Page images
PDF
EPUB

L'INTÉRIEUR DES PYRAMIDES.

Sous les pieds de ces monts taillés et suspendus, Il s'étend des pays ténébreux et perdus, De spacieux déserts, des solitudes sombres, Faites pour le séjour des morts et de leurs ombres. Là sont les corps des rois et les corps des sultans, Diversement rangés selon l'ordre des temps. Les uns sont enchâssés dans de creuses images A qui l'art a donné leur taille et leurs visages; Et dans ces vains portraits, fastueux monuments, Leur orgueil se conserve avec leurs ossements. Les autres, embaumés, sont posés en des niches Où leurs ombres, encore éclatantes et riches, Semblent perpétuer, malgré les lois du sort, La pompe de leur vie en celle de leur mort. De ce muet sénat, de cette cour terrible, Le silence épouvante, et l'aspect est horrible. Là sont les devanciers avec leurs descendants; Tous les règnes y sont; on y voit tous les temps; Et ce peuple de rois dont la flatteuse histoire N'a pu sauver qu'à peine une obscure mémoire; Vingt siècles, descendus dans cette sombre nuit, Y sont sans mouvement, sans lumière et sans bruit. Le P. LE MOINE. Poëme de saint Louis.

LES TOMBEAUX DE PALMYRE.

Palmyre voit au fond de sa triste vallée,
Que borne à l'orient l'âpreté des déserts,
Le sommet d'une tour s'élever dans les airs.

Des vierges, l'urne en main, le front mélancolique,
Montrent sur trois côtés leur forme emblématique.
Sous une épaisse voûte, asile de la nuit,
Se cachent les degrés de ce pieux réduit,
Dont la façade ouverte, au sein du marbre, étale
Odénat, revêtu de la pompe royale1;
Ses aïeux, qu'anima le fidèle ciseau,

Veillent toujours en pleurs dans le même tombeau.
Des pilastres, plus bas, l'intervalle recèle

Le trésor embaumé de leur chair immortelle :
L'albâtre le renferme. Il présente d'abord

Et les traits et le nom, et les hauts faits du mort.
Art pieux que du Nil fit naître la contrée,
Un vil débris te doit l'immortelle durée,
Et, trompant de la mort l'irrévocable loi,
L'homme semble revivre et s'animer par toi.
Les esclaves du prince, après sa dernière heure,
Peupleront le sommet de sa vaste demeure;
La verdure, les fleurs, et le cristal des eaux
Qui fuit en murmurant sous d'épais arbrisseaux,
Aux pensers douloureux mêlent encor des charmes,
Et sans tarir leur source interrompent les larmes.
DORION. Palmyre conquise, ch. VII.

LES TOMBEAUX DE SAINT-DENIS.

Des barbares jadis l'instinct religieux Respecta dans ces rois les images des dieux; Et vous exterminez leur auguste poussière, Qu'avait su conserver la mort hospitalière ?!

1 Voyez, dans la première partie, Fables et Allégories. (N. E.) 2 Ce fut en octobre 1793, qu'eut lieu la violation sacrilége des tombes où étaient renfermés les corps des rois et reines

Du roi le plus pieux, d'un des plus saints mortels,
Vos sacrileges mains renversent les autels!
Accordez-lui du moins un asile à Vincenne,
Un tombeau de gazon sous cet auguste chêne
Où sa voix équitable, en jugeant nos aïeux,
Semblait leur annoncer la volonté des cieux.
Et Charles cinq, formé sur cet illustre exemple,
A-t-il perdu le droit d'habiter dans ce temple?
Vont-ils des potentats partager le destin,

Ce sage et ce guerrier, Suger et du Guesclin;
Suger, enfant du cloitre, et qui, né sans ancêtres,
Sut gouverner en père et la France et ses maîtres;
Et ce bon du Guesclin, dont la victoire en deuil
Sous les murs de Randon couronna le cercueil?
Magnanime Louis! ta tombe et tes images
Périssent; mais, vainqueur de ces lâches outrages,
Ton siècle qui te doit toute sa majesté,
Te couvre des rayons de l'immortalité :
Siècle encor sans rival, rempli de ton histoire,
Héritier de ton nom, et chargé de ta gloire.
Ah! parmi tant d'objets de respect et d'amour,
Quand chacun dans mon âme éveillait tour à tour
Les brillants souvenirs et les tristes pensées
Qu'inspire le destin des grandeurs terrassées,
Que devins-je à l'aspect du roi le plus chéri?
Il semblait respirer: Est-ce toi, bon Henri?...
Du poignard sur ton sein je reconnais la marque...
C'est toi-même, et je crois, ô généreux monarque!
Entendre ces accents échapper de ton cœur :

Ah! si l'un de mes fils, des factions vainqueur,
<< Et ministre du ciel, devenu plus propice,
Ramène dans l'Etat la paix et la justice;
S'il relève jamais mon trône renversé,

« D'un généreux oubli couvrant tout le passé, Puisse-t-il comme nous, ami de la clémence, Pardonner, en pleurant, ces crimes à la France!>

LA GRÈCE.

TRENEUIL.

Dans la belle vallée où fut Lacédémone, Non loin de l'Eurotas, et près de ce ruisseau Qui, formant son canal de débris de colonne, Va sous des lauriers-rose ensevelir son eau, Regardez c'est la Grèce et toute en un tableau.

Une femme est debout, de beauté ravissante, Pieds nus; et sous ses doigts un indigent fuseau File, d'une quenouille empruntée au roseau, Du coton floconneux la neige éblouissante. Un pâtre d'Amyclée, auprès d'elle placé, Du bâton recourbé, de la courte tunique, Rappelle les bergers d'un bas-relief antique. Par un instinct charmant, et sans art adossé Contre un vase de marbre à demi renversé, Comme aux jours solennels des fêtes d'Hyacinthe, Des fleurs du glatinier sa tête encore est ceinte. Sous sa couronne à l'ombre, il regarde, surpris, Trois voyageurs d'Europe, au pied d'un chêne assis. Le chemin est auprès. Sur un coursier conduite, La musulmane y passe, et de l'œil du mépris Regarde; et l'Africain marche et porte à sa suite Dans une cage d'or sa perdrix favorite : Cependant qu'un aga, dans un riche appareil,

de France, et des autres grands personnages enterrés dans l'église de l'abbaye de Saint-Denis. (N. E.)

3 Il devrait y avoir: au bâton recourbé, à la courte tunique. La phrase, telle qu'elle est construite, est obscure. (N. E.)

[blocks in formation]

L'ancre mord les glaçons, vieux enfants de l'hiver.
Les monstres bondissants sur cette affreuse mer,
L'ours, monarque affamé de ces sombres rivages,
Et le phoque timide, et les morses sauvages,
Et l'horrible baleine à qui, le fer en main,
Le Batave a du pôle enseigné le chemin,
Et qu'il poursuit encor sous sa glace éternelle;
Voilà les ennemis que son courage appelle!
Leur sanglante dépouille excite ses transports.
A peine de l'Islande a-t-il quitté les ports,
Sur les flots apaisés, s'il voit l'eau jaillissante
Que lance dans les airs d'une haleine puissante
Le colosse animé que cherche sa fureur,

A l'instant tout est prêt. Sans trouble, sans terreur,
Le bras levé, l'œil fixe, il approche en silence,
Mesure son effort, suit le monstre flottant,
Et d'un fer imprévu le frappe en l'évitant.

Soudain la mer bouillonne en sa masse ébranlée;
Un sang épais se mêle à la vague troublée ;
D'un long mugissement l'abîme retentit :
Dans des gouffres sans fond le monstre s'engloutit;
Mais sa fuite est cruelle, et sa fureur est vaine.
Un fil, au sein des flots poursuivant la baleine,
Au Batave attentif rend tous ses mouvements :
Par l'excès de sa force elle aigrit ses tourments:
Rien ne peut les calmer. Le fer infatigable,
Image du remords qui poursuit le coupable,
La perce, la déchire, et, trompant son effort,
Enfonce dans ses flancs la douleur et la mort.
Lasse enfin de lutter sous l'Océan qui gronde,
De ses antres glacés sur l'écume de l'onde
Elle remonte encore, et vient chercher le jour.
Le fil qui se replie annonce son retour;
Aussitôt, dirigé par ce guide fidèle,
L'intrépide pêcheur arrète sa nacelle
Au lieu mème où le monstre, épuisé, haletant,
Lève sa tête énorme et respire un instant.
Il parait mille coups irritent sa vengeance :
Terrible, il se ranime, et de sa queue immense
Bat l'onde qui bouillonne et bondit dans les airs.
Sa rage, en soulevant le vaste sein des mers,
Exhale en tourbillons le souffle qui lui reste.
Malheur au nautonier, dans ce moment funeste,
Si l'aviron léger n'emportait ses canots
Loin de l'orage affreux qui tourmente les flots!
Tout s'éloigne, tout fuit; la baleine expirante
Plonge, revient, surnage; et sa masse effrayante,
Qui semble encor braver les ondes et les vents,
D'un sang déjà glacé rougit les flots mouvants :
Auprès de ses vaisseaux le Batave l'entraine.

ESMENARD. Poëme de la Navigation.

L'IVRESSE DU PAUVRE.

Avez-vous quelquefois rencontré, vers le soir, Un brave campagnard regagnant son manoir, Après avoir à table employé sa journée?

[blocks in formation]

C'est dans cette saison si belle
Que Bacchus prépare à nos yeux
De son triomphe glorieux
La pompe la plus solennelle.
Il vient de ses divines mains
Sceller l'alliance éternelle
Qu'il a faite avec les humains.

Autour de son char diaphane
Les Ris, voltigeant dans les airs,
Des soins qui troublent l'univers
Ecartent la foule profane.
Tel, sur des bords inhabités,
Il vint de la triste Ariane
Calmer les esprits agités.

Les Satyres tout hors d'haleine,
Conduisant les nymphes des bois,
Au son du fifre et du hautbois,
Dansent par troupes dans la plaine;
Tandis que les Sylvains lassés
Portent l'immobile Silène
Sur leurs thyrses entrelacés 1.
ROUSSEAU. Ode III, livre III.

Le feuillage d'AUTOMNE, OU LA MÉLANCOLIE. Remarquez-les 2 surtout lorsque la pâle Automne, Près de la voir flétrir, embellit sa couronne:

1 Voyez en prose, Ire partie. 2 Les feuilles et les fleurs.

Que de variété, que de pompe et d'éclat!
Le pourpre, l'orangé, l'opale, l'incarnat,
De leurs riches couleurs étalent l'abondance.
Hélas! tout cet éclat marque leur décadence.
Tel est le sort commun: bientôt les aquilons
Des dépouilles des bois vont joncher les vallons;
De moment en moment la feuille sur la terre
En tombant interrompt le rèveur solitaire.
Mais ces ruines même ont pour moi des attraits.
Là, si mon cœur nourrit quelques profonds regrets,
Si quelque souvenir vient rouvrir ma blessure,
J'aime à mêler mon deuil au deuil de la nature.
De ces bois desséchés, de ces rameaux flétris,
Seul, errant, je me plais à fouler les débris.
Ils sont passés les jours d'ivresse et de folie :
Viens, je me livre à toi, tendre Mélancolie;
Viens, non le front chargé des nuages affreux
Dont marche enveloppé le Chagrin ténébreux,
Mais l'œil demi-voilé, mais telle qu'en automne
A travers des vapeurs un jour plus doux rayonne;
Viens, le regard pensif, le front calme, et les yeux
Tout prêts à s'humecter de pleurs délicieux.
DELILLE. Les Jardins, ch. II.

LA CHUTE DES FEUILLES.

De la dépouille de nos bois
L'automne avait jonché la terre:
Le bocage était sans mystère,
Le rossignol était sans voix.
Triste et mourant, à son aurore,
Un jeune malade, à pas lents,
Parcourait une fois encore

Le bois cher à ses premiers ans :

Bois, que j'aime! adieu... je succombe;
Votre deuil me prédit mon sort;
Et dans chaque feuille qui tombe
Je vois un présage de mort.
Fatal oracle d'Epidaure,

Tu m'as dit : « Les feuilles des bois
A tes yeux jauniront encore,
Mais c'est pour la dernière fois.
« L'éternel cyprès t'environne :
Plus pâle que la pâle automne,
Tu t'inclines vers le tombeau.
Ta jeunesse sera flétrie
Avant l'herbe de la prairie,

Avant les pampres du coteau. »
Et je meurs!... De leur froide haleine
M'ont touché les sombres autans:
Et j'ai vu comme une ombre vaine
S'évanouir mon beau printemps.
Tombe, tombe, feuille éphémère!
Voile aux yeux ce triste chemin;
Cache au désespoir de ma mère
La place où je serai demain.
Mais, vers la solitaire allée,
Si mon amante échevelée
Venait pleurer quand le jour fuit,
Eveille par ton léger bruit

Mon ombre un instant consolée! »
Il dit, s'éloigne... et sans retour!...
La dernière feuille qui tombe
A signalé son dernier jour.

Sous le chêne on creusa sa tombe...
Mais son amante ne vint pas
Visiter la pierre isolée :
Et le pâtre de la vallée

[blocks in formation]

O penchant plus flatteur, plus doux que la folie!
Bonheur des malheureux, tendre mélancolie,
Trouverai-je pour toi d'assez douces couleurs?
Que ton souris me plaît, et que j'aime tes pleurs!
Que sous tes traits touchants ta douleur a de charmes!
Dès que le désespoir peut retrouver des larmes,
A la mélancolie il vient les confier,

Pour adoucir sa peine, et non pour l'oublier.
C'est elle qui, bien mieux que la joie importune,
Au sortir des tourments accueille l'infortune;
Qui, d'un air triste et doux, vient sourire au malheur,
Assoupit les chagrins, émousse la douleur.

De la peine au bonheur délicate nuance,

Ce n'est point le plaisir, ce n'est plus la souffrance:
La joie est loin encor; le désespoir a fui;

Mais, fille du malheur, elle a des traits de lui.

Quels sont les lieux, les temps, les images chéries
Où se plaisent le mieux ses douces rêveries?
Ah! le cœur le devine: en son secret réduit
Elle évite la foule, et redoute le bruit :
Sauvage, et se cachant à la foule indiscrète,
Le demi-jour suffit à sa douce retraite;
De loin, avec plaisir, elle écoute les vents,
Le murmure des mers, la chute des torrents;
La forêt, le désert, voilà les lieux qu'elle aime.
Son cœur plus recueilli jouit mieux de lui-même;
La nature un peu triste est plus douce à son œil,
Elle semble en secret compatir à son deuil.
Aussi l'astre du soir la voit souvent rêveuse,
Regarder tendrement sa lumière amoureuse.
Ce n'est point du printemps la brillante gaîté,
Ce n'est point la richesse et l'éclat de l'été,
Qui plait à ses regards; non, c'est la pâle automne,
D'une main languissante effeuillant sa couronne.

Que la foule, à grands frais, cherche un grossier bonheur:
D'un mot, d'un nom, d'un rève elle nourrit son cœur.
Souvent, quand des cités les bruyantes orgies,
Au son des instruments, aux clartés des bougies,
Etincellent partout de l'or des vêtements,
Des éclairs de l'esprit, du feu des diamants,
Pensive et sur sa main laissant tomber sa tête,
Un tendre souvenir est sa plus douce fête. [amours,
Viens donc, viens, charme heureux des arts et des
Je t'ai chanté deux fois, inspire-moi toujours 1.
DELILLE. L'Imagination, ch. 111.

LE COIN DU FEU.

Le foyer, des plaisirs est la source féconde; Il fixe doucement notre humeur vagabonde. Au retour du printemps, de nos toits échappés, Nous portons en tous lieux nos esprits dissipés; Le printemps nous disperse, et l'hiver nous rallie. Auprès de nos foyers, notre âme recueillie Goûte ce doux commerce, à tous les cœurs si cher! Oui, l'instinct social est enfant de l'hiver.

1 Voyez, plus bas, Définitions, même sujet.

En cercle un même attrait rassemble autour de l'âtre
La vieillesse conteuse et l'enfance folâtre.
Là courent à la ronde et les propos joyeux,
Et la vieille romance, et les aimables jeux;
Là, se dédommageant de ses longues absences,
Chacun vient retrouver ses vieilles connaissances.
Là s'épanche le cœur : le plus pénible aveu,
Longtemps captif ailleurs, s'échappe au coin du feu.
Comme aux jours fortunés des pénates antiques,
Le foyer est le dieu des vertus domestiques.
Là reviennent s'unir les parents, les maris,
Qui vivaient séparés sous les mêmes lambris.
Là vient se renouer la douce causerie;
Chacun, en la contant, recommence sa vie :
L'un redit ses combats, un autre son procès,
Cet autre ses amours; d'autres, plus indiscrets,
Comme moi d'un ami tentant la patience,
De leurs vers nouveau-nés lui font la confidence;
Le foyer, du talent est aussi le berceau;
Là je vois s'essayer le crayon, le pinceau,
Le luth barmonieux, l'industrieuse aiguille.
Tantôt c'est un roman qu'on écoute en famille...
Vous dirai-je ces jeux dont les amusements
De la jeunesse oisive occupent les moments,
Abrégent la soirée et prolongent la veille?
Mais la maternité, de l'œil et de l'oreille,
Suit leurs joyeux ébats, tempère la gaîté,
Et la sagesse impose à la témérité.

Ici, sous des genoux qui se courbent en voûte,
Une pantoufle agile, en déguisant sa route,
Va, vient, et quelquefois, par son bruit agaçant,
Sur le parquet battu se trahit en passant.
Ailleurs, par deux rivaux la raquette empaumée,
Attend, reçoit, renvoie une balle emplumée,
Qui, toujours arrivant, et repartant toujours,
Par le même chemin recommence son cours.
Des tablettes ailleurs étalent à la vue
Des beaux esprits du temps l'innombrable cohue;
Et des journaux malins font passer les auteurs
Des bravos du parterre au rire des lecteurs.

Enfin, au coin du feu, nos aimables convives
Vont achever du soir les heures fugitives.
Autour d'eux sont placés des damiers, des cornets;
L'un se plaint d'un échec, et l'autre d'un sonnez.
Tour à tour on querelle, on bénit la fortune;
Enfin contre l'hiver tous font cause commune.

Suis-je seul, je me plais encore au coin du feu. De nourrir mon brasier mes mains se font un jeu ; J'agace mes tisons; mon adroit artifice Reconstruit de mon feu l'élégant édifice: J'éloigne, je rapproche, et du hêtre brûlant Je corrige le feu trop rapide ou trop lent.

Chaque fois que j'ai pris mes pincettes fidèles,
Partent en petillant des milliers d'étincelles;
J'aime à voir s'envoler leurs légers bataillons;
Que m'importent du Nord les fougueux tourbillons?
La neige, les frimas qu'un froid piquant resserre,
En vain sifflent dans l'air, en vain battent la terre.
Quel plaisir, entouré d'un double paravent,
D'écouter la tempête et d'insulter au vent!
Qu'il est doux, à l'abri du toit qui me protége,
De voir à gros flocons s'amonceler la neige!
Leur vue à mon foyer prête un nouvel appas :
L'homme se plaît à voir les maux qu'il ne sent pas.
Mon cœur devient-il triste, et ma tête pesante,
Eh bien, pour ranimer ma gaité languissante,
La fève de Moka, la feuille de Canton,
Vont verser leur nectar dans l'émail du Japon.
Dans l'airain échauffé déjà l'onde frissonne;
Bientôt le thé doré jaunit l'eau qui bouillonne,
Ou des grains du Levant je goûte le parfum.
Point d'ennuyeux causeur, de témoin importun;
Lui seul, de ma maison exacte sentinelle,
Mon chien, ami constant et compagnon fidèle,
Prend à mes pieds sa part de la douce chaleur.

Et toi, charme divin de l'esprit et du cœur,
Imagination! de tes vagues chimères
Fais passer devant moi les figures légères.
A tes songes brillants que j'aime à me livrer!
Dans ce brasier ardent qui va le dévorer,
Par toi, ce chêne en feu nourrit ma rêverie:
Quelles mains l'ont planté? quel sol fut sa patrie?
Sur les monts escarpés bravait-il l'aquilon?
Bordait-il le ruisseau? parait-il le vallon?
Peut-être il embellit la colline que j'aime,
Peut-être sous son ombre ai-je rêvé moi-même.
Tout à coup je l'anime; à son front verdoyant
Je rends de ses rameaux le panache ondoyant,
Ses guirlandes de fleurs, ses touffes de feuillage,
Et les tendres secrets que voila son ombrage.
Tantôt, environné d'auteurs que je chéris,
Je prends, quitte et reprends mes livres favoris;
A leur feu tout à coup ma verve se rallume,
Soudain sur le papier je laisse errer ma plume,
Et goûte, retiré dans mon heureux réduit,
L'étude, le repos, le silence et la nuit.
Tantôt, prenant en main l'écran géographique,
D'Amérique en Asie, et d'Europe en Afrique,
Avec Cook et Forster, dans cet espace étroit,

Je cours plus d'une mer, franchis plus d'un détroit,
Chemine sur la terre, et navigue sur l'onde,
Et fais, dans mon fauteuil, le voyage du monde.
LE MÊME. Les Trois Règnes, ch. 1er.

DESCRIPTIONS.

Soyez riche et pompeux dans vos descriptions; C'est là qu'il faut des vers étaler l'élégance. BOILEAU. Art poét., ch. II.

DESCRIPTION POÉTIQUE.

PRÉCEPTES DU GENRE.

Les descriptions du poëte sont plus animées; et, comme il est plus libre dans sa composition, c'est surtout à lui de choisir l'objet, le point de vue, le moment favorable, les traits les plus intéressants, et les contrastes qui peuvent rendre son objet plus sensible encore.

Le choix de l'objet doit se régler sur l'intention du poëte. Le tableau doit-il être gracieux ou sombre, pathétique ou riant? Cela dépend de la place qu'il lui destine, et de l'effet qu'il en attend.

Le point de vue est relatif de l'objet au spectateur l'aspect de l'un, la situation de l'autre, concourent à rendre la description plus ou moins intéressante; mais ce qu'il est important de remarquer, c'est que, toutes les fois qu'elle a des auditeurs en scène, le lecteur se met à leur place; et c'est de là qu'il voit le tableau. Lorsque Cinna répète à Émilie ce qu'il a dit aux conjurés pour les animer à la perte d'Auguste, nous nous mettons, pour l'écouter, à la place d'Émilie; au lieu que, s'il vient à décrire les horreurs des proscriptions:

Je les peins dans le meurtre à l'envi triomphants,
Rome entière noyée, etc.

ce n'est plus à la place d'Émilie que nous sommes, c'est à la place des conjurés.

Le point de vue direct de l'objet à nous est plus ou moins favorable à la poésie, comme à la peinture, selon qu'il répond plus ou moins à l'effet qu'elle veut produire. Un poëte fait-il l'éloge d'un guerrier, il le voit comme Hermione voit Pyrrhus,

Intrépide, et partout suivi de la victoire.

Il oublie que son héros est un homme, et que ce sont des hommes qu'il fait égorger. Sa valeur, son activité, son audace, le don de prévoir, de disposer, de maîtriser seul les événements, l'in

fluence d'une grande âme sur des milliers d'âmes vulgaires, qu'elle remplit de son ardeur, voilà ce qui le frappe.

Mais veut-il lui reprocher ses triomphes, tout change de face, et l'on voit:

Des murs que la flamme ravage,

Un vainqueur fumant de carnage, etc.

ROUSSEAU.

Ainsi cette Hermione, qui, dans Pyrrhus, admirait un héros intrépide, un vainqueur plein de charmes, n'y voit bientôt qu'un meurtrier impitoyable, et même lâche dans sa fureur :

Du vieux père d'Hector la valeur abattue,
Aux pieds de sa famille, etc.

L'imitation de la nature peut varier à l'infini dans les détails; et c'est une étude assez curieuse que celle des tableaux divers qu'un même sujet a produits, imité par des mains savantes. Que l'on compare les assauts, les batailles, les combats singuliers, décrits par les plus grands poëtes anciens et modernes; avec combien d'intelligence et de génie chacun d'eux a varié ce fonds commun, par des circonstances tirées des lieux, des temps, et des personnes !

Les contrastes ont le double avantage de varier et d'animer la description. Non-seulement deux tableaux opposés de ton et de couleur se font valoir l'un l'autre, mais, dans le même tableau, ce mélange d'ombre et de lumière détache les objets et les relève avec plus d'éclat.

Un exemple de l'effet des contrastes, après lequel il ne faut rien citer, c'est celui des enfants de Médée, caressant leur mère qui va les égorger, et souriant au poignard levé sur leur sein: c'est le sublime dans le terrible.

Mais il faut observer, dans le contraste des images, que le mélange en soit harmonieux. Il en est de ces gradations comme de celles du son, de la lumière et des couleurs rien n'est terminé, tout se communique, tout participe de ce qui

« PreviousContinue »