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forme d'une trompe, dont elle fait les fonctions: | templons ces petits ménages, ces royaumes, l'oiseau la darde hors de son bec, et la plonge jusqu'au fond du calice des fleurs pour en tirer les sucs.

Rien n'égale la vivacité de ces petits oiseaux, si ce n'est leur courage, ou plutôt leur audace. On les voit poursuivre avec furie des oiseaux vingt fois plus gros qu'eux, s'attacher à leur corps, et, se laissant emporter par leur vol, les becqueter à coups redoublés jusqu'à ce qu'ils aient assouvi leur petite colère. Quelquefois même ils se livrent entre eux de très-vifs combats : l'impatience paraît être leur âme ; s'ils s'approchent d'une fleur, et qu'ils la trouvent fanée, ils lui arrachent les pétales avec une précipitation qui marque leur dépit. Ils n'ont d'autre voix qu'un petit cri fréquent et répété; ils le font entendre dans les bois dès l'aurore, jusqu'à ce qu'aux premiers rayons du soleil tous prennent l'essor, et se dispersent dans les campagnes.

LES INSECTES.

LE MÊME.

Jetons les yeux sur ce que la nature a créé de plus faible, sur ces atomes animés, pour lesquels une fleur est un monde, et une goutte d'eau un océan. Les plus brillants tableaux vont nous frapper d'admiration. L'or, le saphir, le rubis, ont été prodigués à des insectes invisibles. Les uns marchent le front orné de panaches, sonnent la trompette, et semblent armés pour la guerre ; d'autres portent des turbans enrichis de pierreries, leurs robes sont étincelantes d'azur et de pourpre. Ils ont de longues lunettes, comme pour découvrir leurs ennemis, et des boucliers pour s'en défendre. Il en est qui exhalent le parfum des fleurs, et sont crées pour le plaisir. On les voit avec des ailes de gaze, des casques d'argent, des épieux noirs comme le fer, effleurer les ondes, voltiger dans les prairies, s'élancer dans les airs. Ici on exerce tous les arts, toutes les industries; c'est un petit monde qui a ses tisserands, ses maçons, ses architectes. On y reconnaît les lois de l'équilibre; et les formes savantes de la géométrie. Je vois parmi eux des voyageurs qui vont à la découverte, des pilotes qui, sans voile et sans boussole, voguent sur une goutte d'eau à la conquête d'un nouveau monde. Quel est le sage qui les éclaire, le savant qui les instruit, le héros qui les guide et les asservit? Quel est le Lycurgue qui a dicté des lois si parfaites? Quel est l'Orphée qui leur enseigna les règles de l'harmonie? Ont-ils des conquérants qui les égorgent, et qu'ils couvrent de gloire? Se croient-ils les maîtres de l'univers, parce qu'ils rampent sur sa surface? Con

ces

républiques, ces hordes semblables à celles des Arabes une mite va occuper cette pensée qui calcule la grandeur des astres, émouvoir ce cœur que rien ne peut remplir, étonner cette admiration accoutumée aux prodiges. Voici un insecte impur qui s'enveloppe d'un tissu de soie, et se repose sous une tente; celui-ci s'empare d'une bulle d'air, s'enfonce au fond des eaux, et se promène dans son palais aérien. Il en est un autre qui se forme, avec un coquillage, une grotte flottante, qu'il couronne d'une tige de verdure. Une araignée tend sous le feuillage des filets d'or, de pourpre et d'azur, dont les reflets sont semblables à ceux de l'arc-en-ciel 1. Mais quelle flamme brillante se répand tout à coup au milieu de cette multitude d'atomes animés? Ces richesses sont effacées par de nouvelles richesses. Voici des insectes à qui l'aurore semble avoir prodigué ses rayons les plus doux. Ce sont des flambeaux vivants qu'elle répand dans les prairies; voyez cette mouche qui luit d'une clarté semblable à celle de la lune, elle porte avec elle le phare qui doit la guider. Tandis qu'elle s'élance dans les airs, un ver rampe au-dessous d'elle : vous croyez qu'il va disparaitre dans l'ombre; tout à coup il se revêt de lumière comme un habitant du ciel ; il s'avance comme le fils des astres tout s'illumine, et ces reflets éclatants, ces flammes célestes qui rayonnent autour de lui, éclairent les doux combats, les extases et les ravissements de l'amour. AIME-MARTIN. Préambule des Harmonies de la Nature.

LE SERPENT.

Ses mouvements diffèrent de ceux de tous les autres animaux on ne saurait dire où gît le principe de ses déplacements; car il n'a ni nageoires, ni pieds, ni ailes; et cependant il fuit comme une ombre, il s'évanouit magiquement; il reparaît, disparaît encore, semblable à une petite fumée d'azur, ou aux éclairs d'un glaive dans les ténèbres. Tantôt il se forme en cercle, et darde une langue de feu; tantôt, debout sur l'extrémité de sa queue, il marche dans une attitude perpendiculaire, comme par enchantement. Il se jette en orbe, monte et s'abaisse en spirale, roule ses anneaux comme une onde, circule sur les branches des arbres, glisse sous l'herbe des prairies ou sur la surface des eaux. Le labyrinthe avait moins de sinuosités que les méandres tracés par ce reptile. Ses couleurs sont aussi peu déter

1 L'araignée du Mexique, nommée alocati.

minées sa marche ; que elles changent à tous les aspects de la lumière, et, comme ses mouvements, elles ont le faux brillant et les variétés trompeuses de la séduction.

Plus étonnant encore dans le reste de ses mœurs, il sait, ainsi qu'un homme souillé de meurtre, jeter à l'écart sa robe tachée de sang, dans la crainte d'être reconnu. Par une étrange faculté, il peut faire rentrer dans son sein les petits monstres que l'amour en a fait sortir. Il sommeille des mois entiers, fréquente les tombeaux, habite les lieux inconnus, compose des poisons qui glacent, brûlent ou tachent le corps de sa victime des couleurs dont il est lui-même marqué. Là, il lève deux têtes menaçantes; ici, il fait entendre une sonnette; il siffle comme un aigle de montagne, mugit comme un taureau. Objet d'horreur ou d'adoration, les hommes ont pour lui une haine implacable, ou tombent devant son génie. Le Mensonge l'appelle, la Prudence le réclame, l'Envie le porte dans son cœur, et l'Éloquence à son caducée. Aux enfers, il arme le fouet des furies; au ciel, l'éternité en fait son symbole. Il possède encore l'art de séduire l'innocence. Ses regards enchantent les oiseaux dans les airs; et, sous la fougère de la crèche, la brebis lui abandonne son lait 1.

CHATEAUBRIAND. Génie du Christianisme.

LE SERPENT DEVIN.

C'est surtout dans les déserts brûlants de l'Afrique qu'exerçant une domination moins troublée, le serpent devin parvient à une longueur plus considérable. On frémit lorsqu'on lit, dans les relations des voyageurs qui ont pénétré dans l'intérieur de cette partie du monde, la manière dont cet énorme serpent s'avance au milieu des herbes hautes et des broussailles, ayant quelquefois plus de dix-huit pouces de diamètre, et semblable à une longue et grosse poutre qu'on remuerait avec vitesse. On aperçoit de loin, par le mouvement des plantes qui s'inclinent sur son passage, l'espèce de sillon que tracent les diverses ondulations de son corps; on voit fuir devant lui les troupeaux de gazelles et d'autres animaux dont il fait sa proie; et le seul parti qui reste à prendre dans ces solitudes immenses, pour se garantir de sa dent meurtrière et de sa force funeste, est de mettre le feu aux herbes déjà à demi brûlées par l'ardeur du soleil. Le fer ne suffit pas contre ce dangereux serpent, lorsqu'il est parvenu à toute sa longueur, et surtout lorsqu'il est irrité par la

1 Voyez Narrations, vers et prose.

faim. L'on ne peut éviter la mort qu'en couvrant un pays immense de flammes qui se propagent avec vitesse au milieu de végétaux presque entièrement desséchés, en excitant ainsi un vaste incendie, et en élevant, pour ainsi dire, un rempart de feu contre la poursuite de cet énorme animal.

Il ne peut être en effet arrêté, ni par les fleuves qu'il rencontre, ni par les bras de mer dont il fréquente souvent les bords; car il nage avec facilité, même au milieu des ondes agitées ; et c'est en vain, d'un autre côté, qu'on voudrait chercher un abri sur de grands arbres; il se roule avec promptitude jusqu'à l'extrémité des cimes les plus

hautes aussi vit-il souvent dans les forêts. Enveloppant les tiges dans les divers replis de son corps, il se fixe sur les arbres à différentes hauteurs, et y demeure souvent longtemps en embuscade, attendant patiemment le passage de sa proie. Lorsque, pour l'atteindre, ou pour sauter sur un arbre voisin, il a une trop grande distance à franchir, il entortille sa queue autour d'une branche, et, suspendant son corps allongé à cette espèce d'anneau, se balançant, et tout d'un coup s'élançant avec force, il se jette comme un trait sur sa victime, ou contre l'arbre auquel il veut s'attacher.

Lorsqu'il aperçoit un ennemi dangereux, ce n'est point avec ses dents qu'il commence un combat, qui alors serait trop désavantageux pour lui; mais il se précipite avec tant de rapidité sur sa malheureuse victime, l'enveloppe dans tant de contours, la serre avec tant de force, fait craquer ses os avec tant de violence, que ne pouvant ni s'échapper, ni user de ses armes, et réduite à pousser de vains mais d'affreux hurlements, elle est bientôt étouffée sous les efforts multipliés de ce monstrueux reptile.

Si le volume de l'animal expiré est trop considérable pour que le devin puisse l'avaler, malgré la grande ouverture de sa gueule, la facilité qu'il a de l'agrandir, et l'extension dont presque tout son corps est susceptible, il continue de presser sa proie mise à mort; il en écrase les parties les plus compactes; et, lorsqu'il ne peut point les briser avec facilité, il l'entraîne, en se roulant avec elle, auprès d'un gros arbre dont il renferme le tronc dans ses replis; il place sa proie entre l'arbre et son corps; il les environne l'un et l'autre de ses nœuds vigoureux, et, se servant de sa tige noueuse comme d'une sorte de levier, il redouble ses efforts et parvient bientôt à comprimer en tous sens, et à moudre, pour ainsi dire, le corps de l'animal qu'il a immolé.

Lorsqu'il a donné ainsi à sa proie toute la souplesse qui lui est nécessaire, il l'allonge en continuant de la presser, et diminue d'autant sa grosseur; il l'imbibe de sa salive, ou d'une sorte

d'humeur analogue qu'il répand en abondance. Il pétrit, pour ainsi dire, à l'aide de ses replis, cette masse devenue informe, ce corps qui n'est plus qu'un composé confus de chairs ramollies et d'os concassés. C'est alors qu'il l'avale en la prenant par la tête, en l'attirant à lui, et en l'entraînant dans son ventre par de fortes aspirations plusieurs fois répétées; mais, malgré cette préparation, sa proie est quelquefois si volumineuse, qu'il ne peut l'engloutir qu'à demi; il faut qu'il ait digéré, au moins en partie, la portion qu'il a déjà fait entrer dans son corps, pour pouvoir y faire pénétrer l'autre; et l'on a souvent vu le serpent devin, la gueule horriblement ouverte, et remplie d'une proie à demi dévorée, étendu à terre, et dans une sorte d'inertie qui accompagne presque toujours sa digestion.

LACEPEDE. Ovipares.

LE LÉZARD GRIS.

Le lézard gris paraît être le plus doux, le plus innocent, et l'un des plus utiles des lézards. Ce joli petit animal, si commun dans le pays où nous écrivons, et avec lequel tant de personnes ont joué dans leur enfance, n'a pas reçu de la nature n vêtement aussi éclatant que plusieurs autres quadrupedes ovipares; mais elle lui a donné une parure élégante sa petite taille est svelte, son mouvement agile, sa course si prompte, qu'il échappe à l'œil aussi rapidement que l'oiseau qui vole. Il aime à recevoir la chaleur du soleil; ayant besoin d'une température douce, il cherche les abris; et, lorsque, dans un beau jour de printemps, une lumière pure éclaire vivement un gazon en pente, ou une muraille qui augmente la chaleur en la réfléchissant, on le voit s'étendre sur ce mur, ou sur l'herbe nouvelle avec une espèce de volupté. Il se pénètre avec délices de cette chaleur bienfaisante, il marque son plaisir par de molles ondulations de sa queue déliée; il fait briller ses yeux vifs et animés; il se précipite comme un trait saisir une petite proie, ou pour trouver pour un abri plus commode. Bien loin de s'enfuir à l'approche de l'homme, il parait le regarder avec complaisance; mais au moindre bruit qui l'effraye, à la chute seule d'une feuille, il se roule, tombe, et demeure pendant quelques instants comme étourdi par sa chute; ou bien il s'élance, disparaît, se trouble, revient, se cache de nouveau, reparaît encore, et décrit en un instant plusieurs circuits tortueux que l'œil a de la peine à suivre, se replie plusieurs fois sur lui-même, et se retire enfin dans quelque asile, jusqu'à ce que sa crainte soit dissipée.

LE MÊME.

LE DRAGON.

A ce nom de dragon, l'on conçoit toujours une idée extraordinaire. La mémoire rappelle, avec promptitude, tout ce qu'on a lu, tout ce qu'on a oui dire sur ce monstre fameux; l'imagination s'enflamme par le souvenir des grandes images qu'il a présentées au génie poétique: une sorte de frayeur saisit les cœurs timides, et la curiosité s'empare de tous les esprits. Les anciens, les modernes ont tous parlé du dragon: consacré par la religion des premiers peuples, devenu l'objet de leur mythologie, ministre des volontés des dieux, gardien de leurs trésors, servant leur amour et leur haine, soumis au pouvoir des enchanteurs, vaincu par les demi-dieux du temps antique, entrant même dans les allégories sacrées du plus saint des recueils, il a été chanté par les premiers poëtes, et représenté avec toutes les couleurs qui pouvaient en embellir l'image: principal ornement des fables pieuses, imaginées dans des temps plus récents; dompté par les héros, et même par les jeunes héroïnes qui combattaient pour une loi divine; adopté par une seconde mythologie qui plaça les fées sur le tròne des anciennes enchanteresses; devenu l'emblème des actions éclatantes des vaillants chevaliers, il a vivifié la poésie moderne, ainsi qu'il avait animé l'ancienne.

Proclamé par la voix sévère de l'histoire, partout décrit, partout célébré, partout redouté, montré sous toutes les formes, toujours revêtu de la plus grande puissance, immolant ses victimes par son regard, se transportant au milieu des nuées avec la rapidité de l'éclair, frappant comme la foudre, dissipant l'obscurité des nuits par l'éclat de ses yeux étincelants, réunissant l'agilité de l'aigle, la force du lion, la grandeur du serpent, présentant même quelquefois une figure humaine, doué d'une intelligence presque divine, et adoré de nos jours dans de grands empires de l'Orient, le dragon a été tout, il s'est trouvé partout, hors dans la nature.

Il vivra cependant toujours, cet être fabuleux, dans les heureux produits d'une imagination féconde. Il embellira longtemps les images hardies d'une poésie enchanteresse; le récit de sa puissance merveilleuse charmera les loisirs de ceux qui ont besoin d'être quelquefois transportés au milieu des chimères, et qui désirent de voir la vérité parée des ornements d'une fiction agréable. Mais, à la place de cet être fantastique, que trouvons-nous dans la réalité? Un animal aussi petit que faible, un lézard innocent et tranquille, un des moins armés de tous les quadrupèdes ovipares, et qui, par une conformation particulière, a la facilité de se transporter avec agilité, et de voltiger de branche en branche dans les forêts qu'il

DESCRIPTIONS.

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Ce formidable squale parvient jusqu'à une longueur de plus de dix mètres (trente pieds, ou environ); il pèse quelquefois près de cinquante myriagrammes (mille livres ); et il s'en faut de beaucoup que l'on ait prouvé que l'on doit regarder comme exagérée l'assertion de ceux qui ont prétendu qu'on avait pêché un requin du poids de plus de cent quatre-vingt-dix myriagrammes (quatre mille livres).

Mais la grandeur n'est pas son seul attribut; il a reçu aussi la force et des armes meurtrières; et, féroce autant que vorace, impétueux dans ses mouvements, avide de sang, insatiable de proie, il est véritablement le tigre de la mer. Recherchant sans crainte tout ennemi, poursuivant avec plus d'obstination, attaquant avec plus de rage, combattant avec plus d'acharnement que les autres habitants des eaux; plus dangereux que plusieurs cétacés, qui, presque toujours, sont moins puissants que lui; inspirant même plus d'effroi que les baleines, qui, moins bien armées, et douées d'appétits bien différents, ne provoquent presque jamais ni l'homme, ni les grands animaux ; rapide

dans sa course, répandu sur tous les climats, ayant envahi, pour ainsi dire, toutes les mers; paraissant souvent au milieu des tempêtes; aperçu facilement par l'éclat phosphorique dont il brille, au milieu des ombres des nuits les plus orageuses; menaçant de sa gueule énorme et dévorante les infortunés navigateurs exposés aux horreurs du naufrage, leur fermant toute voie de salut, leur montrant, en quelque sorte, leur tombe ouverte, et plaçant sous leurs yeux le signal de la destruction. Il n'est pas surprenant qu'il ait reçu le nom sinistre qu'il porte, et qui, réveillant tant d'idées lugubres, rappelle surtout la mort dont il est le ministre. Requin est, en effet, une corruption de requiem, qui désigne depuis longtemps, en Europe, la mort et le repos éternel, et qui a dû être souvent, pour des passagers effrayés, l'expression de leur consternation, à la vue d'un squale de plus de trente pieds de longueur, et des victimes déchirées ou ensanglantées par ce tyran des ondes. Terrible encore lorsqu'on a pu parvenir à l'accabler de chaînes, se débattant avec violence au milieu de ses liens; conservant une grande puissance, lors même qu'il est déjà tout baigné dans son sang, et pouvant, d'un seul coup de sa queue, répandre le ravage autour de lui à l'instant même où il est près d'expirer, n'est-il pas le plus formidable de tous les animaux auxquels la nature n'a pas parti des armes empoisonnées? Le tigre le plus furieux, au milieu des sables brûlants; le crocodile le plus fort, sur les rivages équatoriaux; le serpent le plus démesuré, dans les solitudes africaines, doivent-ils inspirer autant d'effroi qu'un énorme requin au milieu des vagues agitées?

LE MEME. Histoire naturelle des poissons, t. Ier.

DÉFINITIONS.

Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement, Et les mots pour le dire arrivent aisément. BOILEAU, Art poet., chant 1.

DEFINITION ORATOIRE ET PHILOSOPHIQUE.

PRÉCEPTES DU GENRE.

La définition oratoire est un vaste champ pour l'éloquence. C'est elle par que se discutent toutes les questions de droit; car, lorsqu'on est d'accord sur l'existence du fait et sur sa cause, il ne s'agit plus que d'examiner quelle en est la nature, et d'en déterminer la qualité relativement à la loi.

Clodius a été tué par les esclaves de Milon; mais est-ce là un meurtre prémédité et volontaire, ou seulement le cas de la défense personnelle ? Le fait est convenu. La qualité du fait est la question qui s'agite.

Muréna s'est rendu agréable au peuple; mais ce qu'il a fait pour lui plaire, est-ce le crime de corruption? Est-ce là briguer les suffrages? C'est ce qui reste à décider.

Ce fut à Rome une cause célèbre que celle que plaida Carbon pour la défense de L. Opimius, accusé, après son consulat, du meurtre de C. Gracchus. L'action était notoire; mais, lorsqu'il s'agissait du salut de la république, le consul, en vertu d'un décret du sénat, n'avait-il pas eu droit d'ordonner qu'on fît main basse sur un séditieux? Ou, dans ce péril même, devait-il respecter la loi qui protégeait tout citoyen qu'elle n'avait pas condamné? Licueritne, ex senatús consulto, servandæ reipublicæ causa ? C'était là le point contesté. Il s'agissait de définir le droit de la sûreté de l'État, et ce que le consul appelait le danger, le salut de la république; de savoir jusqu'où s'étendait l'autorité du sénat, et le devoir du consul lui-même entre un décret du sénat et la loi.

En éloquence, définir c'est donc amplifier, accumuler les traits, les exemples, les circonstances qui caractérisent la chose, la présenter du côté favorable à l'opinion qu'on en veut donner, et animer le tableau qu'on en fait, non-seulement

des couleurs les plus vives, mais de tout ce que le mélange des ombres et de la lumière peut ajouter à leur éclat.

Je ne dis pas qu'une définition rigoureuse ne soit quelquefois un moyen tranchant, mais il faut pour cela qu'elle soit évidemment juste et inattaquable dans tous les points; encore a-t-elle, par sa brièveté même, l'inconvénient d'échapper aux juges, si on ne prend pas soin de l'appuyer, au moins pour lui donner le temps de se graver dans les esprits. In sensum et in mentem judicis intrare non potest: antè enim præterlabitur quàm percepta est. (De Orat.)

Au reste, tous les genres d'éloquence n'exigent pas les mêmes précautions que le plaidoyer, où l'agresseur et le défenseur doivent être sans cesse en garde, et frapper et parer presque d'un même temps. Ainsi la définition, qui, dans le genre judiciaire, est le centre de l'action, et qu'il faut munir de tous côtés de toutes les forces de l'éloquence, est moins critique et moins périlleuse dans le genre de l'éloge ou de la délibération; mais, lors même qu'elle n'est pas le centre d'une place forte, elle est au moins le frontispice ou le vestibule d'un palais ou d'un temple; et l'éloquence y doit réunir la pompe et la solidité.

mul

Dans l'Oraison pour Marcellus, Cicéron, en parlant à César de ses devoirs, après avoir défini la gloire Gloria est illustris ac pervagata torum et magnorum, vel in suos, vel in patriam, vel in omne genus hominum fama meritorum1, développe ainsi sa définition, en l'appliquant à César lui-même: Nec vero hæc tua vita ducenda est, quæ corpore et spiritu continetur. Illa, inquam, illa vita est tua, quæ vigebit memoriá seculorum omnium, quam posteritas alet, quam

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