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Sous la roche voûtée, antre mystérieux,

Où ta nymphe, échappant aux regards curieux,
Dans un gouffre sans fond cache sa source obscure,
Combien j'aimais à voir ton eau qui, toujours pure,
Tantôt dans son bassin renferme ses trésors,
Tantôt en bouillonnant s'élève, et de ses bords
Versant parmi des rocs ses vagues blanchissantes,
De cascade en cascade au loin rejaillissantes,
Tombe et roule à grand bruit, puis calmant son cour-
Sur un lit plus égal répand des flots plus doux, [roux,
Et, sous un ciel d'azur, coule, arrose et féconde
Le plus riant vallon qu'éclaire l'œil du monde!

Mais ces eaux, ce beau ciel, ce vallon enchanteur,
Moins que Pétrarque et Laure, intéressaient mon cœur.
La voilà donc, disais-je, oui, voilà cette rive
Que Pétrarque charmait de sa lyre plaintive!
Ici Pétrarque, à Laure exprimant son amour,
Voyait naître trop tard, mourir trop tôt le jour.
Retrouverai-je encor, sur ces rocs solitaires,
De leurs chiffres unis les tendres caractères?
Une grotte écartée avait frappé mes yeux:
Grotte sombre, dis-moi si tu les vis heureux!
M'écriais-je. Un vieux tronc bordait-il le rivage?
Laure avait reposé sous son antique ombrage.
Je redemandais Laure à l'écho dù vallon,
Et l'écho n'avait point oublié ce doux nom. [Laure,
Partout mes yeux cherchaient, voyaient Pétrarque et
Et par eux ces beaux lieux s'embellissaient encore.
DELILLE. Les Jardins, ch. 11I.

LES VUES PROPRES AU VERGER.

Daignez aux habitants de la ferme voisine Accorder un chemin à l'abri des chaleurs. Que les jeunes enfants croissent parmi vos fleurs! Près de vous, loin de vous, l'œil charmé se promène : Contemplez ces lointains, ces coteaux, cette plaine. Quand avril reparaît, quand le jour renaissant Se glisse à travers l'ombre, et l'efface en croissant, La féconde génisse abandonne l'étable, Mugit, et, du hameau nourrice inépuisable, Broutant jusqu'à la nuit un gazon ranimé, Grossit le doux trésor de son lait parfumé. L'œil la suit dans ces bois, dans ce noir labyrinthe, Où de ses pieds pesants s'approfondit l'empreinte. Là sont des laboureurs, et dans le gras vallon, Penchés sur leur charrue, ils ouvrent un sillon. Tandis que les brebis, qui paissent confondues, Vous présentent de loin, aux rochers suspendues, D'un nuage argenté l'immobile blancheur,

A vos pieds se promène un robuste faucheur : L'herbe tombe et s'entasse en monceaux divisée; Souvent frémit la faux sur la pierre aiguisée. Peindrai-je dans les champs les moissonneurs épars, Les gerbes, à grands cris, s'élevant sur les chars, Et les folâtres jeux que la vendange amène?

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D'une faveur si haute était le moins indigne :
Il avait des vertus; et, si de ses beaux jours
La Parque en ce combat n'eût abrégé le cours,
Sans doute aux grands exploits son âme accoutumée
Aurait de Guise, un jour, atteint la renommée.
Mais, nourri jusqu'alors au milieu de la cour,
Dans le sein des plaisirs, dans les bras de l'amour,
Il n'eut à m'opposer qu'un excès de courage,
Dans un jeune héros dangereux avantage.
Les courtisans en foule, attachés à son sort,
Du sein des voluptés s'avançaient à la mort.
Des chiffres amoureux, gage de leurs tendresses,
Traçaient sur leurs habits les noms de leurs maitresses;
Leurs armes éclataient du feu des diamants,
De leurs bras énervés frivoles ornements.
Ardents, tumultueux, privés d'expérience,
Its portaient au combat leur superbe imprudence:
Orgueilleux de leur pompe, et fiers d'un camp nombreux,
Sans ordre ils s'avançaient d'un pas impétueux.

D'un éclat différent mon camp frappait leur vue:
Mon armée, en silence à leurs yeux étendue,
N'offrait de tous côtés que farouches soldats,
Endurcis aux travaux, vieillis dans les combats,
Accoutumés au sang et couverts de blessures;
Leur fer et leur mousquet composaient leurs parures;
Comme eux vêtu sans pompe, armé de fer comme eux,
Je conduisais aux coups leurs escadrons poudreux;
Comme eux de mille morts affrontant la tempête,
Je n'étais distingué qu'en marchant à leur tête.
Je vis nos ennemis vaincus et renversés,
Sous nos coups expirants, devant nous dispersés :
A regret dans leur sein j'enfonçais cette épée,
Qui du sang espagnol eût été mieux trempée.
Il le faut avouer, parmi ces courtisans
Que moissonna le fer à la fleur de leurs ans,
Aucun ne fut percé que de coups honorables:
Tous fermes dans leur poste et tous inébranlables,
Ils voyaient devant eux avancer le trépas,
Sans détourner les yeux, sans reculer d'un pas.
Des courtisans français tel est le caractère :
La paix n'amollit point leur valeur ordinaire;
De l'ombre du repos ils volent aux hasards;
Vils flatteurs à la cour, héros au champ de Mars.

Pour moi, dans les horreurs d'une mêlée affreuse, J'ordonnai, mais en vain, qu'on épargnât Joyeuse. Je l'aperçus bientôt, porté par des soldats, Pâle, et déjà couvert des ombres du trépas. Telle une tendre fleur, qu'un matin voit éclore Des baisers du zéphyr et des pleurs de l'aurore, Brille un moment aux yeux, et tombe avant le temps Sous le tranchant du fer, ou sous l'effort des vents. VOLTAIRE. La Henriade, ch. III.

LE DESSERT.

Un service élégant, d'une ordonnance exacte, Doit de votre repas marquer le dernier acte. Au secours du dessert appelez tous les arts, Surtout celui qui brille au quartier des Lombards. Là, vous pourrez trouver, au gré de vos caprices, Des sucres arrangés en galants édifices; Des châteaux de bonbons, des palais de biscuits, Le Louvre, Bagatelle et Versailles confits, Les amours de Sapho, d'Abélard, de Tibulle, Les noces de Gamache, et les travaux d'Hercule;

2 Les boutiques des plus fameux confiseurs de Paris étaient placées rue des Lombards. (N. E.)

Et mille objets divers, que savent imiter
D'habiles confiscurs que je pourrais citer.

Ne démolissez point ces merveilles sucrées,
Pour le charme des yeux seulement préparées;
Ou du moins accordez, pour jouir plus longtemps,
Quelques jours d'existence à ces doux monuments :
Assez d'autres objets, dignes de votre hommage,
Avec moins d'appareil vous plairont davantage.
Ah! plutôt attaquez et savourez ces fruits
Qu'un art officieux en compote a réduits.
A la grâce, à l'éclat sacrifiez encore,

Aux trésors de Pomone ajoutez ceux de Flore:
Que la rose, l'œillet, le lis et le jasmin,
Fassent de vos desserts un aimable jardin;
Et que l'observateur de la belle nature
S'extasie en voyant des fleurs en confiture.
Vous avez satisfait à vos nombreux désirs;
Mais Bacchus vous attend pour combler vos plaisirs.
Approche, bienfaiteur et conquérant de l'Inde,
Tu m'inspireras mieux que les filles du Pinde;
Verse-moi ton nectar, dont les dieux sont jaloux,
Et mes vers vont couler plus faciles, plus doux.

De ces vases nombreux que l'aspect m'intéresse!
Quel luxe séducteur! quelle aimable richesse!
Vos convives déjà, dans un juste embarras,
Vous adressent leurs vœux, et vous tendent les bras:
Venez à leur secours, offrez-leur à la ronde
La liqueur qui vous vient des bords de la Gironde,
Le vin de Malvoisie et celui de Palma,
Le champagne mousseux, le christi-lacryma,
Le chypre, l'albano, le clairet, le constance...
Choisissez-les toujours au lieu de leur naissance.
N'allez pas rechercher aux faubourgs de Paris
Du vin de Rivesalte ou de Côte-Perdrix;
Et ne vous fiez pas à l'art des empiriques
Qui chargent vos boissons de mélanges chimiques;
Donnez-vous en buvant les airs d'un connaisseur;
Dites que ce bordeaux aurait plus de saveur
S'il avait visité quelques plages lointaines,
Et que ce malaga qui coule dans vos veines,
Usé par la vieillesse, a perdu sa vertu ;
Qu'il serait sans égal s'il avait moins vécu.

BERCHOUX. La Gastronomie.

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Il est une liqueur, au poëte plus chère,
Qui manquait à Virgile, et qu'adorait Voltaire.
C'est toi, divin café, dont l'aimable liqueur,
Sans altérer la tête, épanouit le cœur.
Aussi, quand mon palais est émoussé par l'âge,
Avec plaisir encor je goûte ton breuvage.
Que j'aime à préparer ton nectar précieux!
Nul n'usurpe chez moi ce soin délicieux.

Sur le réchaud brûlant moi seul tournant ta graine,
A l'or de ta couleur fais succéder l'ébène;
Moi seul, contre la noix qu'arment ses dents de fer,
Je fais, en le broyant, crier ton fruit amer;
Charmé de ton parfum, c'est moi seul qui dans l'onde
Infuse à mon foyer ta poussière féconde;
Qui, tour à tour calmant, excitant tes bouillons,
Suis d'un œil attentif tes légers tourbillons.
Enfin, de ta liqueur lentement reposée,
Dans le vase fumant la lie est déposée;
Ma coupe, ton nectar, le miel américain,
Que du suc des roseaux exprima l'Africain,
Tout est prêt du Japon l'émail reçoit tes ondes,
Et seul tu réunis les tributs des deux mondes.
Viens donc, divin nectar, viens donc, inspire-moi :
Je ne veux qu'un désert, mon Antigone, et toi.
A peine j'ai senti ta vapeur odorante,
Soudain de ton climat la chaleur pénétrante
Réveille tous mes sens; sans trouble, sans chaos,
Mes pensers plus nombreux accourent à grands flots
Mon idée était triste, aride, dépouillée;

Elle rit, elle sort richement habillée,

Et je crois, du génie éprouvant le réveil,
Boire dans chaque goutte un rayon du soleil.
DELILLE. Les Trois Règnes, ch. VI.

LE CAFÉ.

Le café vous présente une heureuse liqueur Qui d'un vin trop fumeux chassera la vapeur; Vous obtiendrez par elle, en désertant la table, Un esprit plus ouvert, un sang-froid plus aimable; Bientôt, mieux disposé par ses puissants effets, Vous pourrez vous asseoir à de nouveaux banquets; Elle est du dieu des vers honorée et chérie. On dit que du poëte elle sert le génie; Que plus d'un froid rimeur, quelquefois réchauffé, A dû de meilleurs vers au parfum du café: Il peut du philosophe égayer les systèmes, Rendre aimables, badins, les géomètres mêmes; Par lui l'homme d'Etat, dispos après diner, Forme l'heureux projet de nous mieux gouverner. Il déride le front de ce savant austère, Amoureux de la langue et du pays d'Homère, Qui, fondant sur le grec sa gloire et ses succès, Se dédommage ainsi d'être un sot en français. Il peut, de l'astronome éclaircissant la vue, L'aider à retrouver son étoile perdue. Au nouvelliste enfin il révèle parfois

Les intrigues des cours et les secrets des rois,

LES HOSPICES.

Je m'éloigne, je vole aux asiles pieux,
Des besoins, des douleurs abris religieux,
Où la tendre pitié, pour adoucir leurs peines,
Joint les secours divins aux charités humaines.
Elle-même en posa les sacrés fondements.
Mais de ces saints abris, ouvrage des vieux temps,
Souvent la négligence ou l'infâme avarice
A fait de tous les maux l'épouvantable hospice.
Là, sont amoncelés, dans des murs dévorants,
Les vivants sur les morts, les morts sur les mourants;
Là, d'impures vapeurs la vie environnée,
Par un air corrompu languit empoisonnée;
Là, le long de ces lits où gémit le malheur,
Victime des secours plus que de la douleur,
L'ignorance, en courant, fait sa ronde homicide;
L'indifférence observe, et le hasard décide.

Mais la pitié revient achever ses travaux,
Sépare les douleurs, et distingue les maux,
Les recommande à l'art que sa bonté seconde;
Tantôt, les délivrant d'une vapeur immonde,
Ouvre ces longs canaux, ces frais ventilateurs,
De l'air renouvelé puissants réparateurs.
Par elle un ordre heureux conduit ici le zèle;
La propreté soigneuse y préside avec elle.

La vie est à l'abri du souffle de la mort;
Grâce à ses soins pieux, sans terreur, sans remord,
L'agonie en ses bras plus doucement s'achève.
L'heureux convalescent sur son lit se relève,
Et revient, échappé des horreurs du trépas,
D'un pied tremblant encor former ses premiers pas.
Les besoins, la douleur, la santé, la bénissent;
La terre est consolée, et les cieux applaudissent.
LE MÊME. La Pitié, ch. 11.

MEME SUJET.

Ouvre-toi, triste enceinte, où le soldat blessé, Le malade indigent, et qui n'a point d'asile, Reçoivent un secours trop souvent inutile. Là, des femmes, portant le nom chéri de sœurs, D'un zèle affectueux prodiguent les douceurs. Plus d'une apprit longtemps, dans un saint monastère, En invoquant le ciel, à protéger la terre, Et, vers l'infortuné s'élançant des autels, Fut l'épouse d'un Dieu pour servir les mortels. O courage touchant! ces tendres bienfaitrices, Dans un séjour infect, où sont tous les supplices, De mille êtres souffrants prévenant les besoins, Surmontent les dégoûts des plus pénibles soins, Du chanvre salutaire entourent leurs blessures, Et réparent ce lit témoin de leurs tortures, Ce déplorable lit, dont l'avare pitié Ne prête à la douleur qu'une étroite moitié. De l'humanité même elles semblent l'image; Et les infortunés que leur bonté soulage Sentent avec bonheur, peut-être avec amour, Qu'une femme est l'ami qui les ramène au jour. LEGOUVÉ. Mérite des femmes.

LA TENDRESSE MATERNELLE.

Avec notre existence,

De la femme pour nous le dévoùment commence.
C'est elle qui, neuf mois, dans ses flancs douloureux,
Porte un fruit de l'hymen trop souvent malheureux,
Et, sur un lit cruel longtemps évanouie,
Mourante le dépose aux portes de la vie.
C'est elle qui, vouée à cet être nouveau,

Lui prodigue les soins qu'attend l'homme au berceau.
Quels tendres soins! Dort-il, attentive, elle chasse
L'insecte dont le vol ou le bruit le menace;
Elle semble défendre au réveil d'approcher.

La nuit même d'un fils ne peut la détacher;
Son oreille de l'ombre écoute le silence;
Ou, si Morphée endort sa tendre vigilance,
Au moindre bruit rouvrant ses yeux appesantis,
Elle vole, inquiète, au berceau de son fils,
Dans le sommeil longtemps le contemple immobile,
Et rentre dans sa couche, à peine encor tranquille.
S'éveille-t-il, son sein, à l'instant présenté,
Dans les flots d'un lait pur lui verse la santé.
Qu'importe la fatigue à sa tendresse extrême?
Elle vit dans son fils, et non plus dans soi-même,
Et se montre aux regards d'un époux éperdu .
Belle de son enfant à son sein suspendu.
Oui, ce fruit de l'hymen, ce trésor d'une mère,
Même à ses propres yeux est sa beauté première.

1 Cette action est vraie. Une mère sauva ainsi de la cécité son fils atteint de la petite vérole. Madame de Genlis, dans

Voyez la jeune Isaure, éclatante d'attraits: Sur un enfant chéri, l'image de ses traits, Fond soudain ce fléau qui, prolongeant sa rage, Grave au front des humains un éternel outrage. D'un mal contagieux tout fuit épouvanté; Isaure sans effroi brave un air infecté. Près de ce fils mourant elle veille assidue. Mais le poison s'étend et menace sa vue : Il faut, pour écarter un péril trop certain, Qu'une bouche fidèle aspire le venin. Une mère ose tout; Isaure est déjà prête; Ses charmes, son époux, ses jours, rien ne l'arrète; D'une lèvre obstinée, elle presse ces yeux Que ferme un voile impur à la clarté des cieux1; Et d'un fils, par degrés, dégageant la paupière, Une seconde fois lui donne la lumière.

Un père a-t-il pour nous de si généreux soins?

Bientôt d'autres bontés suivent d'autres besoins: L'enfant, de jour en jour, avance dans la vie; Et, comme les aiglons, qui, cédant à l'envie De mesurer les cieux dans leur premier essor, Exercent près du nid leur aile faible encor, Doucement soutenu sur ses mains chancelantes, Il commence l'essai de ses forces naissantes. Sa mère est près de lui: c'est elle dont le bras, Dans leur débile effort, aide ses premiers pas; Elle suit la lenteur de sa marche timide; Elle fut sa nourrice, elle devient son guide; Elle devient son maître au moment où sa voix Bégaye à peine un nom qu'il entendit cent fois : MA MERE est le premier qu'elle l'enseigne à dire. Elle est son maitre encor dès qu'il s'essaye à lire; Elle épelle avec lui dans un court entretien, Et redevient enfant pour instruire le sien. D'autres guident bientôt sa faible intelligence; Leur dureté punit sa moindre négligence. Quelle est l'âme où son cœur épanche ses tourments? Quel appui cherche-t-il contre les châtiments? Sa mère! elle lui prête une sûre défense, Calme ses maux légers, grands chagrins de l'enfance, Et, sensible à ses pleurs, prompte à les essuyer, Lui donne les hochets qui les font oublier.

MÈME SUJET.

LE MÊME. Ibid.

O bienfaits d'une mère, inaltérable empire! Elle aime son enfant, même avant qu'il respire. Mais, après tant de maux, quand ce gage adoré S'échappe avec effort de son flanc déchiré, Avec quelle douceur son oreille ravie Reçoit le premier cri qui l'annonce à la vie! Heureuse de souffrir, on la voit tour à tour Soupirer de douleur et tressaillir d'amour. Ah! loin de le livrer aux soins de l'étrangère, Sa mère le nourrit, elle est deux fois sa mère. Quel est son désespoir quand son sein desséché Est avare d'un lait avec peine arraché! Je t'interroge, ô toi, dont une main savante A confié l'histoire à la toile vivante! Tu regardes ton fils, il pleure, il va périr... Malheureuse, ton sein ne peut plus le nourrir! Guidée en ce moment par un Dieu tutélaire, Une chèvre s'approche, et son lait salutaire

un de ses romans, raconte un fait semblable, excepté qu'il s'agit, dans son récit, d'une fille de quinze ans. (N. E.)

A la bouche enfantine offre un pur aliment.
La mère est immobile, et sourit tristement;
Pensive, elle contemple avec un œil d'envie
La mamelle féconde où l'enfant boit la vie.
Si de ses premiers maux le tribut passager
Au nourrisson débile arrache un cri léger,
Une mère, l'effroi, le désespoir dans l'âme,
Voit déjà de ses jours se délier la trame;
Elle écoute, la nuit, son paisible sommeil ;
Par un souffle elle craint de hâter son réveil;
Elle entoure de soins sa fragile existence :
Avec celle d'un fils la sienne recommence :
Elle sait, dans ses cris devinant ses désirs,
Pour ses caprices même inventer des plaisirs.

Quand la raison précoce a devancé son âge,
Sa mère la première épure son langage;
De mots nouveaux pour lui, par de courtes leçons,
Dans sa jeune mémoire elle imprime les sons:
Soin précieux et tendre, aimable ministère,
Qu'interrompent souvent les baisers d'une mère!
D'un utile entretien elle poursuit le cours,
Sans jamais se lasser répond à ses discours,
L'applaudit doucement, et doucement le blâme,
Cultive son esprit, fertilise son âme,

Et fait luire à son œil, encor faible et tremblant,
De la religion le flambeau consolant.
Quelquefois une histoire abrége la veillée;
L'enfant prête une oreille active, émerveillée :
Appuyé sur sa mère, à ses genoux assis,
Il craint de perdre un mot de ces fameux récits.
Quelquefois de Gessner la Muse pastorale
Offre au jeune lecteur sa riante morale;
Il préfère à ses jeux ces passe-temps chéris,
Et pour lui le travail du travail est le prix.
La lice va s'ouvrir : l'étude opiniâtre
Te dispute ce fils que ton cœur idolâtre,
Tendre mère! Déjà de sérieux loisirs
Préparent ses succès ainsi que tes plaisirs.
Enfin vient la journée où le grave Aristarque,
D'un peuple turbulent flegmatique monarque,
Dépouillant de son front la vieille austérité,
Décerne au jeune athlète un laurier mérité.
En silence on attache une vue attendrie
Sur l'enfant qui promet un homme à la patrie;
Cet enfant, c'est le tien. Un cri part: le vainqueur,
Porté par mille bras, est déjà sur ton cœur ;
Son triomphe est à toi, sa gloire t'environne,
Et de pleurs maternels tu mouilles sa couronne.

MILLEVOYE. La Tendresse maternelle.

LES FLEURS.

Hâtez-vous; vos jardins vous demandent des fleurs. Fleurs charmantes! par vous la nature est plus belle; Dans ses brillants travaux l'art vous prend pour [modèle.

Simples tributs du cœur, vos dons sont chaque jour
Offerts par l'amitié, hasardés par l'amour.
D'embellir la beauté vous obtenez la gloire,
Le laurier vous permet de parer la victoire,
Plus d'un hameau vous donne en prix à la pudeur :
L'autel même, où de Dieu repose la grandeur,
Se parfume au printemps de vos douces offrandes,
Et la religion sourit à vos guirlandes.

Mais c'est dans nos jardins'qu'est votre heureux séjour:
Filles de la rosée et de l'astre du jour,
Venez donc de nos champs décorer le théâtre.
N'attendez pas pourtant qu'amateur idolâtre,

Au lieu de vous jeter par touffes, par bouquets,
J'aille de lits en lits, de parquets en parquets,
De chaque fleur nouvelle attendre la naissance,
Observer ses couleurs, épier leur nuance.
Je sais que dans Harlem plus d'un triste amateur
Au fond de ses jardins s'enferme avec sa fleur,
Pour voir sa renoncule avant l'aube s'éveille,
D'une anémone unique adore la merveille,
Ou, d'un rival heureux enviant le secret,
Achète au poids de l'or les taches d'un œillet.
Laissez-lui sa manie et son amour bizarre;
Qu'il possède en jaloux, et jouisse en avare.
Sans obéir aux lois d'un art capricieux,
Fleurs, parure des champs et délices des yeux,
De vos riches couleurs venez peindre la terre.
Venez, mais n'allez pas dans les buis d'un parterre
Renfermer vos appas tristement relégués.
Que vos heureux trésors soient partout prodigués.
Tantôt de ces tapis émaillez la verdure,
Tantôt de ces sentiers égayez la bordure,
Serpentez en guirlande, entourez ces berceaux,
En méandres brillants courez au bord des eaux,
Ou tapissez ces murs, ou dans cette corbeille
Du choix de vos parfums embarrassez l'abeille.
Que Rapin, vous suivant dans toutes les saisons',
Décrive tous vos traits, rappelle tous vos noms :
A de si longs détails le dieu du goût s'oppose.
Mais qui peut refuser un hommage à la rose;
La rose, dont Vénus compose ses bosquets,
Le Printemps sa guirlande, et l'Amour ses bouquets;
Qu'Anacréon chanta; qui formait avec grâce,
Dans les jours de festins, la couronne d'Horace?
DELILLE. Les Jardins, ch. III.

MÊME SUJET.

O des sens enchantés délices innocentes! O suaves beautés sans cesse renaissantes! Ainsi que sur les fleurs Zéphyr se balançant, De leur brillant duvet teint son aile en passant, Ainsi de ces objets mon esprit se colore; La lyre sous mes doigts en devient plus sonore; La douce mélodie embellit mes concerts, Et le charme du lieu se répand sur mes vers. Recevez donc mon hymne, ô vous, fleurs du bocage, Des belles à la fois la parure et l'image! Au milieu des cités, et jusque dans les cours, Vous brillez même auprès des plus riches atours; Que du feu le plus vif le diamant scintille, Plus de charme se mêle à votre éclat tranquille; L'aiguille et le pinceau viennent vous consulter : Le chef-d'œuvre de l'art est de vous imiter.

Vous êtes des plaisirs l'emblème et l'attribut;
L'amitié tous les jours vous apporte en tribut;
D'une fenêtre à l'autre on nous dit, fleurs discrètes,
Qu'aux amours musulmans vous servez d'interprètes.
Point de fête sans vous, sans vos brillants festons;
Vous changez en bosquets le sein de nos maisons,
Votre émail aux autels embellit les offrandes,
Et l'horreur des tombeaux se perd sous vos guirlandes.
Le plus sombre reclus commerce avec les fleurs;
Tous les aimables goûts sont au fond de nos cœurs;

1 Le P. Rapin, auteur d'un poëme latin sur les jardins, écrit avec élégance et correction, vivait sous Louis XIV. (N. E.)

312

Tant la nature en nous, puissante, impérieuse,
Des tristes préjugés toujours victorieuse,
Au milieu des langueurs d'un volontaire ennui,
Rappelle l'homme encore au plaisir qu'il a fui!
Ah! que sur ton instinct ta vertu se repose,
Homme, un Dieu t'apparaît dans ces buissons de rose;
Ce Dieu qui de ses mains a paré ton séjour,
Par cet attrait lui-même a cherché ton amour.
La terre était en vain de moissons revêtue;
Sans les tapis de fleurs, la terre eût été nue;
Elle devait encor, riche de toutes parts,
En servant nos besoins, enchanter nos regards.
LEMIERE. Les Fastes, ch. IX.

LE PRINTEMPS ET LES FLEURS.

Du milieu de cette île, un berceau toujours frais Monte, se courbe en voûte, et s'embellit sans frais De touffes d'aubépine et de lilas sauvage, Qui, courant en festons, pendent sur le rivage. Plus loin ce même enclos se transforme en verger, Où l'art négligemment a pris soin de ranger Les arbustes nombreux que Pomone rassemble: Autour d'eux je vois naître et s'élever ensemble Et des plantes sans gloire et de brillantes fleurs; Un amoureux zéphyr en nourrit les couleurs ; L'iris de la Tamise échappe au sein de l'herbe, Et brille sans orgueil au pied du lis superbe.

L'œillet au large front, la pleine renoncule,
Le bluet qui, bravant l'ardente canicule,
Emaillera les champs de la blonde Cérès,
Le chèvrefeuille, ami de l'ombre des forêts,
Le sureau, le lilas, l'épaisse giroflée,
L'églantier orgueilleux de sa fleur étoilée,
De ce beau labyrinthe émaillent les détours.
Ici le frais muguet se marie aux pastours;
Là, du jasmin doré la précoce famille
Brille avec le rosier à travers la charmille.

Ne dois-je toutefois célébrer que l'essaim
Des fleurs dont cet enclos a diapré son sein?
Prés, bocages, forêts, vallons, rochers sauvages,
Fontaines et ruisseaux, sur leurs moites rivages,
Tous les lieux visités des zéphyrs inconstants,
Nourrissent aujourd'hui les filles du Printemps.

ROUCHER. Po me des Mois.

MEME SUJET.

Printemps chéri, doux matin de l'année,
Console-nous de l'ennui des hivers;
Reviens enfin, et Flore emprisonnée
Va de nouveau s'élever dans les airs.
Qu'avec plaisir je compte tes richesses!
Que ta présence a de charmes pour moi!
Puissent mes vers, aimables comme toi,
En les chantant, te payer tes largesses!
Déjà Zéphire annonce ton retour.
De ce retour modeste avant-courrière,
Sur le gazon la tendre primevère
S'ouvre et jaunit dès le premier beau jour.
A ses côtés la blanche pâquerette
Fleurit sous l'herbe et craint de s'élever.
Vous vous cachez, timide violette,

Mais c'est en vain; le doigt sait vous trouver :
Il vous arrache à l'obscure retraite
Qui recélait vos appas inconnus :

Et, destinée aux boudoirs de Cythère,
Vous renaissez sur un trône de verre,
Ou vous mourez sur le sein de Vénus.
L'Inde autrefois nous donna l'anémone,
De nos jardins ornement printanier.
Que tous les ans, au retour de l'automne,
Un sol nouveau remplace le premier,
Et tous les ans la fleur reconnaissante
Reparaîtra plus belle et plus brillante.
Elle naquit des larmes que jadis
Sur un amant Vénus a répandues :
Larmes d'amour, vous n'êtes point perdues :
Dans cette fleur je revois Adonis.
Dans la jacinthe, un bel enfant respire;
J'y reconnais le fils de Piérus.

Il cherche encor les regards de Phébus;
Il craint encor le souffle de Zéphire.
Des feux du jour évitant la chaleur,
Ici fleurit l'infortuné Narcisse;
Il a toujours conservé la pâleur
Que sur ses traits répandit la douleur.
Il aime l'ombre, à ses ennuis propice;
Mais il craint l'eau, qui causa son malheur.
N'oubliez pas la brillante auricule,
Soignez aussi la riche renoncule,

Et la tulipe, honneur de nos jardins.

Si leurs parfums répondaient à leurs charmes,
La rose alors, prévoyant nos dédains,
Pour son empire aurait quelques alarmes.

Voyez ici la jalouse Clytie

Durant la nuit se pencher tristement,
Puis relever sa tête appesantie,

Pour regarder son infidèle amant.

Le lis, plus noble et plus brillant encore,
Lève sans crainte un front majestueux;
Paisible roi de l'empire de Flore,
D'un autre empire il est l'emblème heureux.
Mais quelques fleurs chérissent l'esclavage :
L'humble genêt, le jasmin plus aimé,
Le chèvrefeuille et le pois parfumé
Cherchent toujours à couvrir un treillage.
Le jonc pliant, sur ces appuis nouveaux,
Doit enchainer leurs flexibles rameaux :
L'iris demande un abri solitaire ;
L'ombre entretient sa fraicheur passagère.
Le tendre œillet est faible et délicat;

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