les faux dévots; je la prends dans un sens plus étendu, et d'autant plus utile à votre instruction, que peutêtre, malgré vous-mêmes, serez-vous obligés de convenir que c'est un vice qui ne vous est que trop commun; car j'appelle hypocrite quiconque, sous de spécieuses apparences, a le secret de cacher les désordres d'une vie criminelle. Or, en ce sens, on ne peut douter que l'hypocrisie ne soit |