Les alouettes font leur nid Dans les blés quand ils sont en herbe, Que tout aime, et que tout pullule dans le monde, Avait laissé passer la moitié du printemps A toute force enfin elle se résolut D'imiter la nature et d'être mère encore. Pour voler et prendre l'essor; De mille soins divers l'alouette agitée Vient avecque son fils, comme il viendra, dit-elle, Ecoutez bien; selon ce qu'il dira, Chacun de nous décampera. D Sitôt que l'alouette eut quitté sa famille, Trouve en alarme sa couvée. « Ces blés ne devraient pas, dit-il, être debout. Mon fils, allez chez nos parents L'épouvante est an nid plus forte que jamais. Un philosophe austère et né dans la Scythie, Se proposant de suivre une plus douce vie, Voyagea chez les Grecs, et vit en certains lieux Un sage assez semblable au vieillard de Virgile 3, Homme égalant les rois, homme approchant des dieux, Et, comme ces derniers, satisfait et tranquille : Son bonheur consistait aux beautés d'un jardin. Le Scythe l'y trouva, qui, la serpe à la main, De ses arbres à fruit retranchait l'inutile, Ébranchait, émondait, ôtait ceci, cela, 4 Corrigeant partout la nature, Excessive à payer ses soins avec usure. Le Scythe alors lui demanda Pourquoi cette ruine: «Etait-il d'homme sage De mutiler ainsi ces pauvres habitants? Quittez-moi votre serpe, instrument de dommage : Laissez agir la faux du Temps: Ils iront assez tôt border le noir rivage. - J'ôte le superflu, dit l'autre; et, l'abattant, Le reste en profite d'autant. » Le Scythe, retourné dans sa triste demeure, Un universel abatis. Il ôte de chez lui les branches les plus belles, Sans observer temps ni saison, Lunes ni vieilles ni nouvelles. Tout languit et tout meurt. Ce Scythe exprime bien Un indiscret stoïcien: Celui-ci retranche de l'âme Désirs et passions, le bon et le mauvais, Ils font cesser de vivre avant que l'on soit mort. 1 Lorsque l'alouette eut pris son vol et quitté ses petits. Remarquez la précision de ce tour. (N. E.) 2 Voyez les Nuits attiques d'Aulu-Gelle, même sujet. 3 Le vieillard de Corycie, dont parle Virgile au quatrième livre des Géorgiques, vers 127. (N. E.) Était-ce le fait d'un homme sage? (N. E.) ALLÉGORIES. Lâ, pour nous enchanter, tout est mis en usage; Tout prend un corps, une âme, un esprit, un visage. BOILEAU. Art poet., chant 1. ALLEGORIE. PRÉCEPTES DU GENRE. On n'a point assez distingué l'allégorie d'avec l'apologue ou la fable morale. Le mérite de l'apologue est de cacher le sens moral, ou la vérité qu'il renferme, jusqu'au moment de la conclusion, qu'on appelle moralité. Le mérite de l'allégorie est de n'avoir pas besoin d'expliquer la vérité qu'elle enveloppe; elle la fait sentir à chaque trait par la justesse de ses rapports. L'allégorie se propose, non pas de déguiser, mais d'embellir la vérité et de la rendre plus sensible. C'est, comme on l'a très-bien dit, une métaphore continuée. Or une qualité essentielle de la métaphore est d'être transparente; il fallait donc aussi donner pour qualité distinctive à l'allégorie cette clarté, cette transparence qui laisse voir la vérité, et qui ne l'obscurcit jamais. On la voit sans cesse occupée à rendre son objet sensible, écartant, comme des nuages, tout ce qui altère la justesse de l'allusion et des rapports. L'allégorie est quelquefois aussi une façon de présenter avec ménagement une vérité qui offenserait, si on l'exposait toute nue; mais elle la déguise moins. C'est un conseil discrètement donné, mais dont celui qu'il intéresse ne peut manquer de sentir à chaque trait l'application. L'ode d'Horace, tant de fois citée : O navis, referent in mare te novi fluctus, en est l'exemple et le modèle; entre un vaisseau et la république, entre la guerre civile et une mer orageuse, tous les rapports sont si frappants, que les Romains ne pouvaient s'y méprendre, et la vérité n'eut jamais de voile plus fin ni plus clair. L'allégorie, par sa ressemblance et par la justesse de ses rapports, doit toujours laisser entrevoir la vérité qu'elle enveloppe; son objet est manqué, si l'esprit s'y trompe, ou si, satisfait d'en apercevoir la surface, il ne désire pas autre chose, et n'en pénètre pas le fond. Plutarque a raison de comparer les fictions poétiques aux feuilles de vigne, sous lesquelles le raisin doit être caché; mais, toutes les fois que le sujet en lui-même a son utilité morale, c'est un raffinement puéril que d'y chercher un sens mystérieux. Ce n'est pas que, dans les poemes épiques, et particulièrement dans ceux d'Homère, il n'y ait bien des détails où l'allégorie est sensible; et alors, la vérité voilée y perce de façon à frapper | tous les yeux telle est l'image des Prières, tel est l'ingénieux épisode de la ceinture de Vénus; mais regarder l'Iliade comme une allégorie continue, c'est attribuer à Homère des rêves qu'il n'a jamais faits. C'est particulièrement dans les présages, dans les songes, dans le langage prophétique, que les poëtes emploient l'allégorie. Dans l'Iliade, tandis qu'Hector et Polydamas attaquent le camp des Grecs, un aigle audacieux vole à leur gauche, tenant dans ses serres un énorme dragon, qui, palpitant et ensanglanté, ose combattre, se replie, et blesse son vainqueur. L'oiseau sacré laisse tomber sa proie. C'est de cette image qu'Horace semble avoir pris la comparaison de l'aiglon avec le jeune Drusus : Qualem ministrum fulminis alitem, etc. L'art de l'allégorie consiste à peindre vivement et correctement, d'après l'idée ou le sentiment, la chose qu'on personnifie : comme la Renommée, dans l'Eneide de Virgile; l'Envie, dans les Métamorphoses d'Ovide et dans la Henriade; les Prières, dans l'Iliade, etc. Il n'y a peut-être jamais eu d'allégorie ni plus belle, ni plus adroite, ni plus éloquemment employée que celle-ci. Des modèles parfaits de l'allégorie en action sont la fable de l'Amour et la Folie, dans la Fontaine; l'épisode de la Haine dans l'opéra d'Armide; la Mollesse, dans le Lutrin. Quelque belle que soit l'allégorie, elle serait froide, si elle était longue. Un poëme tout allégorique ne serait pas soutenable, eût-il d'ailleurs mille beautés. Presque toute la mythologie des Grecs, comme celle des Égyptiens, est allégorique; et ses fictions étaient peut-être, dans leur nouveauté, ce que l'esprit humain a jamais inventé de plus ingéla nieux; mais, à présent qu'elles sont rebattues, poésie descriptive a bien plus de mérite et de gloire à peindre la nature toute nue, qu'à l'envelopper de ces voiles depuis longtemps usés. Les emblèmes ne sont que des allégories que peut exprimer le pinceau. C'est ainsi qu'on a représenté le Nil, la tête voilée, pour faire entendre que la source de ce fleuve était inconnue ; c'est ainsi que, pour désigner la paix, on a peint les colombes de Vénus faisant leur nid dans le casque de Mars. C'est une idée assez heureuse, pour exprimer la crainte des maux d'imagination, que l'allégorie d'un enfant qui souffle en l'air des boules de savon, et qui, s'effrayant de leur chute, inspire la même frayeur à une foule d'autres enfants, sur qui ces boules vont retomber. Ainsi les peintres, à l'exemple des poëtes, font quelquefois usage de ces fictions allégoriques, mais rarement avec succès. Lucien nous a transmis l'idée d'un tableau allégorique des noces d'Alexandre et de Roxane : le peintre était Aétion. Son tableau, qu'il exposa dans les jeux Olympiques, fit l'admiration de la Grèce assemblée, et Raphaël l'a dessiné tel que Lucien l'a décrit. Les philosophes eux-mêmes emploient souvent le style allégorique. Platon, que la nature avait fait poëte, exprime assez souvent ainsi les idées les plus sublimes. C'est lui qui a dit que la Divinité est située loin de Douleur et de Volupté. On doit à Xénophon la belle allégorie du jeune Hercule entre la Volupté et la Vertu. Mais qui avait imaginé celle des Furies, nées du sang d'un père répandu par son fils, du sang de Coelus mutilé par Saturne? C'est là le sublime de l'allégorie. Cette façon de s'énoncer fait le charme du style de Montaigne dans ses écrits, l'idée abstraite ne se présente jamais nue: il voit tout ce qu'il pense, il peint tout ce qu'il dit. MARMONTEL. Éléments de Littérature, t. 1 1. LA FABLE ET L'ALLÉGORIE. Là, pour nous enchanter, tout est mis en usage; Minerve est la prudence, et Vénus la beauté. 1 Voyez dans l'auteur l'article entier. Un orage terrible aux yeux des matelots, Le poëte s'égaye en mille inventions, Ce n'est pas que j'approuve, en un sujet chrétien, MÊME SUJET. Qu'on fait d'injure à l'art, de lui voler la Fable! Et dans son propre sein noyer le vieux Neptune? Otez Pan et sa flûte, adieu les pâturages; 2 Voyez le ter livre de l'Énéide, vers 125 et 146. (N. E.) Des roses et des lis le plus superbe éclat, Sans la Fable, en nos vers n'aura rien que de plat. CORNEILLE. LES DIVINITÉS POÉTIQUES. Oui, c'est toi, peintre inestimable, Trompette d'Achille et d'Hector, Par qui, de l'heureux siècle d'or, L'homme entend le langage aimable, Et voit, dans la variété Des portraits menteurs de la Fable, Les rayons de la vérité. Il voit l'arbitre du tonnerre Réglant le sort par ses arrêts: Il voit, sous les yeux de Cérès, Croitre les trésors de la terre; Il reconnait les dieux des mers A ces sons qui calment la guerre Qu'Eole excitait dans les airs. Si, dans un combat homicide, Le devoir engage ses jours, Pallas, volant à son secours, Vient le couvrir de son égide : S'il se voue au maintien des lois, C'est Themis qui lui sert de guide, Et qui l'assiste en ses emplois. Plus heureux, si son cœur n'aspire Qui lui fait chérir son empire. Ainsi consacrant le système De la sublime fiction, Homère, nouvel Amphion, Change, par la vertu suprême De ses accords doux et savants, Nos destins, et nos passions même, En êtres réels et vivants. Ce n'est plus l'homme qui, pour plaire, Étale ses dons ingénus: Ce sont les Grâces, c'est Vénus, Sa divinité tutélaire : La sagesse qui brille en lui, L'ardente et fougueuse Bellone APOLOGIE DE LA FABLE. Savante antiquité, beauté toujours nouvelle, Monuments du génie, heureuses fictions; Environnez-moi des rayons De votre lumière immortelle : Vous savez animer l'air, la terre et les mers; Cet arbre à tête longue, aux rameaux toujours verts 3, De l'éclat de leur vermillon Ce cerf aux pieds légers est le jeune Acteon; C'est Philomèle gémissante. Si le soleil se couche, il dort avec Thétis; MÊME SUJET. VOLTAIRE Tempé, séjour célèbre, ô magique vallon! Où l'eau de Sperchius, d'Amphryse et de Pénée, D'ombrages immortels roulait environnée. L'Olympe en tes bosquets vit errer tous ses dieux; Pan qui sut animer des joncs mélodieux; Diane au carquois d'or, déesse bocagère 1 Ces vers sont traduits ou plutôt imités du poëme latin de Santeuil, sur le même sujet. (N. E.) 2 Le pin. Voyez Ovide, Mét., liv. x. (N. E.) 5 Changés en constellations. (N. E.) Qui, la flèche à la main, de sa robe légère Cérès aux blonds cheveux, et le dieu des orgies, Vénus, qui de Lucrèce inspirait les beaux vers. Mais c'en est fait : le chène oublia ses oracles; Et croit, ami des morts, sur les tombeaux déserts; DE FONTANES. La Forêt de Navarre. MÊME SUJET. Voyez dans ses récits le fabuleux Ovide, Qui d'erreurs en erreurs conduit l'esprit avide, De prodiges sans nombre embellir l'univers. La raison, en secret, présidait à ses vers: C'étaient des fictions, mais non pas des chimères. Chaque être, en dépouillant ses traits imaginaires, Reste dans la nature et dans la vérité : Les bois offrent encore à l'œil désenchanté L'arbre de Philémon, celui de sa compagne; Narcisse est une fleur, Atlas une montagne; Hyacinthe expirant ne meurt pas tout entier. Que Daphné disparaisse, il nous reste un laurier. Du palais du Sommeil les brillantes demeures, Ses coursiers enflammés, attelés par les Heures, En s'évanouissant laisseront sous vos yeux Et l'ordre des saisons, et la marche des cieux. Dans Ixion enfin, dans la vapeur qu'il aime L'imagination se peignit elle-mème : Ainsi la vérité sort de la fiction, Ainsi la vigilante et sévère raison Ne se laisse bercer que par d'heureux mensonges, Et veut à son réveil aimer encor ses songes. DELILLE. L'Imagination, ch. V. EMPLOI DE LA FABLE. Même aux eaux, même aux fleurs, même aux ar- Ce mouvement des eaux, et cet instinct des plantes, A ce lis altéré versez l'eau qu'il implore; LE DIEU DU GOUT. Je vis ce dieu qu'en vain j'implore, Qui de l'art ne sont point captives, D'une troupe tendre et légère; C'est par leurs mains qu'il est orné, D'un diadème qu'au Parnasse Du laurier du divin Maron, VOLTAIRE. LE VÉRITABLE ET LE FAUX HONNEUR. Sous le bon roi Saturne, ami de la douceur, L'Honneur, cher Valincour, et l'Équité sa sœur, 1 Fils de Télèphe, fut changé en cyprès par Apollon. Voyez Ovide, Metam., liv. x, v. 121. (N. E.) 2 Ixion aima Junon. Jupiter donna à un nuage l'apparence de la déesse. Ixion fut trompé par ce fantôme. De là, dit-on, naquirent les centaures. (N. E.) 5 Miraturque novas frondes et non sua poma. |