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HARVARD UNIVERSITY LIBRARY DEC 13 1961

PRÉFA C E.

JE suis à-peu-près dans le même cas où

se trouva Ciceron, lorsqu'il entreprit de mettre en sa langue des matieres de Philosophie, qui jusques-là n'avoient été traitées qu'en Grec. Il nous apprend qu'on disoit que ses ouvrages seroient fort inutiles, parce que ceux qui aiment la Philosophie, s'étant bien donné la peine de la chercher dans les Livres Grecs, négligeroient après cela de la voir dans des Livres Latins qui ne seroient pas origi→ naux; et que ceux qui n'avoient pas de goût pour la Philosophie, ne se soucioient de la voir ni en Latin, ni en Grec.

A cela il répond qu'il arriveroit tout le contraire; que ceux qui n'étoient pas philosophes, seroient tentés de le devenir par la facilité de lire les Livres Latins; et que ceux qui l'étoient déjà par la lecture des Livres Grecs, seroient bien aises

de voir comment ces choses-là avoient été maniées en Latin.

Cicéron avoit raison de parler ainsi. L'excellence de son génie, et la grande réputation qu'il avoit déjà acquise, lui garantissoient le succès de cette nouvelle sorte d'Ouvrages qu'il donnoit au Public; mais moi je suis bien éloigné d'avoir les mêmes sujets de confiance dans une entreprise presque pareille à la sienne. J'ai youlu traiter la Philosophie d'une maniere qui ne fût point philosophique ; j'ai tâché de l'amener à un point où elle ne fût ni trop seche pour les gens du monde, ni trop badine pour les Savans. Mais ont me dit à-peu-près comme à Cicéron, qu'un pareil Ouvrage n'est propre ni aux Savans qui n'y peuvent rien apprendre, ni aux gens du monde qui n'auront point d'envie d'y rien apprendre, je n'ai garde de répondre ce qu'il répondit. Il se peut bien faire qu'en cherchant un milieu où la Philosophie convînt à tout le monde, j'en aie trouvé un où elle ne convienne à

personne : les milieux sont trop difficiles à tenir, et je ne crois pas qu'il me prenne envie de me mettre une seconde fois dans la même peine.

Je dois avertir ceux qui liront ce Livre, et qui ont quelque connoissance de la Physique, que je n'ai point du tout prétendu les instruire, mais seulement les divertir en leur présentant, d'une manire un peu plus agréable et plus égayée, ce qu'ils savent déjà plus solidement. J'avertis ceux à qui ces matieres sont nouvelles, que j'ai crus pouvoir les instruire et les divertir tout ensemble. Les premiers iront contre mon intention, s'ils cherchent ici de l'utilité; et les seconds, s'ils n'y cherchent que de l'agrément.

Je ne m'amuserai point à dire que j'ai choisi dans toute la Philosophie la matiere la plus capable de piquer la curiósité. Il semble que rien ne devroit nous -intéresser davantage, que de savoir comment est fait ce monde que nous habitons, s'il y a d'autres mondes semblables,

et qui soient habités aussi; mais après tout, s'inquiete de tout cela qui veut. Ceux qui ont des pensées à perdre, les peuvent perdre sur ces sortes de sujets; mais tout le monde n'est pas en état de faire cette dépense inutile.

J'ai mis dans ces Entretiens une femme que l'on instruit, et qui n'a jamais ouï parler de ces choses-là. J'ai cru que cette fiction me serviroit à rendre l'Ouvrage plus susceptible d'agrément, et à encorager les Dames par l'exemple d'une femme, qui ne sortant jamais des bornes d'une pesonne qui n'a nulle teinture de science, ne laisse pas d'entendre ce qu'on lui dit, et de ranger dans sa tête, sans confusion, les Tourbillons et les Mondes. Pourquoi des femmes céderoient-elles à cette Marquise imaginaire, qui ne conçoit que ce qu'elle ne peut se dispenser de concevoir ?

A la vérité, elle s'applique un peu; mais qu'est-ce ici que s'appliquer ? Ce n'est pas pénétrer à force de méditation une chose obscure d'elle-même, ou expli

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