Page images
PDF
EPUB

d'œuvre agricole diminuerait; tout annonce en effet qu'elle sera réduite sur quelques points; mais sur d'autres elle sera accrue. En résumé, elle restera au moins égale à ce qu'elle était auparavant.

L'opinion commande d'autres améliorations en faveur des classes populaires; on veut que les lois sur le domicile en matière de taxe des pauvres soient revisées, afin que les ouvriers puissent aisément se déplacer et se rendre des points où le salaire est le plus bas dans ceux où il est le plus élevé, sans rien perdre de leurs droits aux secours publics; on veut que les propriétaires s'occupent paternellement de leurs journaliers, qu'ils veillent à leur instruction et à leur moralité comme à leur bien-être matériel, et les plus grands seigneurs tiennent à honneur de remplir ce devoir. Beaucoup d'entre eux font bâtir des cottages sains et commodes qu'ils louent à des prix raisonnables le prince Albert, qui veut être le premier å donner tous les bons exemples, avait fait exposer sous son nom, à l'exhibition universelle, un modèle de ces sortes de constructions. On y joint en général un petit lot de jardin où le locataire peut faire venir des légumes frais; c'est ce qu'on appelle des allotments. Dans tous les grands domaines, le maître fait construire des chapelles et des écoles, et encourage les associations qui ont un but d'utilité commune.

:

Ainsi a été prévenue la guerre des classes, et, sans

avoir baissé pendant plusieurs années, les prix ont recommencé à monter, et ils sont aujourd'hui (janvier 1854) plus haut qu'avant la réforme ; mais cette hausse, étant l'effet de la mauvaise récolte de 1853, et n'ayant rien d'artificiel, n'a plus les mêmes inconvénients. (Voir l'appendice no 1, à la fin du volume.)

autres secousses que celles qui étaient absolument inévitables, l'Angleterre a fait un grand pas, même au point de vue agricole. Voilà pourquoi, quand Robert Peel est mort, l'Angleterre a pris le deuil : le grand citoyen avait été compris.

Je ne m'arrêterai pas à faire ressortir la différence entre la crise anglaise de 1848 et la crise française de la même époque. L'intérêt rural est aussi chez nous celui qui a le plus souffert, mais il n'a pas été le seul à souffrir, tous ont été ébranlés à la fois. On a vu le prix des denrées baisser rapidement, non pas comme en Angleterre, parce qu'il était trop élevé, mais parce que, le travail industriel et commercial s'étant arrêté, la classe non agricole n'avait plus le moyen d'acheter de quoi vivre. La consommation dans toutes les branches, au lieu de s'accroître comme chez nos voisins, s'est réduite au strict nécessaire, et dans un pays où l'alimentation ordinaire en viande et en blé était à peine suffisante, il s'est encore trouvé trop de viande et trop de blé pour les ressources d'une population appauvrie. La culture et la propriété éperdues n'ont pas trouvé comme en Angleterre l'appui des capitaux, puisqu'un grand nombre avaient été détruits et que le reste épouvanté émigrait ou se cachait. Heureusement que, par une faveur spéciale de la Providence, les fruits de la terre ont abondé pendant cette épreuve, car si le moindre doute avait pu s'élever dans les esprits sur l'approvisionnement, au milieu du désordre général, nous aurions vu les horreurs de la famine se joindre comme autrefois aux horreurs de la guerre civile.

Un premier retour de confiance répare en partie ces désastres. La France montre encore une fois ce qu'elle a

montré si souvent, notamment après l'anarchie de 93 et les deux invasions, qu'il n'est pas en son pouvoir de se faire un mal incurable. Plus elle reparaît pleine de ressources malgré les pertes immenses qu'elles a faites, plus on est frappé des progrès qu'elle aurait réalisés dans ces cinq ans, si elle n'avait elle-même arrêté violemment son essor. Les recettes des contributions indirectes, un des signes les plus certains de la prospérité publique, qui étaient de 825 millions en 1847, et qui ont remonté péniblement, après une baisse énorme, à 810 millions en 1852, auraient atteint dans cette même année 950 millions ou 1 milliard, si l'impulsion qu'elles avaient reçue avant 1848 s'était soutenue, et toutes les branches de la richesse publique répondraient à ce brillant symbole.

Du reste, si j'ai dû raconter ce qui s'est passé en Angleterre depuis 1847, il ne faut pas en conclure qu'une révolution du même genre me paraisse désirable ou même possible en France. Nous sommes dans des conditions différentes sous tous les rapports. Il ne peut être question chez nous d'établir le bon marché des subsistances; nous l'avons, puisque l'Angleterre, après tous ses efforts, n'a pas pu descendre plus bas que les plus élevés de nos prix courants, et sur la moitié du territoire, nous ne l'avons que trop. Il ne faut pas confondre les pays riches et peuplés à l'excès avec ceux qui ne le sont pas; les besoins des uns ne sont pas du tout ceux des autres. Nous ne ressemblons pas à l'Angleterre de 1846, mais à l'Angleterre de 1800. Ce n'est pas la production qui manque chez nous à la consommation, c'est encore la consommation qui, dans la moitié de la France du moins, manque à la production. Au lieu de voir partout le blé

à 25 francs l'hectolitre et la viande à 1 franc 25 centimes le kilogramme, nous avons des pays entiers où le producteur n'obtient guère de ses denrées plus de la moitié de ces prix. Pour ceux-là, ce n'est pas la baisse qu'il leur faut, mais la hausse; ils sont encore bien loin du temps où ils pourront souffrir de l'excès de demande des denrées. agricoles et de l'élévation des prix.

Mais il ne faut pas non plus s'imaginer que l'échelle mobile sur les céréales et les droits exorbitants sur les bestiaux étrangers, puissent avoir en France une utilité quelconque. En fait, ces droits n'ont été jusqu'ici d'aucun effet pour relever les prix, ils ont plutôt contribué à les abattre, en arrêtant l'essor du commerce. L'agriculture française, qui s'est crue protégée, ne l'était pas et ne pouvait pas l'être; ses propres prix ne la mettaient que trop à l'abri de la concurrence étrangère. Ce n'est donc pas sur des combinaisons de douane, mais sur l'augmentation de la consommation intérieure par le progrès des communications et des échanges, et à quelques égards sur l'exportation, qu'elle doit compter pour mieux vendre ses produits. Toute autre pensée serait chimérique et, qui plus est, nuisible à ses intérêts. La même liberté de commerce, qui tend à faire baisser les prix des subsistances en Angleterre, parce qu'ils étaient trop hauts, aurait plutôt en France l'effet contraire, parce qu'ils y sont habituellement trop bas, au moins sur un grand nombre de points.

CHAPITRE XIII.

LE HIGH FARMING.

Parmi les innovations agricoles que la dernière crise a suscitées, la plus considérable sans aucun doute, celle qui restera comme l'effet le plus utile de cette grande commotion, c'est le procédé d'assainissement connu sous le nom de drainage. Drainage, en anglais, signifie écoulement. De tout temps l'écoulement des eaux surabondantes a été pour l'agriculture anglaise, surtout dans les sols tenaces, la principale difficulté. On n'avait jusqu'ici employé, pour s'en débarrasser, que des moyens imparfaits; le problème est aujourd'hui tout à fait résolu. << Prenez ce pot de fleurs, disait dernièrement en France le président d'un comice; pourquoi ce petit trou au fond? pour renouveler l'eau. Et pourquoi renouveler l'eau ? parce qu'elle donne la vie ou la mort la vie, lorsqu'elle ne fait que traverser la couche de terre, car elle lui abandonne les principes fécondants qu'elle porte avec elle, et rend solubles les aliments destinés à nourrir la plante; la mort, au contraire, lorsqu'elle séjourne dans le pot, car elle ne tarde pas à se corrompre et à pourrir les racines, et elle empêche l'eau nouvelle d'y pénétrer. >> La théorie du drainage est tout entière dans cette image.

L'invention nouvelle consiste à employer, pour effec

« PreviousContinue »