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d'Égypte, de l'Afghanistan, qu'il n'a su ni éviter ni résoudre, qui ont été une source de mécomptes pour le sentiment national; d'un autre côté, la scission entre les radicaux du ministère, comme sir Charles Dilke, M. Chamberlain et les whigs de tradition, comme lord Hartington, lord Granville, menaçait de s'aggraver à propos des affaires d'Irlande. Les tacticiens libéraux ont jugé plus habile, plus utile à leur cause, de se dérober pendant qu'il en était temps encore, aux conséquences de leurs fautes et de leurs divisions, de reprendre leur liberté pour les élections prochaines en laissant à leurs adversaires la responsabilité du gouvernement d'ici à la grande consultation populaire qui se prépare. Ils ont calculé qu'en se retirant à propos, ils échappaient pour le moment aux diflicultés des affaires et ils gardaient la popularité qu'ils croyaient avoir conquise par le bill de réforme dont ils ont pris l'initiative, avec la chance de rentrer triomphalement au pouvoir par les élections. C'est ce qui explique l'impossibilité où s'est trouvé M. Gladstone de retirer une démission qui ne lui était pas sérieusement imposée, la persistance avec laquelle il a maintenu ses premières résolutions: il a suivi le courant de son parti. C'est ce qui explique aussi l'embarras des conservateurs appelés aux affaires par un vote qui n'avait rien de décisif, dans une situation où les libéraux, en quittant le gouvernement, gardaient une majorité parlementaire. De là ces négociations laborieuses et même un peu étranges, qui ont été suivies pendant quelques jours entre les partis pour arriver à la formation d'un ministère. Le chef des conservateurs, lord Salisbury, ne refusait pas de prendre le pouvoir; mais il voulait avoir l'assurance qu'il ne serait point arrêté au premier pas par les libéraux dans la chambre des communes, qu'il aurait la liberté de gouverner tout au moins jusqu'aux élections. M. Gladstone refusait de s'engager pour son parti. Il a fallu que la reine intervint pour obtenir du chef du parti libéral quelques assurances assez vagues, qui ont paru néanmoins suffisantes. Lord Salisbury s'en est contenté et il a formé son ministère avec ses amis sir Stafford Northcote, qui passe à la chambre haute sous le nom de lord Iddesleig, lord Carnarvon, lord Cranbrook, le colonel Stanley, sir Richard Cross, lord John Manners, lord Randolph Churchill, sir Michael Hicks Beach, tout ce qui représente le jeune et le vieux torysme. Lord Salisbury s'est dit sans doute qu'un parti sérieux ne devait pas refuser le pouvoir quand le pouvoir venait à lui, que la situation fût-elle même difficile, délicate et embarrassante, il ne pouvait pas décliner la responsabilité du gouvernement devant le pays; il a bravement accepté les chances d'un règne mal assuré et, en définitive, s'il faut tout dire, il y a un sentiment plus réel de l'intérêt public dans cette résolution mêlée de quelque abnégation que dans la tactique des libéraux quittant le pouvoir avec précipitation pour retremper leur popularité à la veille des élections.

Reste maintenant à savoir ce que fera ce ministère, qui, à coup sûr, n'arrive point aux affaires dans des conditions aisées. Si les libéraux ont leurs dissentimens intimes, qui ont probablement contribué à précipiter la dernière crise, les conservateurs eux-mêmes ne sont pas sans avoir leurs embarras et leurs divisions, leurs conflits de direction. Un des plus jeunes chefs du tory sme, lord Randolph Churchill, qui va faire son apprentissage du gouvernement, a montré jusqu'ici un esprit assez agité, une ambition un peu impatiente, un peu remuante. Il prétend, à ce qu'il semble, être plus libéral que les libéraux et rajeunir son parti par une certaine dose de démocratie. Il se croit appelé à tout renouveler. C'est lui, dit-on, qui aurait tenu à faire passer le vieux leader conservateur, sir Stafford Northcote, à la chambre des pairs, pour garder, avec son ami le nouveau chancelier de l'échiquier, sir Michael Hicks Beach, la direction de la chambre des communes. Il va faire son expérience! Un premier ministre d'autrefois, lord Melbourne, n'était pas sans inquiétude quand il voyait un de ses jeunes collègues de ce temps-là, lord John Russell, se lancer à l'improviste dans un débat; il craignait toujours, c'était son expression familière, que lord John ne fit chavirer la barque ministérielle. C'est à lord Randolph Churchill de ne pas faire chavirer la barque du tory sme à peine remise à flot; mais, dans tous les cas, en dehors de ces embarras intimes qui peuvent avoir leur importance, le nouveau ministère a certainement d'assez sérieuses difficultés devant lui. Il n'a pas seulement l'Irlande, qui est l'éternelle épreuve de tous les partis; il a toutes ces questions extérieures de l'Égypte, de l'Afghanistan, des relations de l'Angleterre avec le continent, qui sont un héritage assez embrouillé et assez lourd. Il est certain que les conservateurs revenant aujourd'hui au pouvoir retrouvent les affaires extérieures de l'Angleterre dans des conditions assez différentes de celles. où les avait laissées lord Beaconsfield au lendemain du congrès de Berlin.

Il y a des questions compromises pour eux, il y a des négociations qu'ils sont obligés de continuer, des mesures à demi exécutées, comme l'évacuation du Soudan, qu'ils ne peuvent rétracter. En un mot, la politique extérieure de l'Angleterre n'est plus absolument libre sur certains points. La difficulté pour le nouveau ministère est d'accepter purement et simplement la suite des affaires des libéraux ou de revenir sur ce qui a été fait, comme aussi de se délier de ses propres engagemens, d'oublier les déclarations qu'il a multipliées quand il était l'opposition. Pour l'Égypte, sur laquelle il aurait certainement des vues plus hardies que M. Gladstone et lord Granville, il ne peut guère prendre de résolutions décisives sans rencontrer l'Europe, qui ne paraît pas disposée à abandonner ses droits, dont il est obligé de tenir compte. Pour l'Asie et l'Afghanistan, il est exposé à trouver la Russie résolue à maintenir avec sa fermeté tranquille les prétentions qu'elle

a élevées, qu'elle avait presque réussi à faire accepter par le dernier cabinet. Lord Salisbury voulut-il, comme on lui en attribue la pensée et le désir, essayer de se faire un allié de M. de Bismarck, il est douteux qu'il puisse pour le moment obtenir du chancelier d'Allemagne rien de plus qu'une bonne volonté assez platonique. Comment le nouveau ministère anglais sortira-t-il de tous ces embarras et réussira-t-il à se dégager victorieusement de la situation qui lui a été léguée? Le problème est d'autant plus compliqué pour lui, qu'en prenant le pouvoir dans des conditions assez précaires, il ne l'exerce pour ainsi dire que d'une façon provisoire. Il n'a devant lui qu'un temps limité. Tout dépend, pour les conservateurs comme pour les libéraux, de ces élections qui se feront dans quelques mois, qui restent un grand inconnu pour la nation anglaise, précisément parce qu'elles vont donner la parole à deux millions d'électeurs de plus. Et c'est ainsi que les derniers incidens ont bien pu se dénouer par un changement ministériel sans rien décider pour la direction définitive de la politique britannique. Jusqu'à quel point la crise ministérielle anglaise se lie-t-elle à la crise ministérielle qui s'est produite il y a quelques jours en Italie ? A part toutes les différences de situation qui existent entre les deux pays, il peut y avoir, si l'on veut, un lien entre les deux crises en ce sens que les affaires d'Égypte ne sont certainement pas étrangères à tout ce qui s'est passé à Rome comme à Londres. Évidemment l'Italie a eu des illusions sur l'Égypte, comme elle a eu des illusions dans quelques autres circonstances où elle a voulu, pour ainsi dire, donner de l'air à sa politique extérieure. Au milieu de ce mouvement d'expansion coloniale qui a un instant tourné toutes les têtes, l'Italie s'est flattée, elle aussi, de prendre un rôle sur la Mer-Rouge, et le ministre des affaires étrangères, M. Mancini, a cru sûrement être un politique habile en cherchant le moyen de satisfaire un certain instinct d'ambition nationale. Il s'est fait l'allié des Anglais pour aller en Égypte comme il avait déjà précédemment cherché d'autres alliances à Berlin et à Vienne. L'Italie a même envoyé un corps expéditionnaire sur les bords de la Mer-Rouge, et un instant elle a pu se croire tout près de marcher avec l'Angleterre, de concourir à une campagne dont elle recueillerait les fruits. Malheureusement, les illusions n'ont pas tardé à se dissiper et les mécomptes sont venus. Les Anglais se sont retirés, renonçant à leur campagne sur le Haut-Nil; les soldats italiens sont restés dans leurs postes de la Mer-Rouge, un peu embarrassés de leur rôle, soumis à des influences de climat qui les ont éprouvés, ne sachant plus trop ce qu'ils avaient à faire. Ce n'était point évidemment ce qu'on avait espéré. M. Mancini a commencé à passer pour un ministre de plus d'imagination que de prévoyance, et il a été l'objet d'assez vives attaques de l'opposition, des anciens modérés, aussi bien que de la gauche représentée par M. Crispi, M. Cairoli, M. Nicotera. Il a été assailli d'interpellations,

accusé d'avoir compromis une fois de plus l'Italie par sa politique, et le président du conseil, M. Depretis, a été obligé plus d'une fois de venir à son secours pour le défendre de votes hostiles que la brillante parole de M. Mancini n'eût pas seule réussi à détourner. On en était là lorsque le budget des affaires étrangères, soumis il y a quelques jours au parlement, a failli être rejeté; il n'a été voté qu'à trois ou quatre voix de majorité. M. Mancini a témoigné aussitôt l'intention de se retirer, et M. Depretis, acceptant le principe de la solidarité ministérielle, a remis au roi la démission du cabinet tout entier. Un fait à considérer, c'est que tout cela s'est passé sans une bien vive animation dans le parlement, surtout sans provoquer la plus légère émotion dans le pays. Le roi Humbert a fait, dans cette circonstance, ce qu'il fait d'habitude, en vrai souverain constitutionnel. Il a appelé auprès de lui le président de la chambre, le président du sénat, les chefs des divers partis, le général Cialdini, qu'il consulte toujours, et le résultat, du reste prévu, de toutes ces consultations a été que M. Depretis seul pouvait être chargé de reconstituer un ministère. C'est, en effet, la fortune du vieux Piémontais d'avoir acquis par son bon sens pratique, par son expérience, par son habileté de tacticien, une sorte de prépotence parlementaire, d'être devenu l'arbitre de la politique au-delà des Alpes. Sorti de la gauche, il a la modération de l'âge et de la prévoyance, la raison solide du Piémontais de vieille souche, et la confiance qu'il inspire tient à ce qu'on est sûr qu'il ne s'engagera ni dans des aventures démocratiques, où la monarchie constitutionnelle risquerait de sombrer, ni dans des aventures extérieures où l'Italie pourrait être compromise sans compensation.

CH. DE MAZADE.

LE MOUVEMENT FINANCIER DE LA QUINZAINE

Au début du mois de juin était annoncée, à grand renfort de réclames bruyantes, une campagne de hausse sur le 3 pour 100 et le Suez. On prétendait arriver avant peu à 85 ou 86 francs sur l'un, à 2,500 francs sur l'autre. Le mois de juillet, avec son contingent de capitaux, donnerait au mouvement l'impulsion décisive. En juin, on se contenterait

de dépasser le cours de 82 francs afin qu'il pût rester inscrit ex-coupon en liquidation. Ce programme avait reçu pendant la première quinzaine un commencement d'exécution. Le 3 pour 100, au moment où le coupon trimestriel allait être nominalement détaché sur la cote, était à 82.40 en hausse de 1 franc sur le dernier cours de compensation. Lundi dernier, on le voyait encore à 81.70, après déduction des 0 fr. 75 d'intérêt. Mais déjà il paraissait évident que la campagne ne pourraît être menée plus loin, et que même un mouvement de retraite serait nécessaire.

Ce revirement dans les tendances était provoqué par l'attitude du comptant. Tandis que, les mois précédens, l'épargne soutenait sur ce marché les cours des rentes au niveau de ceux du terme, on constatait en juin un écart, déjà sensible dans les premiers jours, et qui s'accentuait encore depuis le 15. La spéculation n'a pas assez de force pour imposer une direction à l'épargne; elle n'en a pas assez non plus pour se passer de son concours. Les portefeuilles envoyant des titres sur la place, il a fallu que les spéculateurs subissent les effets de la loi qui régit les relations de l'offre et de la demande. Les ventes du comptant ont amené la réaction sur le marché du terme, où, pendant la dernière semaine, les deux rentes 3 pour 100 ont fléchi de plus de 0 fr. 50.

La réaction de la fin du mois s'est d'ailleurs produite dans les mêmes conditions où avait eu lieu la hausse du début, au milieu d'une atonic générale des transactions, atonie plus marquée encore sur le marché des valeurs que sur celui des rentes. L'abondance des ressources est toujours aussi grande à Londres et à Paris, comme l'indique le succès des émissions qui viennent de s'effectuer sur ces deux places. Au-delà du détroit, deux emprunts du gouvernement chinois ont été lestement enlevés au Stock-Exchange avec une prime de 5 à 6 points. Ici la souscription publique à 64,670 obligations du chemin de fer de Mostaganem à Tiaret a été couverte, affirme-t-on, de cinquante à quatrevingts fois. Il est vrai que ces titres se présentaient sous l'estampille de la garantie de l'état assurée dans les termes les plus formels, et avec le prix alléchant de 330 francs, prix que l'épargne a comparé aussitôt avec celui de 390 francs, atteint par les obligations du Nord.

L'argent ne fait donc pas défaut, loin de là; mais il ne reviendra aux rentes qu'à son heure, en juillet probablement, après la rentrée. des fonds provenant du paiement des coupons d'intérêt, dividendes et loyers. Les influences extérieures n'ont donné aucun encouragement dans le sens de la baisse. A Londres, les Consolidés ont constamment monté, et la liquidation s'est passée dans d'excellentes conditions. Cette tenue du marché anglais n'a pas permis de concevoir de bien sérieuses appréhensions au sujet de l'attitude que le nouveau cabinet conservateur pourra prendre dans la question afghane. Le public finan

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