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AVERTISSEMENT

DE LA TROISIÈME ÉDITION.

(Décembre 1857.)

J'ai ajouté à cette édition un appendice sur l'état de l'Agriculture anglaise en 1857, en remplacement de la note sur la Population de la France au XVIe siècle, qui a fait partie de l'édition précédente, et qui m'a paru avoir un rapport moins direct avec le sujet.

Plus que jamais, il est nécessaire d'insister sur les faits contemporains, car, malgré quelques progrès éclatants mais partiels, l'ensemble de notre économie rurale ne s'améliore guère, et la distance qui nous séparait des Anglais va en s'accroissant.

DE L'ANGLETERRE

CHAPITRE I.

LE SOL ET LE CLIMAT.

Quand l'exposition universelle attirait à Londres un immense concours de curieux venus de tous les points du monde, la puissance industrielle et commerciale du peuple anglais a frappé les regards sans les étonner. On s'attendait généralement au gigantesque spectacle qu'ont présenté les produits de Manchester, de Birmingham, de Sheffield, de Leeds, entassés sous les voûtes transparentes du palais de cristal, et à cette autre scène non moins merveilleuse qu'offraient, en dehors de l'exposition, les docks de Londres et de Liverpool, avec leurs magasins sans fin et leurs vaisseaux sans nombre; mais ce qui a surpris plus d'un observateur, c'est le développement agricole que révélaient les parties de l'exposition consacrées aux machines aratoires et aux produits ruraux anglais; on était en général assez loin de s'en douter.

En France plus qu'ailleurs peut-être, malgré notre extrême proximité, on a trop cru jusqu'ici que l'agriculture avait été négligée en Angleterre au profit de l'intérêt

industriel et mercantile. Un fait mal étudié dans son principe et dans ses conséquences, la réforme douanière de sir Robert Peel, a contribué à répandre parmi nous ces idées inexactes. Ce qui est vrai, c'est que l'agriculture anglaise, prise dans son ensemble, est aujourd'hui la première du monde, et qu'elle est en voie de réaliser de nouveaux progrès. Je voudrais faire connaître sommairement son état actuel (1853), en indiquer les véritables causes, et en induire l'avenir; plus d'un enseignement utile peut sortir pour la France de cette étude.

Une crise grave et douloureuse s'est déclarée presque en même temps, quoique par des causes différentes, en 1848, dans les intérêts agricoles des deux pays. J'essayerai d'en apprécier à part la portée; mais il importe auparavant d'examiner quelle était, avant 1848, la situation des deux agricultures. Deux ordres de questions se rattachent à cette comparaison, les unes fondamentales, qui dérivent de l'histoire entière de leur développement, les autres transitoires, qui naissent de leur condition pendant la crise.

Avant tout, essayons de nous rendre compte du théâtre même des opérations agricoles, le sol.

Les îles Britanniques ont une étendue totale de 31 millions d'hectares, c'est-à-dire les trois cinquièmes environ du territoire français, qui n'en a pas moins de 53; mais ces 31 millions d'hectares sont loin d'avoir une fertilité uniforme il s'y trouve des différences plus grandes peutêtre qu'en aucun pays.

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Tout le monde sait que le Royaume-Uni se décompose - en trois parties principales, l'Angleterre, l'Écosse et l'Irlande. L'Angleterre forme à elle seule la moitié environ

du territoire; l'Écosse et l'Irlande se partagent le reste à peu près également. Chacune de ces trois grandes fractions doit elle-même se diviser, sous le rapport de la culture comme sous les autres points de vue, en deux ties principales: l'Angleterre, en Angleterre proprement dite et pays de Galles; l'Écosse, en haute et basse; l'Irlande, en région du sud-est et région du nord-ouest.

par

L'Angleterre proprement dite, la portion la plus grande et la plus riche des trois royaumes, comprend 13 millions d'hectares, ou un peu plus du tiers de l'étendue totale des îles Britanniques et l'équivalent d'un quart de la France. C'est d'elle surtout qu'il doit être question dans cette étude. En lui comparant le quart de la France le mieux cultivé, c'est-à-dire l'angle du nord-ouest, qui comprend les anciennes provinces de la Flandre, de l'Artois, de la Picardie, de la Normandie, de l'Ile-de-France, et même en y ajoutant les départements les plus riches des autres régions, nous n'avons pas une égale étendue de terres bien cultivées à lui opposer. Certaines parties de notre sol, comme le département du Nord presque tout entier et quelques autres cantons détachés, sont supérieures comme production à ce qu'il y a de mieux en Angleterre ; d'autres, comme les départements de la Seine-Inférieure, de la Somme, du Pas-de-Calais, de l'Oise, peuvent soutenir la comparaison; mais 13 millions d'hectares comparables comme culture aux 13 millions d'hectares anglais, nous ne les possédons pas.

Le sol et le climat de l'Angleterre seraient-ils donc naturellement supérieurs aux nôtres? Bien loin de là. Un million d'hectares sur 13 sont restés tout à fait improductifs et ont résisté jusqu'ici à tous les efforts de l'homme;

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sur les 12 millions restants, les deux tiers au moins sont des terres ingrates et rebelles que l'industrie humaine a eu besoin de conquérir.

La pointe sud de l'île, qui forme le comté de Cornouailles et plus de la moitié du Devon, se compose de terrains granitiques analogues à ceux de notre Bretagne. Il y a là, dans les anciennes forêts d'Exmoor et de Dartmoor, dans les montagnes qui finissent au Land's End et dans celles qui avoisinent la presqu'île galloise, près d'un million d'hectares qui n'ont que bien peu de valeur. Dans le nord, d'autres montagnes, celles qui séparent l'Angleterre de l'Écosse, couvrent de leurs ramifications les comtés de Northumberland, Cumberland, Westmoreland, et une partie de ceux de Lancastre, Durham, York et Derby. Cette région, qui comprend plus de 2 millions d'hectares, ne vaut guère mieux que la première. C'est un pays pittoresque par excellence, parsemé de lacs et de cascades, mais qui n'offre, comme les pays pittoresques en général, que peu de ressources à la culture.

Presque partout où le sol n'est pas montueux, il est naturellement couvert de marécages. Les comtés de Lincoln et de Cambridge, qui comptent aujourd'hui, surtout le premier, parmi les plus productifs, n'étaient autrefois qu'un marais couvert en partie par les eaux de la mer, comme les polders de Hollande qui leur font face de l'autre côté du détroit. De nombreuses tourbières appelées mosses montrent encore çà et là l'état primitif du pays. Sur d'autres points sont de grandes étendues de sables délaissés par l'Océan; le comté de Norfolk, où a pris naissance le système agricole qui a fait la fortune de l'Angleterre, n'est pas autre chose.

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