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importés périrent: l'humidité des pâturages leur donnait des maladies qui devenaient bientôt mortelles. On plaça les derniers venus sur un terrain plus sec, et ils vécurent. Dès ce moment, il fut démontré que le climat anglais, s'il mettait une limite à la propagation des mérinos, n'était pas un obstacle invincible à leur introduction. Des grands seigneurs, des agriculteurs célèbres, s'occupèrent activement des moyens de naturaliser cette nouvelle race; mais les fermiers firent, dès le début, des objections plus fondamentales que celles du climat; les idées avaient changé, on commençait à pressentir l'importance du mouton comme animal de boucherie. Peu à peu cette tendance nouvelle a prévalu, la race espagnole a été abandonnée par ceux mêmes qui l'avaient le plus vantée à l'origine, et aujourd'hui il n'existe plus de mérinos ou métis-mérinos en Angleterre que chez quelques amateurs, comme objet de curiosité plutôt que de spéculation.

Le plus grand promoteur de cette préférence a été le célèbre Bakewell, un homme de génie dans son genre, qui a fait autant pour la richesse de son pays que ses contemporains Arkwright et Watt. Avant lui, les moutons anglais n'étaient mûrs pour la boucherie qu'à l'âge où sont abattus encore aujourd'hui les nôtres, c'est-à-dire vers quatre ou cinq ans. Il pensa fort justement que s'il était possible de porter les moutons à leur complet développement avant cet âge, de les rendre, par exemple, propres à être abattus à deux ans, on doublerait par ce seul fait le produit des troupeaux. Avec cette persévérance qui caractérise sa nation, il poursuivit, dans sa ferme de Dishley-Grange, en Leicestershire, la réalisation de cette

idée, et il finit, après bien des années d'efforts et de sa'crifices, par en venir à bout.

La race obtenue ainsi par Bakewell porte le nom de nouveaux Leicester, du nom du comté, ou de Dishley, du nom de la ferme où elle a pris naissance. Cette race extraordinaire, sans rivale dans le monde pour sa précocité, fournit des animaux qui peuvent s'engraisser dès l'âge d'un an, et qui, dans tous les cas, ont acquis tout leur volume avant l'expiration de leur seconde année. A cette qualité, précieuse entre toutes, ils joignent une perfection de formes qui les rend, à volume égal, plus charnus et plus lourds qu'aucune race connue. Ils donnent ́en moyenne 50 kilos de viande nette, et il n'est pas rare d'en trouver qui vont au delà.

Le procédé que Bakewell a suivi pour obtenir un si merveilleux résultat est connu de tous les éleveurs sous le nom de sélection. Il consiste à choisir, parmi les individus d'une espèce, ceux qui présentent au plus haut degré les qualités qu'on veut perpétuer, et à s'en servir uniquement comme reproducteurs. Au bout d'un certain nombre de générations, en suivant toujours la même méthode, les caractères qu'on a recherchés chez tous les reproducteurs mâles et femelles deviennent permanents, et la race est constituée. Ce procédé paraît extrêmement simple; mais ce qui l'est moins, c'est le choix des qualités qu'il faut s'attacher à reproduire, afin d'arriver au meilleur résultat. Beaucoup d'éleveurs s'y trompent, et travaillent dans un sens contraire à leur propre dessein.

Avant Bakewell, les fermiers des riches plaines du Leicester, dans l'intention de produire le plus de viande

possible, recherchaient avant tout dans leurs moutons une grande taille. L'un des mérites de l'illustre fermier de Dishley-Grange fut de comprendre qu'il y avait de plus sûrs moyens d'augmenter le rendement pour la boucherie, et que la précocité de l'engraissement d'une part, la rondeur des formes de l'autre, valaient mieux, pour atteindre le but, que le développement excessif de la charpente osseuse. Les nouveaux Leicester ne sont pas plus grands que ceux qu'ils ont remplacés, mais l'éleveur peut en envoyer trois au marché dans le temps qui lui était autrefois nécessaire pour en produire un, et s'ils n'ont pas plus de hauteur, ils sont plus larges, plus ronds, plus développés dans les parties qui donnent le plus de chair, ils n'ont que les os absolument nécessaires pour les supporter, et presque tout leur poids est en viande

nette.

L'Angleterre fut émerveillée quand les résultats annoncés par Bakewell furent définitivement acquis. Le créateur de la nouvelle race, qui, comme tout bon Anglais, tenait avant tout au profit, tira largement parti de l'émulation que sa découverte excita. Comme tout le monde voulait avoir du sang Dishley, Bakewell imagina de louer ses béliers au lieu de les vendre; les premiers qu'il loua ne lui rapportèrent que 22 francs par tête, c'était en 1760, et sa race n'était pas encore arrivée à sa perfection; mais à mesure qu'il fit de nouveaux progrès et que la réputation de son troupeau s'accrut, ses prix s'élevèrent rapidement; en 1789, une société s'étant formée pour la propagation de sa race, il lui loua ses béliers pour une saison, au prix énorme de 6,000 guinées (plus de 150,000 fr.). On a calculé que, dans les années qui sui

virent, les fermiers du centre de l'Angleterre dépensèrent jusqu'à 100,000 livres par an (2,500,000 fr.) en location de béliers; Bakewell, malgré tous ses efforts pour garder le monopole, n'était plus le seul qui louât des reproducteurs, cette industrie s'était répandue autour de lui, et plusieurs troupeaux avaient été formés sur le modèle du sien.

La richesse dont Bakewell a doté son pays est incalculable; s'il était possible de supputer ce que la seule race de Dishley a rapporté aux cultivateurs anglais depuis quatre-vingts ans, on arriverait à des résultats prodigieux.

Mais ce n'est pas tout. Bakewell n'a pas seulement créé une espèce particulière de moutons qui réalise le maximum de précocité et de rendement qu'il paraît possible d'atteindre, il a encore indiqué, par son exemple, les moyens de perfectionner les races indigènes placées dans d'autres conditions. Les purs Dishley ne peuvent pas se répandre uniformément partout; originaires de plaines basses, humides et fertiles, ils ne réussissent parfaitement que dans les contrées analogues; c'est une race tout à fait artificielle, conséquemment délicate, un peu maladive, chez qui la précocité n'est qu'une disposition à une vieillesse prématurée, et qui, par sa conformation même, est incapable d'effort; il lui faut, avec un climat froid et une nourriture abondante, un repos à peu près absolu et des soins continuels, qu'elle paye ensuite avec usure, il est vrai, mais qu'il n'est pas toujours possible de lui donner.

On peut diviser le sol anglais, comme tous les pays possibles, en trois parties les plaines, les coteaux et les montagnes. Le Dishley est resté le type du mouton de plaine et le modèle unique et supérieur dont toutes les

races doivent se rapprocher le plus possible; deux autres ont été choisies: l'une un peu inférieure au Dishley, mais tendant toujours vers lui, pour en faire le type des pays de coteaux, c'est le mouton des dunes méridionales du Sussex ou South Downs; l'autre, inférieure à son tour aux South Downs, mais tendant toujours vers eux, est devenue le type des pays de montagne; c'est celle qui a pris naissance dans le nord du Northumberland, entre l'Angleterre et l'Écosse, au milieu des montagnes des Cheviot.

Les dunes méridionales du Sussex sont des rangées de collines calcaires de deux lieues de largeur moyenne sur vingt-cinq de longueur environ, qui courent de l'est à l'ouest le long des côtes de la Manche, en face de la France. L'élégante ville de Brighton, célèbre par ses bains de mer qui attirent tous les ans une grande partie du beau monde anglais, est située au pied de ces collines, qui présentent un aspect particulier à l'Angleterre; elles sont entièrement dépouillées de bois, semées çà et là de quelques bruyères, et couvertes sur toute leur surface d'une herbe courte, fine et serrée. De tout temps, ces pâturages ont servi à nourrir des moutons à qui ils conviennent parfaitement; mais l'ancienne race de ces South Downs, petite et rustique, donnait peu de viande, leur chair était d'ailleurs très-estimée et leur laine recherchée pour certaines espèces de draps.

Un propriétaire du pays, nommé John Ellmann, entreprit, vers 1780, d'appliquer à l'amélioration de cette espèce les procédés qui réussissaient si bien à Bakewell pour le perfectionnement des races à longue laine. Une circonstance particulière lui permettait de tenter cet essai avec quelque chance de succès; le long des collines du

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