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CHAPITRE VI.

LES RENTES, LES PROFITS ET LES SALAIRES.

Pour donner le dernier trait à ce tableau, il reste à nous demander comment se partageait, avant 1848, le produit brut que nous venons d'indiquer, c'est-à-dire quelle était, sur ces 5 milliards de valeur nominale, déduction faite de l'impôt et des frais accessoires, la part qui revenait aux propriétaires du sol, ou la rente, zelle qui payait les peines et rétribuait le capital des fermiers, ou le profit, et celle qui servait à rémunérer le travail manuel proprement dit, ou le salaire. Quand nous aurons fait le même travail pour la France, notre comparaison entre les deux agricultures sera complète.

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Avant tout, la part qui se prélève pour les dépenses générales de la société, ou l'impôt.

Beaucoup d'erreurs ont été répandues et sont encore accréditées en France sur le système d'impôts qui règne en Angleterre. On croit assez généralement, sur une fausse apparence, que la terre anglaise est à peu près affranchie d'impôts, et que les taxes indirectes y forment tous les revenus publics. C'est une grande méprise. Nulle part, au contraire, la terre ne supporte un aussi lourd fardeau qu'en Angleterre. Seulement, ce n'est pas l'État qui perçoit ce que la terre paye directement, ou du

moins il n'en revenait presque rien à l'État avant l'établissement de l'income-tax. L'impôt direct à son profit n'était représenté que par une taxe insignifiante que les propriétaires ont rachetée en grande partie, la land-tax; mais si les taxes indirectes forment presque tout le revenu de l'État, les impôts directs n'en existent pas moins sous la forme de taxes locales.

Ces impôts sont au nombre de trois, la taxe des pauvres, les taxes de paroisse et de comté, qui équivalent à à nos revenus des communes et des départements, et la dîme de l'Église. La taxe des pauvres s'élevait encore, avant 1848, malgré tous les efforts qui avaient été faits pour la réduire, à 6 millions sterling ou 150 millions de francs pour la seule Angleterre. Les taxes de paroisse et de comté, pour les chemins, les ponts, la police, les prisons, etc., dépassent, toujours pour l'Angleterre seule, 4 millions sterling ou 100 millions de francs, en tout 250 millions. La propriété rurale paye à elle seule plus des deux tiers de cette somme. En y joignant la partie non rachetée de la land-tax, qui s'élève pour l'Angleterre à 25 millions de francs, et enfin la troisième charge de la propriété rurale anglaise, la dîme, autrefois variable et arbitraire dans sa perception, et qui, depuis sa commutation en une rente à peu près fixe, atteint au moins 175 millions, on trouve un total de 375 millions, soit, pour les 15 millions d'hectares de l'Angleterre et du pays de Galles, une moyenne de 25 francs par hectare, ou 8 shillings par acre.

Cette moyenne elle-même ne donne qu'une idée inexacte du fardeau qui pèse sur certains points du sol anglais. Une partie de la dîme ayant été rachetée aussi

bien qu'une partie de la land-tax, la taxe des pauvres étant très-inégalement répartie, puisqu'elle n'est point centralisée et qu'elle suit les variations du paupérisme dans les localités, il s'ensuit que certaines régions sont fort au-dessous de la moyenne, et certaines autres fort audessus. Il n'est pas rare de trouver en Angleterre des terres qui payent jusqu'à 50 francs l'hectare de taxes de toute sorte.

L'Irlande et l'Écosse sont moins surchargées, l'Écosse surtout; la plupart des taxes anglaises y sont à peine. connues. L'Écosse paye environ 12 millions de francs, et l'Irlande 38 d'impôt direct.

L'impôt foncier sur le sol, déduction faite des propriétés bâties, s'élève en France, en principal et centimes additionnels, en y comprenant la prestation en nature pour les chemins, à 250 millions en tout, ou 5 francs par hectare; cet impôt est donc le cinquième en valeur nominale et, en valeur réduite, le quart de ce qu'il est en Angleterre.

A ces chiffres, il faut ajouter l'income-tax, qui a quelque analogie avec notre contribution personnelle et mobilière, et qui emporte encore environ 3 pour 100 du revenu net des propriétaires et un et demi pour 100 de celui des fermiers. Les impôts sur les propriétés bâties, dont les propriétaires ruraux supportent leur part, sont dans la même proportion qne ceux qui portent sur la terre proprement dite. Enfin les taxes indirectes, outre qu'elles réduisent en fait le revenu des propriétaires en élevant le prix de toutes les denrées, pèsent lourdement sur quelques-uns des produits agricoles, notamment sur l'orge qui sert à la fabrication de la bière et qui ne paye

pas moins de 125 millions de francs; il a été récemment question de réduire cet impôt, mais inutilement. Notre impôt des boissons produit, comme on sait, 100 millions.

La propriété rurale anglaise était, il est vrai, affranchie en partie d'une charge qui atteint largement la terre en France, l'impôt sur les successions, les mutations et les hypothèques; mais cette franchise, qui n'était réelle que pour les terres de franc-alleu ou freeholds, et qui manquait aux terres soumises aux droits seigneuriaux ou copyholds, vient d'être fortement réduite par une législation nouvelle; elle perd d'ailleurs beaucoup de son importance, quand on songe aux frais de tout genre qu'entraîne l'incertitude de la propriété anglaise par l'absence d'un bon système d'enregistrement.

Voilà donc un premier résultat de cette grande production anglaise, l'élévation possible de l'impôt. Je ne m'arrêterai pas à montrer la richesse qui en résulte pour le pays en général et pour l'agriculture elle-même, qui profite la première des dépenses faites avec son argent. Il est bien évident que, si la propriété rurale française pouvait payer plus d'impôt, ou en d'autres termes consacrer beaucoup plus d'argent à des dépenses d'intérêt commun, la face de nos campagnes changerait bien vite: elles se couvriraient de chemins ruraux, de ponts, d'aqueducs, de travaux d'art, qui leur manquent aujourd'hui faute de fonds, et qui abondent chez nos voisins.

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Après l'impôt viennent les frais accessoires de la culture tels sont les achats d'engrais artificiels, l'entretien des machines aratoires, les renouvellements de semences et d'animaux reproducteurs, etc.; c'est tout au plus si le cultivateur français peut consacrer en moyenne 4 ou

5 francs par hectare à ces dépenses si productives, tandis qu'on ne pouvait pas les évaluer, même avant 1848, à moins de 25 francs par hectare en moyenne pour tout le Royaume-Uni, et à moins de 50 francs pour l'Angleterre proprement dite. C'est, comme on voit, de huit à dix fois plus qu'en France, même avec la réduction de 20 pour 100. Tel est le second effet de cette production supérieure: plus on produit, plus on peut consacrer de ressources à l'accroissement de la production, et la richesse se multiplie par elle-même.

Malgré cette part faite à l'impôt et aux frais accessoires, quand ce qui reste du produit brut se divisait entre ceux qui avaient concouru à le former par leur capital, leur intelligence et leurs bras, la part qui revenait à chacun d'eux était plus grande en Angleterre qu'en France.

D'abord la rente du propriétaire ou le revenu du capital foncier. L'idée de la rente n'est pas aussi généralement dégagée en France qu'en Angleterre, elle se confond avec le profit de l'exploitant et le revenu du capital d'exploitation, quand le propriétaire dirige lui-même la culture, et même avec le salaire proprement dit, quand il cultive son bien de ses propres mains. On peut cependant évaluer à 30 francs par hectare la rente moyenne des terres en France, c'est-à-dire le revenu net du capital foncier, déduction faite de tout revenu du capital d'exploitation, de tout salaire et de tout profit, soit en tout 1,500 millions pour nos 50 millions d'hectares cultivés

ou non.

On sait plus exactement, par suite de l'organisation de la culture anglaise, qui sépare presque toujours la propriété de l'exploitation, quelle était avant 1848 la rente des

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