Page images
PDF
EPUB

que parce qu'on y voit de l'incompatibilité dans les circonstances, ou de l'impossibilité dans l'exécution. Or, en l'expliquant, tout se concilie, tout s'arrange, tout se rapproche de la vérité. Etiam incredibile solertia efficit sæpè credibile esse. (Scaliger.) C'est une idée lumineuse d'Aristote que la croyance que l'on donne à un fait se réfléchit sur l'autre, quand ils sont liés avec art. ‹ Par une espèce de paralogisme qui nous est naturel, nous concluons, dit-il, de ce qu'une chose est véritable, que celle qui la suit doit l'être. Cette remarque importante prouve combien, dans le récit du merveilleux, il est essentiel de mêler des circonstances communes.

Pour me persuader que les héros qu'on me présente ont fait réellement des prodiges dont je n'ai jamais vu d'exemples, il faut qu'ils fassent des choses qui, tous les jours, se passent sous mes yeux. Il est vrai que, parmi les détails de la vie commune, l'on doit choisir avec goût ceux qui ont le plus de noblesse dans leur naïveté, ceux dont la peinture a le plus de charmes; et en cela les mœurs anciennes étaient plus favorables à la poésie que les nôtres. Les devoirs de l'hospitalité, les cérémonies religieuses, donnaient un air vénérable à des usages domestiques qui n'ont plus rien de touchant parmi nous. Il y a donc de l'avantage à prendre ses sujets dans les temps éloignés, ou, ce qui revient au même, dans les pays lointains. Mais dans nos mœurs on peut trouver encore des choses naïves et familières, qui ne laissent pas d'avoir de la noblesse et de la beauté. Eh! pourquoi ne peindrait-on pas aujourd'hui les adieux d'un guerrier qui se sépare de sa femme et de son fils, avec cette ingénuité naturelle qui rend si touchants les adieux d'Hector? Pourquoi ne pas s'attacher à cette nature simple et charmante, lorsqu'une fois on l'a saisie? Pourquoi du moins ne pas se relâcher plus souvent de cette dignité factice où l'on tient ses personnages en attitude et comme à la gêne? Le dirai-je ? le défaut dominant de notre poésie héroïque, c'est la roideur. Je la voudrais souple comme la taille des Grâces. Je ne demande pas que le plaisant s'y joigne au sublime; mais je suis persuadé qu'on ne saurait trop y mêler le familier noble, et que c'est surtout de ces relâches que dépend l'air de vérité.

La troisième qualité de la narration, c'est l'à-propos. Toutes les fois que, des personnages qui sont en scène, l'un raconte et les autres écoutent, ceux-ci doivent être disposés à l'attention et au silence, et celui-là doit avoir eu quelques raisons de prendre, pour le récit dans lequel il s'engage, ce lieu, ce moment, ces personnes mêmes. S'il était vrai que Cinna rendit compte à Émilie, dans l'appartement d'Auguste, de ce qui

vient de se passer dans l'assemblée des conjurés, la personne et le temps seraient convenables, mais le lieu ne le serait pas. Théramène raconte à Thésée tout le détail de la mort d'Hippolyte : la personne et le lieu sont bien choisis; mais ce n'est point dans le premier accès de sa douleur, qu'un père, qui se reproche la mort de son fils, peut entendre la description du prodige qui l'a causée.

Une règle sûre pour éprouver si le récit vient à propos, c'est de se consulter soi-même, de se demander Si j'étais à la place de celui qui l'écoute, l'écouterais-je ? Le ferais-je à la place de celui qui le fait? Est-ce là même et dans cet instant que ma situation, mon caractère, mes sentiments ou mes desseins me détermineraient à le faire? > Cela tient à une qualité de la narration plus essentielle que l'à-propos c'est de l'intérêt que je parle.

La narration purement épique, c'est-à-dire du poëte à nous, n'a besoin d'être intéressante que pour nous-mêmes. Qu'elle réunisse à notre égard l'agrément et l'utilité, l'objet du poëte est rempli : elle peut même se passer d'instruire, pourvu qu'elle attache. Or, le plaisir qu'elle peut causer est celui de l'esprit, de l'imagination ou du sentiment.

Plaisir de l'esprit, lorsqu'elle est une source de réflexion et de lumières : c'est l'intérêt que nous éprouvons à la lecture de Tacite. Il suffit à l'histoire; il ne suffit pas à la poésie, mais il en fait le plus solide prix, et c'est par là qu'elle plaît aux sages.

Plaisir de l'imagination, lorsqu'on présente aux yeux de l'âme le tableau de la nature : c'est là ce qui distingue la narration du poëte de celle de l'historien. Le soin de la varier et de l'enrichir fait qu'on y mêle souvent des descriptions épisodiques; mais l'art de les enlacer dans le tissu de la narration, de les placer dans les repos, de leur donner une juste étendue, de les faire désirer ou comme délassements, ou comme détails curieux; cet art, dis-je, n'est pas facile.

Cet attrait même de la nouveauté, ce plaisir de l'imagination, s'il était seul, serait faible et bientôt insipide; l'âme ne saurait s'attacher à ce qui ne l'éclaire ni ne l'émeut; et du moins, si on la laisse froide, ne faut-il pas la laisser vide.

Plaisir du sentiment, lorsqu'une peinture fidèle et touchante exerce en nous cette faculté de l'âme par les vives impressions de la douleur ou de la joie; qu'elle nous émeut, nous attendrit, nous inquiète et nous étonne, nous épouvante, nous afflige et nous console tour à tour; enfin, qu'elle nous fait goûter la satisfaction de nous trouver sensibles, le plus délicat de tous les plaisirs.

De ces trois intérêts, le plus vif est évidemment celui-ci. Le sentiment supplée à tout, et rien ne

supplée au sentiment: seul il se suffit à lui-même, et aucune autre beauté ne se soutient, s'il ne l'anime. Voyez ces récits qui se perpétuent d'âge en age, ces traits dont on est si avide dès l'enfance, et qu'on aime à rappeler encore dans l'âge le plus avancé; ils sont tous pris dans le sentiment. Mais c'est du concours de ces trois moyens de captiver les esprits, que résultent l'attrait invincible de la narration et la plénitude de l'intérêt. C'est donc sous ces trois points de vue que le poëte, avant de s'engager dans ce travail, doit en considérer la matière, pour en mieux pressentir l'effet. I jugera, par la nature du fonds, de sa stérilité ou de son abondance; et, glissant sur les endroits qui ne peuvent rien produire, il réservera les forces du génie pour semer en un champ fécond.

MARMONTEL. Éléments de littérature.

MORT D'HIPPOLYTE.

A peine nous sortions des portes de Trézène;
Il était sur son char; ses gardes affligés
Imitaient son silence, autour de lui rangés.
Il suivait tout pensif le chemin de Mycènes;
Sa main sur les chevaux laissait flotter les rênes.
Ses superbes coursiers, qu'on voyait autrefois,
Pleins d'une ardeur si noble, obéir à sa voix,
L'œil morne maintenant, et la tête baissée,
Semblaient se conformer à sa triste pensée.

Un effroyable cri, sorti du sein des flots,
Des airs, en ce moment, a troublé le repos,
Et du sein de la terre une voix formidable
Répond, en gémissant, à ce cri redoutable.
Jusqu'au fond de nos cœurs notre sang s'est glacé;
Des coursiers attentifs le crin s'est hérissé..
Cependant, sur le dos de la plaine liquide,
S'élève à gros bouillons une montagne humide.
L'onde approche, se brise, et vomit à nos yeux,
Parmi des flots d'écume, un monstre furieux.
Son front large est armé de cornes menaçantes;
Tout son corps est couvert d'écailles jaunissantes.
Indomptable taureau, dragon impétueux,
Sa croupe se recourbe en replis tortueux;
Ses longs mugissements font trembler le rivage.
Le ciel avec horreur voit ce monstre sauvage,
La terre s'en émeut, l'air en est infecté,
Le flot qui l'apporta recule épouvanté.

Tout fuit, et, sans s'armer d'un courage inutile, Dans le temple voisin chacun cherche un asile. Hippolyte lui seul, digne fils d'un héros, Arrête ses coursiers, saisit ses javelots, Pousse au monstre; et, d'un dard lancé d'une main Il lui fait dans le flanc une large blessure. [sûre, De rage et de douleur le monstre bondissant Vient aux pieds des chevaux tomber en mugissant, Se roule, et leur présente une gueule enflammée Qui les couvre de feu, de sang et de fumée. La frayeur les emporte; et, sourds à cette fois, Ils ne connaissent plus ni le frein, ni la voix. En efforts impuissants leur maître se consume. Ils rougissent le mors d'une sanglante écume. On dit qu'on a vu même, en ce désordre affreux, Un dieu qui d'aiguillons pressait leursflancs poudreux.

A travers les rochers la peur les précipite.
L'essieu crie et se rompt. L'intrépide Hippolyte
Voit voler en éclats tout son char fracassé.
Dans les rênes lui-même il tombe embarrassé.
Excusez ma douleur. Cette image cruelle
Sera pour moi de pleurs une source éternelle.
J'ai vu, seigneur, j'ai vu votre malheureux fils
Trainé par les chevaux que sa main a nourris.
Il veut les rappeler, et sa voix les effraie.
Ils courent. Tout son corps n'est bientôt qu'une plaie.
De nos cris douloureux la plaine retentit.

Leur fougue impétueuse enfin se ralentit.
Ils s'arrêtent, non loin de ces tombeaux antiques
Où des rois ses aïeux sont les froides reliques.
Je cours en soupirant, et sa garde me suit;
De son généreux sang la trace nous conduit;
Les rochers en sont teints; les ronces dégouttantes
Portent de ses cheveux les dépouilles sanglantes.
J'arrive, je l'appelle, et, me tendant la main,
Il ouvre un œil mourant qu'il referme soudain.
« Le ciel, dit-il, m'arrache une innocente vie:
Prends soin, après ma mort, de la triste Aricie...
Cher ami, si mon père un jour désabusé
Plaint le malheur d'un fils faussement accusé,
Pour apaiser mon sang et mon ombre plaintive,
Dis-lui qu'avec douceur il traite sa captive,
Qu'il lui rende... » A ce mot, ce héros expiré
N'a laissé dans mes bras qu'un corps défiguré,
Triste objet où des dieux triomphe la colère,
Et que méconnaîtrait l'œil même de son père.
RACINE. Phedre, acte v.

[ocr errors]

D

CONJURATION DE CINNA.

Plût aux dieux que vous-même eussiez vu de quel [ zèle Cette troupe entreprend une action si belle ! Au seul nom de César, d'Auguste, d'empereur, Vous eussiez vu leurs yeux s'enflammer de fureur: Et dans un même instant, par un effet contraire, Leur front pålir d'horreur, et rougir de colère. Amis, leur ai-je dit, voici le jour heureux Qui doit conclure enfin nos desseins généreux : Le ciel entre nos mains a mis le sort de Rome, Et son salut dépend de la perte d'un homme, Si l'on doit le nom d'homme à qui n'a rien d'humain, A ce tigre altéré de tout le sang romain. Combien pour le répandre a-t-il formé de brigues, Combien de fois changé de partis et de ligues! Tantôt ami d'Antoine et tantôt ennemi,

Et jamais insolent ni cruel à demi. »

Là, par un long récit de toutes les misères Que durant notre enfance ont enduré nos pères, Renouvelant leur haine avec leur souvenir, Je redouble en leur cœur l'ardeur de le punir; Je leur fais des tableaux de ces tristes batailles Où Rome par ses mains déchirait ses entrailles, Où l'aigle abattait l'aigle, et de chaque côté Nos légions s'armaient contre la liberté; Où les meilleurs soldats et les chefs les plus braves Mettaient toute leur gloire à devenir esclaves; Où, pour mieux assurer la honte de leurs fers, Tous voulaient à leur chaîne attacher l'univers; Et l'exécrable honneur de lui donner un maitre, Faisant aimer à tous l'infâme nom de traître, Romains contre Romains, parents contre parents, Combattaient seulement pour le choix des tyrans.

J'ajoute à ces tableaux la peinture effroyable De leur concorde impie, affreuse, inexorable,

Funeste aux gens de bien, aux riches, au sénat,
Et, pour tout dire enfin, de leur triumvirat.
Mais je ne trouve point de couleurs assez noires
Pour en représenter les tragiques histoires;
Je les peins dans le meurtre à l'envi triomphants;
Rome entière noyée au sang de ses enfants,
Les uns assassinés dans les places publiques,
Les autres dans le sein de leurs dieux domestiques;
Le méchant par le prix au crime encouragé,
Le mari par sa femme en son lit égorgé,
Le fils tout dégouttant du meurtre de son père,
Et, sa tête à la main, demandant son salaire;
Sans pouvoir exprimer par tant d'horribles traits,
Qu'un crayon imparfait de leur sanglante paix.

Vous dirai-je les noms de ces grands personnages
Dont j'ai dépeint les morts pour aigrir les courages;
De ces fameux proscrits, ces demi-dieux mortels,
Qu'on a sacrifiés jusque sur les autels?
Mais pourrai-je vous dire à quelle impatience,
A quels frémissements, à quelle violence,
Ces indignes trépas, quoique mal figurés,
Ont porté les esprits de tous nos conjurés?
Je n'ai point perdu temps, et voyant leur colère
Au point de ne rien craindre, en état de tout faire,
J'ajoute en peu de mots : Toutes ces cruautés,
La perte de nos biens et de nos libertés,
Le ravage des champs, le pillage des villes,
Et les proscriptions et les guerres civiles,
Sont les degrés sanglants dont Auguste a fait choix
Pour monter sur le trône, et nous donner des lois 1.»
CORNEILLE. Cinna,
acte ler, scène III.

PASSAGE DU RHIN.

Au pied du mont Adule, entre mille roseaux 2,
Le Rhin, tranquille et fier du progrès de ses eaux,
Appuyé d'une main sur son urne penchante,
Dormait au bruit flatteur de son onde naissante,
Lorsqu'un cri tout à coup suivi de mille cris
Vient d'un calme si doux retirer ses esprits.

Il se trouble, il regarde; et partout, sur ses rives,
Il voit fuir à grands pas ses naïades craintives,
Qui toutes accourant vers leur humide roi
Par un récit affreux redoublent son effroi.
Il apprend qu'un héros, conduit par la victoire,
A de ses bords fameux flétri l'antique gloire;
Que Rhinberg et Wesel, terrassés en deux jours,
D'un joug déjà prochain menacent tout son cours.
«Nous l'avons vu, dit l'une, affronter la tempête
De cent foudres d'airain tournés contre sa tête :
Il marche vers Tholus 5, et tes flots en courroux,
Au prix de sa fureur, sont tranquilles et doux :
Il a de Jupiter la taille et le visage;

Et, depuis ce Romain, dont l'insolent passage
Sur un pont, en deux jours, trompa tous tes efforts,
Jamais rien de si grand n'a paru sur tes bords *. »
Le Rhin tremble et frémit à ces tristes nouvelles;
Le feu sort à travers ses humides prunelles.

« C'est donc trop peu, dit-il, que l'Escaut en deux mois
Ait appris à couler sous de nouvelles lois;
Et de mille remparts mon onde environnée,
De ces fleuves sans nom suivra la destinée!

Ah! périssent mes eaux! ou, par d'illustres coups,
Montrons qui doit céder, des mortels ou de nous.
A ces mots, essuyant sa barbe limoneuse,
Il prend d'un vieux guerrier la figure poudreuse.
Son front cicatrisé rend son air furieux,
Et l'ardeur du combat étincelle en ses yeux.
En ce moment il part, et, couvert d'une nue,
Du fameux fort de Skink prend la route connue.
Là, contemplant son cours, il voit de toutes parts
Ses pâles défenseurs par la frayeur épars.
Il voit cent bataillons, qui, loin de se défendre,
Attendent sur des murs l'ennemi pour se rendre.
Confus, il les aborde, et renforçant sa voix :

«Grands arbitres, dit-il, des querelles des rois,
Est-ce ainsi que votre âme, aux périls aguerrie,
Soutient sur ces remparts l'honneur et la patrie?
Votre ennemi superbe, en cet instant fameux,
Du Rhin, près de Tholus, fend les flots écumeux.
Du moins, en vous montrant sur la rive opposée,
N'oseriez-vous saisir une victoire aisée?
Allez, vils combattants, inutiles soldats,
Laissez là ces mousquets trop pesants pour vos bras;
Et, la faux à la main, parmi vos marécages,
Allez couper vos joncs et presser vos laitages;
Ou, gardant les seuls bords qui vous peuvent couvrir,
Avec moi, de ce pas, venez vaincre ou mourir. »

Ce discours d'un guerrier que la colère enflamme
Ressuscite l'honneur déjà mort en leur âme;
Et, leur cœur s'allumant d'un reste de chaleur,
La honte fait en eux l'effet de la valeur.

Ils marchent droit au fleuve où Louis en personne,
Déjà prêt à passer, instruit, dispose, ordonne.
Par son ordre, Grammont, le premier dans les flots,
S'avance soutenu des regards du héros.

Son coursier écumant, sous un maitre intrépide,
Nage tout orgueilleux de la main qui le guide.
Revel le suit de près: sous ce chef redouté,
Marche des cuirassiers l'escadron indompté.
Mais déjà devant eux une chaleur guerrière
Emporte loin du bord le bouillant Lesdiguière,
Vivone, Nantouillet, Coeslin, et Salard:
Chacun d'eux au péril veut la première part.
Vendôme, que soutient l'orgueil de sa naissance,
Au même instant dans l'onde impatient s'élance.
La Salle, Beringhen, Nogen, d'Ambre, Cavoix,
Fendent les flots tremblants sous un si noble poids.
Louis, les animant du feu de son courage,
Se plaint de sa grandeur qui l'attache au rivage :
Par ses soins cependant, trente légers vaisseaux
D'un tranchant aviron déjà coupent les eaux;
Cent guerriers s'y jetant signalent leur audace.

Le Rhin les voit d'un œil qui porte la menace.
Il s'avance en courroux; le plomb vole à l'instant,
Il pleut de toutes parts sur l'escadron flottant.
Du salpêtre en fureur l'air s'échauffe et s'allume,
Et des coups redoublés tout le rivage fume.
Déjà du plomb mortel plus d'un brave est atteint.
Sous les fougueux coursiers l'onde écume et se plaint.
De tant de coups affreux la tempête orageuse
Tient un temps sur les eaux la fortune douteuse;
Mais Louis d'un regard sait bientôt la fixer:
Le destin à ses yeux n'oserait balancer.
Bientôt avec Grammont courent Mars et Bellone.
Le Rhin, à leur aspect, d'épouvante frissonne,

1 Voyez Discours.

Adule est le nom latin du mont Saint-Gothard, où le Rhin prend sa source. (N. E.)

5 Tolhuis, village sur la rive gauche du Rhin, au-dessus du

fort de Skink. C'est à Tolhuis que les Français passèrent le Rbin à la nage. (N. E.)

4 Jules César. (N. E.)

Quand, pour nouvelle alarme à ses esprits glacés,
Un bruit s'épand qu'Enghien et Condé sont passés ;
Condé dont le seul nom fait tomber les murailles,
Force les escadrons et gagne les batailles;
Enghien, de son hymen le seul et digne fruit,
Par lui, dès son enfance, à la victoire instruit.
L'ennemi renversé fuit et gagne la plaine;
Le dieu lui-même cède au torrent qui l'entraîne,
Et seul, désespéré, pleurant ses vains efforts,
Abandonne à Louis la victoire et ses bords.
BOILEAU. Épitre jv.

MÊME SUJET.

Le grand nom de Louis et son illustre vie Aux champs Elysiens font descendre l'envie, Qui pénètre à tel point les månes des héros, Que, pour s'en éclaircir, ils quittent leur repos. On voit errer partout ces ombres redoutables Qu'arrêtèrent jadis ces bords impénétrables : Drusus marche à leur tête, et se poste au fossé Que, pour joindre l'Yssel au Rhin, il a tracé; Varus le suit tout pâle, et semble, dans ces plaines, Chercher le reste affreux des légions romaines; Son vengeur après lui, le grand Germanicus, Vient voir comme on vaincra ceux qu'il n'a pas vaincus: Le fameux Jean d'Autriche, et le cruel Tolède, Sous qui des maux si grands crûrent par leur remède1; L'invincible Farnèse et les vaillants Nassaus, Fiers d'avoir tant livré, tant soutenu d'assauts, Reprennent tous leur part au jour qui nous éclaire, Pour voir faire à mon roi ce qu'eux tous n'ont pu faire, Eux-mêmes s'en convaincre, et d'un regard jaloux Admirer un héros qui les efface tous.

Il range cependant ses troupes au rivage, Mesure de ses yeux Tholus et le passage, Et voit de ces héros ibères et romains Voltiger tout autour les simulacres vains : Cette vue en son sein jette une ardeur nouvelle D'emporter une gloire et si haute et si belle, Que, devant ces témoins à le voir empressés, Elle ait de quoi ternir tous les siècles passés. CORNEILLE. Les victoires du roi en 1672, imilé du latin du P. La Rue.

2

LOUIS IX EXPLIQUE A JOINVILLE LES CAUSES ET LES
EFFETS DE SON EXPÉDITION DE TERRE SAINTE.
Qu'entends-je? il est donc vrai, Joinville aussi me
[blâme!

Mais sais-tu quels desseins je renferme en mon âme?
Sais-tu si les combats où je vous ai guidés
Par de grands intérêts n'étaient pas commandés?
Tu ne vois que des maux, ton désespoir m'accuse;
Eh bien! lis dans mon cœur, et connais mon excuse:
Vainement, tu le sais, au sein de nos remparts,
Je voulus appeler le commerce et les arts.
Ces comtes qui du haut de leurs châteaux antiques
Font gémir mes sujets sous leurs lois despotiques,
Tyrans dans mon royaume, et vassaux turbulents,
Sans relâche occupés de leurs débats sanglants,
Détruisaient mes travaux, déchiraient la patrie,

1 Don Juan d'Autriche, et le duc d'Albe: le premier, fameux par le gain de la bataille contre les Turcs en 1571, et le second, par sa conduite comme gouverneur des Pays-Bas à la même époque. (N. E.)

Dans son premier essor arrêtaient l'industrie. Divisés d'intérêts, unis contre leur roi,

Je les trouvais sans cesse entre mon peuple et moi.
Signalant tour à tour leurs fureurs inhumaines,
Ils promenaient la mort dans leurs vastes domaines,
Et des soldats français, l'un par l'autre immolés,
Le sang coulait sans gloire en nos champs désolés.
Je voulus, des combats leur ouvrant la carrière,
Offrir un but plus noble à cette ardeur guerrière :
Tu te souviens qu'alors de pieux voyageurs,
Pour nos frères captifs implorant des vengeurs,
D'un zèle saint en nous ranimèrent la flamme.
Aux regards des Français déployant l'oriflamme,
Je leur montre la gloire aux rives du Jourdain;
Ils entendent ma voix, s'arrêtent, et soudain
Oubliant leurs discords, et déposant leurs haines,
Ils marchent réunis vers ces plages lointaines.
Quels plus nobles dangers leur pouvaient être offerts?
Délivrer les chrétiens gémissant dans les fers,
Rendre Jérusalem à sa splendeur première,
En chasser l'infidèle, et rompre la barrière
Qui du tombeau sacré nous défendait l'accès,
Tel devait être, ami, le fruit de nos succès.
Là s'arrêtaient vos vœux, et non mon espérance.
Jette avec moi, Joinville, un regard sur la France;
Avant de condamner les serments que j'ai faits,
De ces combats lointains contemple les effets :
Libre de ses tyrans, mon peuple enfin respire;
La paix renaît en France, et la discorde expire:
Le commerce, avec nous transporté sur ces bords,
Aux peuples rapprochés prodigue ses trésors;
L'aspect de ces climats, depuis longtemps célèbres,
Déjà de l'ignorance éclaircit les ténèbres,
Et sur nos pas les arts, allumant leur flambeau,
Vont remplir l'Occident de leur éclat nouveau.
Déjà des grands vassaux l'autorité chancelle
Je sais ce qu'entreprend leur audace rebelle,
Joinville; et, m'instruisant aux leçons du passé,
Je suivrai le chemin que Philippe a tracé.
Aux tyrans de mon peuple arrachant leur puissance,
Eveillant la justice, enchaînant la licence,

Au secours de mes lois j'appellerai les mœurs,
Je contiendrai les grands, et, malgré leurs clameurs,
Père de mes sujets, détruisant l'anarchie,
Je veux sur ses débris asseoir la monarchie.
Si Dieu, marquant ici le terme de mes jours,
Veut de tous mes travaux interrompre le cours,
Aux rois qui me suivront j'aurai frayé la route:
Vers ce but glorieux ils marcheront sans doute;
Et quelque jour, mon peuple, éclairé sur ses droits,
Chérira ma mémoire, et bénira mes lois.
ANCELOT. Louis IX, act. 1, Sc. III.

L'HORREUR DES GUERRES CIVILES.

D'Ailly portait partout la crainte et le trépas, D'Ailly tout orgueilleux de trente ans de combats, Et qui, dans les horreurs de la guerre cruelle, Reprend, malgré son âge, une force nouvelle. Un seul guerrier s'oppose à ses coups menaçants: C'est un jeune héros à la fleur de ses ans, Qui, dans cette journée illustre et meurtrière, Commençait des combats la fatale carrière;

2 Jean, sire de Joinville, naquit vers 1223. Il s'embarqua pour la terre sainte avec Louis IX, en 1248: il a laissé des mémoires fort curieux sur le règne de ce prince. Il mourut vers 1317. (N. E.)

D'un tendre hymen à peine il goûtait les appas;
Favori des amours, il sortait de leurs bras.
Honteux de n'être encor fameux que par ses charmes,
Avide de la gloire, il volait aux alarmes.
Ce jour sa jeune épouse, en accusant le ciel,
En détestant la Ligue, et ce combat mortel,
Arma son tendre amant, et d'une main tremblante
Attacha tristement sa cuirasse pesante,
Et couvrit, en pleurant, d'un casque précieux
Ce front si plein de grâce, et si cher à ses yeux.
Il marche vers d'Ailly dans sa fureur guerrière;
Parmi les tourbillons de flamme, de poussière,
A travers les blessés, les morts et les mourants,
De leurs coursiers fougueux tous deux pressent les
Tous deux, sur l'herbe unie et de sang colorée, [flancs,
S'élancent loin des rangs, d'une course assurée :
Sanglants, couverts de fer, et la lance à la main,
D'un choc épouvantable ils se frappent soudain.
La terre en retentit, leurs lances sont rompues:
Comme, en un ciel brûlant, deux effroyables nues
Qui, portant le tonnerre et la mort dans leurs flancs,
Se heurtent dans les airs, et volent sur les vents:
De leur mélange affreux les éclairs rejaillissent :
La foudre en est formée, et les mortels frémissent.
Mais loin de leurs coursiers, par un subit effort,
Ces guerriers malheureux cherchent une autre mort.
Déjà brille en leurs mains le fatal cimeterre.
La Discorde accourut; le démon de la guerre,
La Mort pâle et sanglante, étaient à ses côtés.
Malheureux! suspendez vos conps précipités!...
Mais un destin funeste enflamme leur courage;
Dans le cœur l'un de l'autre ils cherchent un passage,
Dans ce cœur ennemi qu'ils ne connaissent pas.
Le fer qui les couvrait brille et vole en éclats;
Sous les coups redoublés leur cuirasse étincelle;
Leur sang qui rejaillit rougit leur main cruelle;
Leur bouclier, leur casque, arrêtant leur effort,
Pare encor quelques coups, et repousse la mort.
Chacun d'eux, étonné de tant de résistance,
Respectait son rival, admirait sa vaillance.

Entin le vieux d'Ailly, par un coup malheureux,
Fit tomber à ses pieds ce guerrier généreux.
Ses yeux sont pour jamais fermés à la lumière,
Son casque auprès de lui roule sur la poussière.
D'Ailly voit son visage; ô désespoir! ô cris!
Il le voit, il l'embrasse: hélas! c'était son fils.
Le père infortuné, les yeux baignés de larmes,
Tournait contre son sein ses parricides armes.
On l'arrête, on s'oppose à sa juste fureur;

Il s'arrache, en tremblant, de ce lieu plein d'horreur;
Il déteste à jamais sa coupable victoire;
Il renonce à la cour, aux humains, à la gloire,
Et, se fuyant lui-même, au milieu des déserts
Il va cacher sa peine au bout de l'univers.
Là, soit que le soleil rendit le jour au monde,
Soit qu'il finit sa course au vaste sein de l'onde,
Sa voix faisait redire aux échos attendris
Le nom, le triste nom de son malheureux fils.
Du héros expirant la jeune et tendre amante,
Par la terreur conduite, incertaine, tremblante,
Vient d'un pied chancelant sur ces funestes bords.
Elle cherche, elle voit dans la foule des morts,
Elle voit son époux; elle tombe éperdue;
Le voile de la mort se répand sur sa vue.
«Est-ce toi, cher amant? » Ces mots interrompus,
Ces cris demi-formés ne sont point entendus.
Elle rouvre les yeux, sa bouche presse encore
Par ses derniers baisers la bouche qu'elle adore :
Elle tient dans ses bras ce corps pâle et sanglant,
Le regarde, soupire, et meurt en l'embrassant.

Père, époux malheureux, famille déplorable,

Des fureurs de ce temps exemple lamentable;
Puisse de ce combat le souvenir affreux
Exalter la pitié de nos derniers neveux,
Arracher à leurs yeux des larmes salutaires,

Et qu'ils n'imitent point les crimes de leurs pères!
VOLTAIRE, Henriade, chant VIII.

COMBAT DE RODRIGUE CONTRE LES MORES.

Cette obscure clarté qui tombe des étoiles
Enfin avec le flux nous fait voir trente voiles.
L'onde s'enflait dessous, et, d'un commun effort,
Les Mores et la mer entrèrent dans le port.
On les laisse passer; tout leur paraît tranquille;
Point de soldats au port, point aux murs de la ville.
Notre profond silence abusant leurs esprits,
Ils n'osent plus douter de nous avoir surpris:
Ils abordent sans peur; ils ancrent, ils descendent,
Et courent se livrer aux mains qui les attendent.
Nous nous levons alors, et tous en même temps
Poussons jusques au ciel mille cris éclatants;
Les nôtres au signal de nos vaisseaux répondent;
Ils paraissent armés; les Mores se confondent;
L'épouvante les prend à demi descendus;
Avant que de combattre, ils s'estiment perdus.
Ils couraient au pillage, et rencontrent la guerre.
Nous les pressons sur l'eau,nous les pressons sur terre;
Et nous faisons courir des ruisseaux de leur sang,
Avant qu'aucun résiste, ou reprenne son rang.

Mais bientôt, malgré nous, leurs princes les rallient;
Leur courage renait et leurs terreurs s'oublient;
La honte de mourir sans avoir combattu
Arrête leur désordre, et leur rend leur vertu.
Contre nous de pied ferme ils tirent leurs épées;
Des plus braves soldats les trames sont coupées,
Et la terre et le fleuve, et leur flotte et le port,
Sont des champs de carnage où triomphe la mort.
Oh! combien d'actions, combien d'exploits célèbres
Sont demeurés sans gloire au milieu des ténèbres,
Où chacun, seul témoin des grands coups qu'il donnait,
Ne pouvait discerner où le sort inclinait!
J'allais de tous côtés encourager les nôtres,
Faire avancer les uns, et soutenir les autres;
Ranger ceux qui venaient, les pousser à leur tour,
Et n'en pus rien savoir jusques au point du jour.
Mais enfin sa clarté montra notre avantage;
Le More vit sa perte, et perdit le courage;
Et, voyant un renfort qui nous vint secourir,
Changea l'ardeur de vaincre en la peur de mourir.

Ils gagnent leurs vaisseaux, ils en coupent les câbles,
Nous laissent pour adieux des cris épouvantables,
Font retraite en tumulte, et sans considérer
Si leurs rois avec eux ont pu se retirer.
Ainsi leur devoir cède à la frayeur plus forte;
Le flux les apporta, le reflux les remporte.
Cependant que leurs rois engagés parmi nous,
Et quelque pen des leurs tous percés de nos coups,
Disputent vaillamment, et vendent bien leur vie,
A se rendre moi-même en vain je les convie;
Le cimeterre au poing, ils ne m'écoutent pas;
Mais, voyant à leurs pieds tomber tous leurs soldats,
Et que seuls désormais en vain ils se défendent,
Ils demandent le chef: je me nomme; ils se rendent.
Je vous les envoyai tous deux en même temps,
Et le combat cessa faute de combattants 1.

CORNEILLE. Le Cid, act. IV, scène m.

[blocks in formation]
« PreviousContinue »