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Les alouettes font leur nid

Dans les blés quand ils sont en herbe,
C'est-à-dire, environ le temps

Que tout aime, et que tout pullule dans le monde,
Monstres marins au fond de l'onde,
Tigres dans les forêts, alouettes aux champs.
Une pourtant de ces dernières

Avait laissé passer la moitié du printemps
Sans goûter les plaisirs des amours printanières.

A toute force enfin elle se résolut

D'imiter la nature et d'être mère encore.
Elle bâtit un nid, pond, couve, et fait éclore
A la hâte le tout alla du mieux qu'il put.
Les blés d'alentour mûrs avant que la nitée
Se trouvât assez forte encor

Pour voler et prendre l'essor;

De mille soins divers l'alouette agitée
S'en va chercher pâture, avertit ses enfants
D'être toujours au guet, et faire sentinelle.
Si le possesseur de ces champs

Vient avecque son fils, comme il viendra, dit-elle, Ecoutez bien; selon ce qu'il dira,

Chacun de nous décampera. D

Sitôt que l'alouette eut quitté sa famille,
Le possesseur du champ vient avecque son fils.
« Les blés sont mûrs, dit-il; allez chez nos amis
Les prier que chacun, apportant sa faucille,
Nous vienne aider demain dès la pointe du jour. »
Notre alouette, de retour,

Trouve en alarme sa couvée.
L'un commence : « Il a dit que, l'aurore levée,
L'on fit venir demain ses amis pour l'aider. »
S'il n'a dit que cela, repartit l'alouette,
Rien ne nous presse encor de changer de retraite.
Mais c'est demain qu'il faut tout de bon écouter.
Cependant soyez gais; voilà de quoi manger. »
Eux repus, tout s'endort, les petits et la mère.
L'aube du jour arrive, et d'amis point du tout.
L'alouette à l'essor 1, le maitre s'en vient faire
Sa ronde ainsi qu'à l'ordinaire.

« Ces blés ne devraient pas, dit-il, être debout.
Nos amis ont grand tort, et tort qui se repose
Sur de tels paresseux à servir ainsi lents.

Mon fils, allez chez nos parents
Les prier de la même chose. »

L'épouvante est an nid plus forte que jamais.
Il a dit ses parents, mère! c'est à cette heure... »
Non, mes enfants, dormez en paix :
Ne bougeons de notre demeure.»
L'alouette eut raison, car personne ne vint.
Pour la troisième fois le maître se souvint
De visiter ses blés. Notre erreur est extrême,
Dit-il, de nous attendre à d'autres gens que nous.
Il n'est meilleur ami ni parent que soi-même :

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Un philosophe austère et né dans la Scythie, Se proposant de suivre une plus douce vie, Voyagea chez les Grecs, et vit en certains lieux Un sage assez semblable au vieillard de Virgile 3, Homme égalant les rois, homme approchant des dieux, Et, comme ces derniers, satisfait et tranquille : Son bonheur consistait aux beautés d'un jardin. Le Scythe l'y trouva, qui, la serpe à la main, De ses arbres à fruit retranchait l'inutile, Ébranchait, émondait, ôtait ceci, cela,

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Corrigeant partout la nature, Excessive à payer ses soins avec usure. Le Scythe alors lui demanda Pourquoi cette ruine: «Etait-il d'homme sage De mutiler ainsi ces pauvres habitants? Quittez-moi votre serpe, instrument de dommage : Laissez agir la faux du Temps:

Ils iront assez tôt border le noir rivage.

- J'ôte le superflu, dit l'autre; et, l'abattant,

Le reste en profite d'autant. »

Le Scythe, retourné dans sa triste demeure,
Prend la serpe à son tour, coupe et taille à toute heure,
Conseille à ses voisins, prescrit à ses amis

Un universel abatis.

Il ôte de chez lui les branches les plus belles,
Il tronque son verger contre toute raison,

Sans observer temps ni saison,

Lunes ni vieilles ni nouvelles.

Tout languit et tout meurt. Ce Scythe exprime bien Un indiscret stoïcien:

Celui-ci retranche de l'âme

Désirs et passions, le bon et le mauvais,
Jusqu'aux plus innocents souhaits.
Contre de telles gens, quant à moi, je réclame :
Ils ôtent à nos cœurs le principal ressort,

Ils font cesser de vivre avant que l'on soit mort.
LE MÊME, liv. XII. 20.

1 Lorsque l'alouette eut pris son vol et quitté ses petits. Remarquez la précision de ce tour. (N. E.)

2 Voyez les Nuits attiques d'Aulu-Gelle, même sujet.

3 Le vieillard de Corycie, dont parle Virgile au quatrième livre des Géorgiques, vers 127. (N. E.)

Était-ce le fait d'un homme sage? (N. E.)

ALLÉGORIES.

Lâ, pour nous enchanter, tout est mis en usage; Tout prend un corps, une âme, un esprit, un visage. BOILEAU. Art poet., chant 1.

ALLEGORIE.

PRÉCEPTES DU GENRE.

On n'a point assez distingué l'allégorie d'avec l'apologue ou la fable morale.

Le mérite de l'apologue est de cacher le sens moral, ou la vérité qu'il renferme, jusqu'au moment de la conclusion, qu'on appelle moralité.

Le mérite de l'allégorie est de n'avoir pas besoin d'expliquer la vérité qu'elle enveloppe; elle la fait sentir à chaque trait par la justesse de ses rapports.

L'allégorie se propose, non pas de déguiser, mais d'embellir la vérité et de la rendre plus sensible. C'est, comme on l'a très-bien dit, une métaphore continuée. Or une qualité essentielle de la métaphore est d'être transparente; il fallait donc aussi donner pour qualité distinctive à l'allégorie cette clarté, cette transparence qui laisse voir la vérité, et qui ne l'obscurcit jamais. On la voit sans cesse occupée à rendre son objet sensible, écartant, comme des nuages, tout ce qui altère la justesse de l'allusion et des rapports.

L'allégorie est quelquefois aussi une façon de présenter avec ménagement une vérité qui offenserait, si on l'exposait toute nue; mais elle la déguise moins. C'est un conseil discrètement donné, mais dont celui qu'il intéresse ne peut manquer de sentir à chaque trait l'application. L'ode d'Horace, tant de fois citée : O navis, referent in mare te novi fluctus, en est l'exemple et le modèle; entre un vaisseau et la république, entre la guerre civile et une mer orageuse, tous les rapports sont si frappants, que les Romains ne pouvaient s'y méprendre, et la vérité n'eut jamais de voile plus fin ni plus clair.

L'allégorie, par sa ressemblance et par la justesse de ses rapports, doit toujours laisser entrevoir la vérité qu'elle enveloppe; son objet est manqué, si l'esprit s'y trompe, ou si, satisfait d'en apercevoir la surface, il ne désire pas autre chose, et n'en pénètre pas le fond.

Plutarque a raison de comparer les fictions poétiques aux feuilles de vigne, sous lesquelles le raisin doit être caché; mais, toutes les fois que le sujet en lui-même a son utilité morale, c'est un raffinement puéril que d'y chercher un sens mystérieux.

Ce n'est pas que, dans les poemes épiques, et particulièrement dans ceux d'Homère, il n'y ait bien des détails où l'allégorie est sensible; et alors, la vérité voilée y perce de façon à frapper | tous les yeux telle est l'image des Prières, tel est l'ingénieux épisode de la ceinture de Vénus; mais regarder l'Iliade comme une allégorie continue, c'est attribuer à Homère des rêves qu'il n'a jamais faits.

C'est particulièrement dans les présages, dans les songes, dans le langage prophétique, que les poëtes emploient l'allégorie. Dans l'Iliade, tandis qu'Hector et Polydamas attaquent le camp des Grecs, un aigle audacieux vole à leur gauche, tenant dans ses serres un énorme dragon, qui, palpitant et ensanglanté, ose combattre, se replie, et blesse son vainqueur. L'oiseau sacré laisse tomber sa proie.

C'est de cette image qu'Horace semble avoir pris la comparaison de l'aiglon avec le jeune Drusus : Qualem ministrum fulminis alitem, etc.

L'art de l'allégorie consiste à peindre vivement et correctement, d'après l'idée ou le sentiment, la chose qu'on personnifie : comme la Renommée, dans l'Eneide de Virgile; l'Envie, dans les Métamorphoses d'Ovide et dans la Henriade; les Prières, dans l'Iliade, etc. Il n'y a peut-être jamais eu d'allégorie ni plus belle, ni plus adroite, ni plus éloquemment employée que celle-ci.

Des modèles parfaits de l'allégorie en action sont la fable de l'Amour et la Folie, dans la Fontaine; l'épisode de la Haine dans l'opéra d'Armide; la Mollesse, dans le Lutrin. Quelque belle que soit l'allégorie, elle serait froide, si elle était longue. Un poëme tout allégorique ne serait pas soutenable, eût-il d'ailleurs mille beautés.

Presque toute la mythologie des Grecs, comme celle des Égyptiens, est allégorique; et ses fictions étaient peut-être, dans leur nouveauté, ce que l'esprit humain a jamais inventé de plus ingéla nieux; mais, à présent qu'elles sont rebattues, poésie descriptive a bien plus de mérite et de gloire à peindre la nature toute nue, qu'à l'envelopper de ces voiles depuis longtemps usés.

Les emblèmes ne sont que des allégories que peut exprimer le pinceau. C'est ainsi qu'on a représenté le Nil, la tête voilée, pour faire entendre que la source de ce fleuve était inconnue ; c'est ainsi que, pour désigner la paix, on a peint les colombes de Vénus faisant leur nid dans le casque de Mars.

C'est une idée assez heureuse, pour exprimer la crainte des maux d'imagination, que l'allégorie d'un enfant qui souffle en l'air des boules de savon, et qui, s'effrayant de leur chute, inspire la même frayeur à une foule d'autres enfants, sur qui ces boules vont retomber. Ainsi les peintres, à l'exemple des poëtes, font quelquefois usage de ces fictions allégoriques, mais rarement avec succès.

Lucien nous a transmis l'idée d'un tableau allégorique des noces d'Alexandre et de Roxane : le peintre était Aétion. Son tableau, qu'il exposa dans les jeux Olympiques, fit l'admiration de la Grèce assemblée, et Raphaël l'a dessiné tel que Lucien l'a décrit.

Les philosophes eux-mêmes emploient souvent le style allégorique. Platon, que la nature avait fait poëte, exprime assez souvent ainsi les idées les plus sublimes. C'est lui qui a dit que la Divinité est située loin de Douleur et de Volupté. On doit à Xénophon la belle allégorie du jeune Hercule entre la Volupté et la Vertu. Mais qui avait imaginé celle des Furies, nées du sang d'un père répandu par son fils, du sang de Coelus mutilé par Saturne? C'est là le sublime de l'allégorie. Cette façon de s'énoncer fait le charme du style de Montaigne dans ses écrits, l'idée abstraite ne se présente jamais nue: il voit tout ce qu'il pense, il peint tout ce qu'il dit.

MARMONTEL. Éléments de Littérature, t. 1 1.

LA FABLE ET L'ALLÉGORIE.

Là, pour nous enchanter, tout est mis en usage;
Tout prend un corps, une âme, un esprit, un visage;
Chaque vertu devient une divinité :

Minerve est la prudence, et Vénus la beauté.
Ce n'est plus la vapeur qui produit le tonnerre,
C'est Jupiter armé pour effrayer la terre;

1 Voyez dans l'auteur l'article entier.

Un orage terrible aux yeux des matelots,
C'est Neptune en courroux qui gourmande les flots.
Echo n'est plus un son qui dans l'air retentisse,
C'est une nymphe en pleurs qui se plaint de Narcisse.
Ainsi, dans cet amas de nobles fictions,

Le poëte s'égaye en mille inventions,
Orne, élève, embellit, agrandit toutes choses,
Et trouve sous sa main des fleurs toujours écloses.
Qu'Énée et ses vaisseaux, par les vents écartés,
Soient aux bords africains d'un orage emportés,
Ce n'est qu'une aventure ordinaire et commune,
Qu'un coup peu surprenant des traits de la fortune;
Mais que Junon, constante en son aversion,
Poursuive sur les flots les restes d'Ilion;
Qu'Eole, en sa faveur les chassant d'Italie,
Ouvre aux vents mutinés les prisons d'Eolie;
Que Neptune en courroux, s'élevant sur la mer,
D'un mot calme les flots, mette la paix dans l'air,
Délivre les vaisseaux, des syrtes les arrache:
C'est là ce qui surprend, frappe, saisit, attache.
Sans tous ces ornements le vers tombe en langueur,
La poésie est morte, ou rampe sans vigueur;
Le poëte n'est plus qu'un orateur timide,
Qu'un froid historien d'une fable insipide.

Ce n'est pas que j'approuve, en un sujet chrétien,
Un auteur follement idolâtre et païen :
Mais, dans une profane et riante peinture,
De n'oser de la Fable emprunter la figure;
De chasser les Tritons de l'empire des eaux;
D'ôter à Pan sa flûte, aux Parques leurs ciseaux;
D'empêcher que Caron, dans la fatale barque,
Ainsi que le berger, ne passe le monarque,
C'est d'un scrupule vain s'alarmer sottement,
Et vouloir aux lecteurs plaire sans agrément.
Bientôt ils défendront de peindre la Prudence,
De donner à Thémis ni bandeau, ni balance;
De figurer aux yeux la Guerre au front d'airain,
Ou le Temps qui s'enfuit une horloge à la main;
Et partout des discours, comme une idolâtrie,
Dans leur faux zèle iront chasser l'Allégorie.
BOILEAU. Art poet., ch. 11.

MÊME SUJET.

Qu'on fait d'injure à l'art, de lui voler la Fable!
C'est interdire aux vers ce qu'ils ont d'agréable,
Anéantir leur pompe, éteindre leur vigueur,
Et hasarder la Muse à sécher de langueur.
O vous, qui prétendez qu'à force d'injustices
Le vieil usage cède à de nouveaux caprices,
Donnez-nous par pitié du moins quelques beautés
Qui puissent remplacer ce que vous nous ôtez,
Et ne nous livrez pas aux tons mélancoliques
D'un style estropié par de vaines critiques :
Quoi! bannir des enfers Proserpine et Pluton,
Dire toujours le diable, et jamais Alecton,
Sacrifier Hécate et Diane à la lune,

Et dans son propre sein noyer le vieux Neptune?
Un berger chantera ses déplaisirs secrets,
Sans que la triste Echo répète ses regrets?
Les bois autour de lui n'auront point de dryades?
L'air sera sans zéphyrs, les fleuves sans naïades?

Otez Pan et sa flûte, adieu les pâturages;
Otez Pomone et Flore, adieu les jardinages.

2 Voyez le ter livre de l'Énéide, vers 125 et 146. (N. E.)

Des roses et des lis le plus superbe éclat,

Sans la Fable, en nos vers n'aura rien que de plat.
Qu'on y peigne en savant une plante nourrie
Des impures vapeurs d'une plante pourrie;
Le portrait plaira-t-il, s'il n'a pour ornement
Les larmes d'une amante ou le sang d'un amant?
Qu'aura de beau la guerre à moins qu'on ne crayonne
Ici le char de Mars, là celui de Bellone,
Que la Victoire vole, et que les grands exploits [voix?
Soient portés en cent lieux par la nymphe aux cent
Qu'ont la terre et la mer, si l'on n'ose décrire
Ce qu'il faut de Tritons à pousser un navire?
Cet empire qu'Eole a sur les tourbillons,
Bacchus sur les coteaux, Cérès sur les sillons?
Tous ces vieux ornements, traitez-les d'antiquailles :
Moi, si je peins jamais Trianon et Versailles,
Les nymphes, malgré vous, danseront alentour,
Cent demi-dieux badins leur parleront d'amour;
Des satyres cachés les brusques échappées
Dans les bras des sylvains feront fuir les napées;
Et, si le bal s'ouvrait en ces aimables lieux,
J'y ferais, malgré vous, trépigner tous les dieux 1.

CORNEILLE.

LES DIVINITÉS POÉTIQUES.

Oui, c'est toi, peintre inestimable, Trompette d'Achille et d'Hector, Par qui, de l'heureux siècle d'or, L'homme entend le langage aimable, Et voit, dans la variété

Des portraits menteurs de la Fable, Les rayons de la vérité.

Il voit l'arbitre du tonnerre Réglant le sort par ses arrêts: Il voit, sous les yeux de Cérès, Croitre les trésors de la terre; Il reconnait les dieux des mers A ces sons qui calment la guerre Qu'Eole excitait dans les airs.

Si, dans un combat homicide, Le devoir engage ses jours, Pallas, volant à son secours, Vient le couvrir de son égide : S'il se voue au maintien des lois, C'est Themis qui lui sert de guide, Et qui l'assiste en ses emplois.

Plus heureux, si son cœur n'aspire
Qu'aux douceurs de la liberté ;
Astrée est la divinité

Qui lui fait chérir son empire.
S'il s'élève au sacré vallon,
Son enthousiasme est la lyre
Qu'il reçoit des mains d'Apollon.

Ainsi consacrant le système De la sublime fiction, Homère, nouvel Amphion, Change, par la vertu suprême De ses accords doux et savants,

Nos destins, et nos passions même, En êtres réels et vivants.

Ce n'est plus l'homme qui, pour plaire, Étale ses dons ingénus:

Ce sont les Grâces, c'est Vénus,

Sa divinité tutélaire :

La sagesse qui brille en lui,
C'est Minerve dont l'œil l'éclaire,
Et dont le bras lui sert d'appui.

L'ardente et fougueuse Bellone
Arme son courage aveuglé :
Les frayeurs dont il est troublé
Sont le flambeau de Tisiphone :
Sa colère est Mars en fureur,
Et ses remords sont la Gorgone
Dont l'aspect le glace d'horreur.
J.-B. ROUSSEAU, liv. IV, ode 6.

APOLOGIE DE LA FABLE.

Savante antiquité, beauté toujours nouvelle, Monuments du génie, heureuses fictions; Environnez-moi des rayons

De votre lumière immortelle :

Vous savez animer l'air, la terre et les mers;
Vous embellissez l'univers.

Cet arbre à tête longue, aux rameaux toujours verts 3,
C'est Atys aimé de Cybèle.

De l'éclat de leur vermillon
Flore avec le Zéphire ont peint ces jeunes roses.
Des baisers de Pomone on voit dans ce vallon
Les fleurs de mes pêchers nouvellement écloses.
Ces montagnes, ces bois qui bordent l'horizon
Sont couverts de métamorphoses.

Ce cerf aux pieds légers est le jeune Acteon;
L'ennemi des troupeaux est le roi Lycaon.
Du chantre de la nuit j'entends la voix touchante;
C'est la fille de Pandion,

C'est Philomèle gémissante.

Si le soleil se couche, il dort avec Thétis;
Si je vois de Vénus la planète brillante,
C'est Vénus que je vois dans les bras d'Adonis.
Ce pôle me présente Andromède et Persée 3:
Leurs amours immortels échauffent de leurs feux
Les éternels frimas de la zone glacée;
Tout l'Olympe est peuplé de héros amoureux.
Admirables tableaux! séduisante magie!
Qu'Hésiode me plaît dans sa Théogonie,
Quand il me peint l'Amour débrouillant le Chaos,
S'élançant dans les airs et planant sur les flots!

MÊME SUJET.

VOLTAIRE

Tempé, séjour célèbre, ô magique vallon! Où l'eau de Sperchius, d'Amphryse et de Pénée, D'ombrages immortels roulait environnée. L'Olympe en tes bosquets vit errer tous ses dieux; Pan qui sut animer des joncs mélodieux; Diane au carquois d'or, déesse bocagère

1 Ces vers sont traduits ou plutôt imités du poëme latin de Santeuil, sur le même sujet. (N. E.)

2 Le pin. Voyez Ovide, Mét., liv. x. (N. E.)

5 Changés en constellations. (N. E.)

Qui, la flèche à la main, de sa robe légère
Nouait sur le genou les replis ondoyants;
Les sylvains couronnés de rameaux verdoyants;
Les nymphes qui sans art, les mains entrelacées,
Dansaient aux sons joyeux de leurs voix cadencées;

Cérès aux blonds cheveux, et le dieu des orgies,
Bacchus au front vermeil, ceint de grappes rougies;
Et cette déité, charme de l'univers,

Vénus, qui de Lucrèce inspirait les beaux vers.

Mais c'en est fait : le chène oublia ses oracles;
Les bois désenchantés ont perdu leurs miracles.
Ils ne sont plus ces jours, où chaque arbre divin
Enfermait sa dryade et son jeune sylvain,
Qui versait en silence à la tige altérée
La séve à longs replis sous l'écorce égarée.
Pourquoi n'êtes-vous plus, rêves attendrissants!
Dès que l'amour des vers charma mes premiers ans,
J'appris avec transport ceux de l'aimable Ovide,
Poëte mensonger dont l'enfance est avide.
Devant le laurier vert tendrement incliné,
Triste, je saluais les månes de Daphné,
Et, touché de son sort, je passais en silence
Près de cet arbre en deuil qu'un vent léger balance,
Qui monte en pyramide élancé dans les airs,

Et croit, ami des morts, sur les tombeaux déserts;
Je pleurais le trépas du jeune Cyparisse 1.
Lorsqu'un chêne m'offrait son ombre protectrice,
Lorsque je reposais sous un tilleul assis,
Nommant avec respect Philémon et Baucis,
Si j'obtiens, me disais-je, une épouse fidèle,
Je veux que Philémon soit un jour mon modèle ;
Qu'elle imite Baucis! et tous deux puissions-nous
Mourir au même instant, comme ces deux époux!

DE FONTANES. La Forêt de Navarre.

MÊME SUJET.

Voyez dans ses récits le fabuleux Ovide, Qui d'erreurs en erreurs conduit l'esprit avide, De prodiges sans nombre embellir l'univers. La raison, en secret, présidait à ses vers: C'étaient des fictions, mais non pas des chimères. Chaque être, en dépouillant ses traits imaginaires, Reste dans la nature et dans la vérité : Les bois offrent encore à l'œil désenchanté L'arbre de Philémon, celui de sa compagne; Narcisse est une fleur, Atlas une montagne; Hyacinthe expirant ne meurt pas tout entier. Que Daphné disparaisse, il nous reste un laurier. Du palais du Sommeil les brillantes demeures, Ses coursiers enflammés, attelés par les Heures, En s'évanouissant laisseront sous vos yeux Et l'ordre des saisons, et la marche des cieux. Dans Ixion enfin, dans la vapeur qu'il aime L'imagination se peignit elle-mème : Ainsi la vérité sort de la fiction,

Ainsi la vigilante et sévère raison

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Ne se laisse bercer que par d'heureux mensonges, Et veut à son réveil aimer encor ses songes.

DELILLE. L'Imagination, ch. V.

EMPLOI DE LA FABLE.

Même aux eaux, même aux fleurs, même aux ar-
La poésie encore, avec art mensongère, [bres muets,
Ne peut-elle prêter une âme imaginaire?
Tout semble concourir à cette illusion.
Voyez l'eau caressante embrasser le gazon,
Ces arbres s'enlacer, ces vignes tortueuses
Embrasser les ormeaux de leurs mains amoureuses,
Et, refusant les sucs d'un terrain ennemi,
Ces racines courir vers un sol plus ami.

Ce mouvement des eaux, et cet instinct des plantes,
Suffit pour enhardir vos fictions brillantes.
Donnez-leur donc l'essor. Que le jeune bouton
Espère le zéphyr, et craigne l'aquilon.

A ce lis altéré versez l'eau qu'il implore;
Formez, dans ses beaux ans, l'arbre docile encore:
Que ce tronc, enrichi de rameaux adoptés,
Admire son ombrage et ses fruits empruntés,
Et, si le jeune cep prodigue son feuillage,
Demandez grâce au fer en faveur de son âge.
Alors, dans ces objets croyant voir mes égaux,
La douce sympathie, à leurs biens, à leurs maux,
Trouve mon cœur sensible, et votre heureuse adresse
Me surprend pour un arbre un moment de tendresse.
LE MÊME. Georgiques françaises.

LE DIEU DU GOUT.

Je vis ce dieu qu'en vain j'implore,
Ce dieu charmant que l'on ignore
Quand on cherche à le définir;
Ce dieu qu'on ne sait point servir
Quand avec scrupule on l'adore ;
Que la Fontaine fait sentir,
Et que Vadius cherche encore.
Il se plaisait à consulter
Ces grâces simples et naïves
Dont la France doit se vanter;
Ces grâces piquantes et vives,
Que les nations attentives
Voulurent souvent imiter;

Qui de l'art ne sont point captives,
Qui régnaient jadis à la cour,
Et que la nature et l'amour
Avaient fait naître sur nos rives.
Il est toujours environné

D'une troupe tendre et légère;

C'est par leurs mains qu'il est orné,
C'est par leur charme qu'il sait plaire;
Elles-mêmes l'ont couronné

D'un diadème qu'au Parnasse
Composa jadis Apollon

Du laurier du divin Maron,
Du lierre et du myrte d'Horace,
Et des roses d'Anacréon.

VOLTAIRE.

LE VÉRITABLE ET LE FAUX HONNEUR.

Sous le bon roi Saturne, ami de la douceur, L'Honneur, cher Valincour, et l'Équité sa sœur,

1 Fils de Télèphe, fut changé en cyprès par Apollon. Voyez Ovide, Metam., liv. x, v. 121.

(N. E.)

2 Ixion aima Junon. Jupiter donna à un nuage l'apparence

de la déesse. Ixion fut trompé par ce fantôme. De là, dit-on, naquirent les centaures. (N. E.)

5 Miraturque novas frondes et non sua poma.
VIRG., Georg., 11, 82. (N. E.)

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