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CHAPITRE XVII.

LES COMTÉS DU CENTRE.

En poursuivant notre voyage agronomique en Angleterre, nous sommes arrivés à la région du centre. Les premiers comtés à l'ouest de Londres sont ceux de Buckingham, de Berks et d'Oxford, qui n'offrent aucun trait bien saillant, et dont l'agriculture n'est ni au-dessus ni audessous de la moyenne.

Le Buckingham contient 190,000 hectares, et sa population n'est que de 160,000 âmes, ce qui révèle au premier abord en Angleterre un pays exclusivement agricole. Le partage des terres entre les diverses cultures, entre les grandes, les petites et les moyennes fermes, est à peu près égal; il en est de même des plaines et des collines, des terres fortes et des terres légères. La vallée d'Aylesbury passe pour une des plus fertiles du royaume. Un tiers à peu près de ses pâturages est consacré à l'engraissement des moutons, un tiers à l'engraissement du gros bétail, un tiers à la nourriture des vaches laitières. Un des produits les plus estimés est une espèce magnifique de canards blancs, qu'on élève dans les cottages des petits cultivateurs, et qui font, avec le souvenir de John Hampden, l'orgueil du comté de Buckingham.

Le Berkshire touche au comté de Surrey, en remontant la Tamise. A l'est, c'est le même terrain sablonneux

et pauvre que dans les comtés de Surrey et de Hants: là se trouvent la forêt de Windsor et des étendues de landes incultes; ailleurs, ce sont des collines calcaires ou downs, de la même nature que ceux de Sussex et de Dorset, et une vallée renommée par sa fertilité, qu'on appelle la Vallée du Cheval blanc, parce qu'on a découpé la forme d'un cheval dans une des collines crayeuses qui la bordent. La principale industrie de la vallée est la fabrication du fromage qui passe dans le commerce pour fromage de Glocester. Les collines calcaires nourrissent des troupeaux de moutons qui appartiennent à l'espèce des south-downs, originaires de dunes analogues. Du côté de Faringdon, on engraisse beaucoup de cochons, la race du comté de Berks étant une des meilleures de l'Angleterre. On y trouve peu de grandes fermes et beaucoup de petites; il reste même quelques yeomen où petits propriétaires cultivant eux

mêmes.

La ferme la plus célèbre du Berkshire est celle de M. Pusey, membre du parlement, président actuel de la Société royale d'agriculture d'Angleterre. Elle contient environ 150 hectares; toutes les parties de la culture y sont également soignées; mais on admire surtout l'élève et l'engraissement des moutons. Le troupeau se compose de 800 têtes, dont moitié de brebis portières. L'hiver, il est nourri de racines, et l'été dans des prairies arrosées. Ces prairies sont ce qu'il y a de plus remarquable chez M. Pusey. Il a fait venir du Devonshire un irrigateur expérimenté; les travaux lui ont coûté environ 350 francs par hectare. Le produit paraît énorme, puisque, sur une étendue de 2 acres ou 80 ares, il prétend nourrir pendant 1 M. Pusey est mort depuis la publication de cet Essai.

les cinq mois d'été 73 beaux moutons south-downs. Ces moutons sont enfermés sur les prairies dans des parcs : on déplace les parcs quand l'herbe est mangée, on en ôte l'eau avant d'y mettre les moutons, et on l'y remet dès qu'ils sont sortis. M. Pusey affirme que, nourris ainsi et finis ensuite à l'étable avec des grains et des tourteaux, ils sont gras à un an et vendus à un haut prix pour la boucherie. Malgré ces beaux produits et ceux obtenus dans les autres branches, l'opinion générale est que M. Pusey ne fait pas de bénéfices. Il n'en rend pas moins de grands services à l'agriculture. Il est arrivé, tout le monde le reconnaît, à quadrupler le nombre des moutons engraissés et à doubler la quantité des céréales produites dans sa ferme; d'autres chercheront à obtenir ces résultats par des moyens plus économiques, et y réussiront probablement.

La rente moyenne dans le comté d'Oxford est la même que dans le Bucks et le Berks, et présente, suivant les districts, les mêmes inégalités. Nulle part peut-être dans la Grande-Bretagne, le sol n'offre tant de diversité. La rente des terres légères atteint en moyenne 100 francs; mais, l'argile d'Oxford étant au moins aussi tenace que celle de Londres, la rente des terres argileuses arrive à peine à 25. L'assolement suivi jusqu'ici dans les terres argileuses est l'ancien assolement triennal : blé, avoine, jachère; dans les terres légères, c'est l'assolement de Norfolk, que la richesse accompagne comme toujours.

L'ouest du comté en est la plus mauvaise partie. On y trouve entre autres grandes propriétés celles de Blenheim, appartenant au duc de Marlborough. Le château

donné par la nation au vainqueur de Louis XIV passe avec raison pour un des plus beaux monuments de l'Angleterre; le parc a plus de 1,000 hectares, et les terres s'étendent bien au delà. Pendant la dernière crise, presque tous les fermiers ont déserté, le duc actuel s'étant refusé à toute concession sur ses rentes, et il a été forcé de faire exploiter lui-même par des agents. Cette conduite a été sévèrement jugée en Angleterre, où l'opinion impose aux landlords une grande bienveillance envers leurs fermiers; il est d'ailleurs plus que probable que le duc n'a pas fait ses frais. Le long de la Tamise et des autres rivières s'étendent d'excellentes prairies qui fournissent du beurre pour le marché de Londres. Entre le comté d'Oxford et celui de Buckingham s'élève encore une chaîne de collines calcaires ou downs, nommée les chiltern-hills.

En somme, quiconque veut voir comme un résumé de l'agriculture et du sol de l'Angleterre, doit aller visiter le comté d'Oxford et ses voisins. D'autres motifs y attirent le voyageur la ville d'Oxford est assurément une des plus intéressantes des trois royaumes, et le château de Blenheim, avec sa magnifique collection de tableaux, mérite d'être visité. On trouve dans ce comté comme un échantillon de toutes les cultures, de toutes les terres, de toutes les rentes, de tous les modes d'exploitation, l'ensemble donne une moyenne conforme à la moyenne générale. Ajoutez qu'Oxford est aujourd'hui aux portes de Londres et qu'on y va en très-peu d'heures par le chemin de fer. Il n'y a que l'Angleterre industrielle et commerçante qui y manque, le voisinage de Londres et de Bristol n'en tient lieu qu'imparfaitement.

Le comté de Wilts se divise en deux parties fort dis

tinctes, le nord et le sud. Les productions agricoles de ces deux moitiés diffèrent comme leur constitution géologique le nord, formé de fraîches vallées où coulent les affluents de l'Avon, est un pays d'herbages et de vacheries; le midi, qui se compose de grands plateaux calcaires, comme le Dorset, est une région à céréales et à moutons; on y trouve le fameux plateau connu sous le nom de plaine de Salisbury, où s'élève le monument druidique de Stone-Henge. Dans le nord, la rente monte jusqu'à 100 francs et au delà, dans le midi, elle tombe au-dessous de 50. Dans le nord, les fermes n'ont qu'une étendue plutôt petite que grande, de 25 à 100 hectares par exemple dans le midi, elles sont immenses; on en trouve de 1,000 et 2,000 hectares, le plus grand nombre est d'environ 500; les fermiers du nord, n'exploitant que de petites fermes, sont en général des hommes sans capital, travaillant par leurs bras et ceux de leurs familles, ceux du midi sont pour la plupart de riches spéculateurs: et cependant la prospérité du nord n'a pas reçu d'atteinte, tandis que le sud a été un des pays les plus travaillés par la crise.

C'est que la culture des céréales y avait pris trop de développement. La plaine de Salisbury présente à l'œil l'aspect d'un vaste désert, où quelques fermes se cachent de loin en loin dans les plis de terrain, et où s'étendent à l'infini des champs de blé sans arbres et sans clôtures. Ces immensités servaient autrefois de pâturages à moutons, mais le haut prix des grains avait entraîné à les transformer en terres arables, et cette transformation, bien que lucrative au premier abord, n'avait pas toujours été judicieuse. Ricardo les avait en vue, quand il affirme qué l'on commence par cultiver en blé les bonnes terres,

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