LA PRINCESSE. Quel droit ont-ils chacun d'y vouloir ma présence? CYNTHIE. Jusques à quand ce cœur veut-il s'effaroucher Le dessein de l'auteur étoit de traiter toute la comédie en vers; mais un commandement du roi, qui pressa cette affaire, l'obligea d'achever le reste en prose, et de passer légèrement sur plusieurs scènes, qu'il auroit étendues da vantage s'il avoit eu plus de loisir. AGLANTE. Pour moi, je tiens que cette passion est la plus agréable affaire de la vie; qu'il est nécessaire d'aimer pour vivre heureusement; et que tous les plaisirs sont fades, s'il ne s'y mêle un peu d'a mour. LA PRINCESSE. Pouvez-vous bien toutes deux, étant ce que vous êtes, prononcer ces paroles? et ne devezvous pas rougir d'appuyer une passion qui n'est qu'erreur, que foiblesse et qu'emportement, et dont tous les désordres ont tant de répugnance avec la gloire de notre sexe ? J'en prétends soutenir l'honneur jusqu'au dernier moment de ma vie, et ne veux point du tout me commettre à ces gens qui font les esclaves auprès de nous pour devenir un jour nos tyrans. Toutes ces larmes, tous ces soupirs, tous ces hommages, tous ces respects, sont des embûches qu'on tend à notre cœur, et qui souvent l'engagent à commettre des lâchetés. Pour moi, quand je regarde certains exemples et les bassesses épouvantables où cette passion ravale les personnes sur qui elle étend sa puissance, je sens tout mon cœur qui s'émeut; et je ne puis souffrir qu'une ame qui fait profession d'un peu de fierté ne trouve pas une honte horrible à de telles foiblesses. CYNTHIE. Hé! madame, il est de certaines foiblesses qui ne sont point honteuses, et qu'il est beau même d'avoir dans les plus hauts degrés de gloire. J'espère que vous changerez un jour de pensée; et, s'il plaît au ciel, nous verrons votre cœur, avant qu'il soit peu... LA PRINCESSE. Arrêtez, n'achevez pas ce souhait étrange : j'ai une horreur trop invincible pour ces sortes d'abaissements; 'et, si jamais j'étois capable d'y descendre, je serois personne, sans doute, à ne me le point pardonner. AGLANTE. Prenez garde, madame : l'Amour sait se venger des mépris que l'on fait de lui; et peut-être... : LA PRINCESSE. Non, non je brave tous ses traits; et le grand pouvoir qu'on lui donne n'est rien qu'une chimère et qu'une excuse des foibles cœurs, qui le font invincible pour autoriser leur foiblesse. CYNTHIE. Mais enfin toute la terre reconnoît sa puissance, et vous voyez que les dieux mêmes sont assujettis à son empire. On nous fait voir que Jupiter n'a pas aimé pour une fois, et que Diane même, dont vous affectez tant l'exemple, n'a pas rougi de pousser des soupirs d'amour. LA PRINCESSE. Les croyances publiques sont toujours mêlées d'erreur. Les dieux ne sont point faits comme se les fait le vulgaire : et c'est leur manquer de respect que de leur attribuer les foiblesses des hommes. SCÈNE II. LA PRINCESSE, AGLANTE, CYNTHIE, AGLANTE. Viens, approche, Moron; viens nous aider à défendre l'amour contre les sentiments de la princesse. LA PRINCESSE. Voilà votre parti fortifié d'un grand défenseur ! MORON. Ma foi, madame, je crois qu'après mon exemple il n'y a plus rien à dire, et qu'il ne faut plus mettre en doute le pouvoir de l'Amour. J'ai bravé ses armes assez long-temps, et fait de mon drôle comme un autre: mais enfin ma fierté a baissé l'oreille, et vous avez une traîtresse ( Il montre Philis ) qui m'a rendu plus doux qu'un agneau. Après cela on ne doit plus faire aucun scrupule d'aimer ; et puisque j'ai bien passé par là, il peut bien y en passer d'autres. Et pourquoi non? Est-ce qu'on n'est pas assez bien fait pour cela? Je pense que ce visage est assez passable, et que, pour le bel air, dieu merci, nous ne le cédons à personne. CYNTHIE. Sans doute, on auroit tort... SCÈNE III. LA PRINCESSE, AGLANTE, CYNTHIE, PHILIS, MORON, LYCAS. LYCAS. Madame, le prince votre père vient vous trouver ici, et conduit avec lui les princes de Pyle et d'Ithaque, et celui de Messène. |