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§ CLXIV.

Un enfant de bonne maison doit apprendre un peu à peindre.

Lorsqu'un enfant écrit bien et vîte, je crois qu'il serait à propos, non-seulement qu'il continuât de s'exercer à écrire, mais qu'il s'appliquât aussi à la peinture, qui, en plusieurs occasions, est d'une grande utilité à un gentilhomme, et sur-tout s'il voyage; car, par le moyen de la peinture, on peut souvent représenter, en peu de traits assemblés avec art, ce qu'on ne saurait exprimer et rendre intelligible par un assez long discours. Combien un voyageur ne voit-il pas de bâtiments, de machines et d'habits particuliers, dont il peut facilement conserver et faire connaître aux autres la figure, s'il a quelque adresse à peindre! Au lieu qu'en se contentant de représenter ces choses par de simples paroles, il est à craindre qu'on n'en perde l'idée, ou du moins qu'on n'en conserve que des images fort imparfaites, par les plus exactes descriptions qu'on en pourra faire. Mon dessein n'est pourtant pas de vous persuader de faire de votre fils un peintre parfait; car, pour parvenir à une connaissance fort médiocre de cet art, il faut

consumer beaucoup plus de temps qu'il n'en reste à un jeune homme de bonne maison, après qu'il s'est appliqué à ses autres occupations plus importantes. Mais je crois qu'en peu de temps il pourra savoir autant de perspective et de peinture qu'il lui en faut pour représenter passablement sur le papier tout ce qu'il voit, excepté les visages, sur-tout s'il a du génie pour ces choses; car, pour le dire en passant, lorsque le génie manque à un enfant, à moins qu'il ne s'agisse de certaines choses desquelles il est absolument nécessaire qu'il soit instruit, il vaut mieux le laisser passer doucement par-dessus une chose, que de le chagriner inutilement pour l'obliger à la faire. C'est pourquoi en ceci comme en tout ce qui n'est pas d'une absolue nécessité, il faut s'en tenir inviolablement à la règle qui ordonne de ne rien faire en dépit de son génie (1), nihil invitá Minervá.

S CLXV.

. De l'art d'écrire par

abréviations.

Il y a un art d'écrire par abréviations qui, à ce que j'ai ouï dire (2), n'est connu qu'en An

(1) Horat. de Arte Poet.

(2) C'est donc qu'on l'a laissé perdre; car cet art étoit

gleterre; et peut-être jugera-t-on qu'il mérite d'être appris, tant pour écrire promptement ce qu'on ne voudrait pas oublier, que pour cacher ce qu'on ne souhaiterait pas que tout le monde vît; car, lorsqu'on a une fois appris cette espèce de chiffre, on peut aisément le varier à sa fantaisie par son usage particulier, et par des caractères plus abrégés le conformer aux choses auxquelles on a dessein de le faire servir. La méthode de M. Rich est la mieux imaginée de toutes celles que j'ai encore vues; cependant je crois que qui entendrait la grammaire et en considérerait bien les règles, pourrait perfectionner beaucoup cette méthode, la rendre plus facile et plus courte. Mais vous ne devez pas vous hâter de faire apprendre à votre enfant cet art d'écrire par abréviations; il suffit de le lui enseigner dans quelque occasion favorable qui se

connu aux Romains, et Plutarque nous apprend dans la vie de Caton d'Utique, qu'on en attribuoit l'invention à Cicéron, qui sous son consulat voulant recueillir des discours qu'on devoit faire dans le sénat, plaça des clercs en divers endroits du sénat, après leur avoir enseigné « à faire cer<< taines notes et abréviations qui en peu de traits valoient et « représentoient beaucoup de lettres. » (Je me sers de la traduction d'Amyot). Σημεῖα ἐν μικροῖς καὶ βραχέσι τύποις πολλῶν γραμμάτων δύναμιν ἔχοντα. C'est ce que Cicéron appelle lui-même da onuétov scribere, écrire par abréviations, Epist. XXXII ad Atticum, lib. XIII.

présente d'elle-même, après qu'il sera tout-à-fait habitué à écrire couramment, et d'un beau caractère; car des jeunes gens n'ont guère besoin de ce secret, et il ne faudrait pas qu'ils en fissent usage avant que de pouvoir écrire parfaitement bien, et qu'ils aient, comme on dit, la main rompue à l'écriture.

S CLXVI.

Le français est la première langue qu'on doit enseigner à un enfant qui sait parler sa langue maternelle.

Dès que votre enfant saura parler anglais, il est temps (1) qu'il apprenne quelque autre langue; et si je conseille de commencer par le français, je ne serai contredit de personne. La raison de cela, c'est qu'on est accoutumé à la véritable méthode d'enseigner cette langue aux enfants, qui est de les faire toujours parler français, en conversation, sans leur embarrasser l'esprit d'aucune règle de grammaire. On pourrait sans peine montrer le latin à un enfant de la même manière, si son gouverneur, se tenant toujours auprès de lui, ne lui parlait que latin,

1

(1) Si l'enfant est français, voyez dans la préface ce qu'il faut substituer à ce que dit ici M. Locke.

et l'obligeait à lui répondre dans la même langue. Mais, parce que le français est une langue vivante, dont on se sert sur - tout en parlant, votre enfant devrait l'apprendre avant toute autre, afin que les organes de la voix, qui, dans cet âge encore tendre, peuvent se mouvoir, se plier en tous sens, puissent être dressés à bien former les différents sons de cette langue; qu'ainsi votre enfant se fasse une habitude de bien prononcer le français, ce qui devient toujours plus difficile, plus il est différé.

§ CLXVII.

Il faut après cela lui enseigner le latin.

Lorsqu'il saura bien parler et bien lire en français (ce qui, dans la méthode que nous venons de marquer, s'apprend ordinairement en un ou deux ans), il devrait commencer d'apprendre le latin: et, ici, je ne puis assez m'étonner que, les pères ayant vu les succès de la méthode qu'on emploie pour montrer le français aux enfants, il ne leur soit pas venu dans l'esprit qu'on leur devrait apprendre le latin de la même manière, c'est-à-dire, en les faisant parler latin, et en leur donnant à lire. des livres latins. Il faudrait seulement prendre garde que, tandis qu'un enfant apprend ainsi des langues

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