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QUATRIE ME DISCOURS fur les avantages des connoiffances phyfionomiques. PAR DOM PERNETY.

J'ai

'ai avancé dans mon premier Difcours, que la fcience physionomique, confidérée suivant la rigueur du terme, eft la science univerfelle. Cette affertion, qui paroiffoit d'abord un paradoxe, eft devenue une vérité, par les preuves déduites dans mon fecond Difcours. Notre ingénieux & fubtil confrere, Mr. de Catt, ignoroit fans doute ces preuves lorsqu'il a composé fes deux derniers Mémoires. Dans ma réponse au second je me suis vu dans la néceffité de suspendre le détail des preuves qui établiffent cette vérité jufqu'à la conviction. Forcé de réfoudre les objections qu'il a faites contre la science même, mon troisieme Difcours a roulé fur des matieres qui sembloient ne devoir être traitées que comme des préliminaires. Enfin dans un troifieme Mémoire du même Mr. de Catt, lû dans une de nos afsemblées du mois de Décembre dernier, on trouve réunies toutes les raisons, toutes les objections qu'il a imaginées contre la science phyfionomique & contre fes

avantages.

On ne pouvoit guere en effet préfenter ces raisons fous un point de vue plus favorable à son sentiment, & plus capable de faire impression: on ne pourroit former des objections plus fortes en apparence contre ma these, fi elles avoient autant de folidité qu'elles font spécieufes. J'ai prouvé que la fienne a une base mal affurée; & que le spécieux éblouiffant, dont il l'a fi fubtilement ornée, difparoit aifément aux yeux d'un lecteur éclairé, attentif. La moindre expérience fur les effets de la nature à l'égard du cœur humain, du tempérament, & du caractere des hommes, dont elle affiche des étiquettes fen

fibles, palpables, fur leur visage & fur leur maintien, diffipe ces nuages répandus avec art, & laiffe voir la vérité dans tout fon jour.

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L'Auteur du livre qui a pour titre, P An deux mille quatre cent quarante, estimable par ses grandes vûes, fa franchise, l'étendue de fes connoiffances, & plus encore par fon amour pour l'humanité, n'avoit pas vû la science phyfionomique par les yeux de Mr. de Catt lorfqu'il a dit page 232. „J'ai „toujours été très curieux d'envisager un grand homme, & j'ai cru recon„noître que le port, l'action, l'air de tête, la contenance, le regard, tout „le diftinguoit du commun des hommes. Il refte une science neuve à par" courir, l'étude de la phyfionomie." Cet Auteur ne regarde donc pas, avec Mr. de Catt, cette étude comme vaine & même pernicieuse, cette fcience comme chimérique; il en fentoit donc les avantages, puisqu'il souhaite qu'on la cultive. Si un homme auffi éclairé, auffi réfléchi que l'eft cet Auteur, n'a pas hésité à dire en parlant de l'Italie, (p. 106.) ce Royaume tient aujourd'hui fon rang, & porte une phyfionomie vive & parlante: ai-je eû tort d'avancer dans mon premier Difcours, que les loix, les ufages en vigueur dans -un État forment fa phyfionomie? Non, je me félicite de l'avoir pensé comme lui, & de m'être exprimé à peu près dans les mêmes termes. C'est un nouveau motif pour continuer à prendre la défenfe d'une fcience, dont les avantages deviendroient plus fenfibles à mesure qu'elle feroit plus cultivée & plus connue.

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Je pourrois donc me difpenfer de revenir fur les preuves de ces vérités: elles me paroiffent affez convaincantes, & très-décifives contre la these de Mr. de Catt. Mais comme il a rappellé dans fon dernier Mémoire tous les motifs qu'il a cru avoir de perfifter, dans fon fentiment, qu'il me foit donc permis d'achever de montrer le peu de folidité de ses objections..

A quoi fe réduifent-elles? Le voici. Les connoiffances phyfionomiques font, dit-il, peu utiles, quand même on les fuppoferoit réelles: elles font plus qu'inutiles, elles feroient pernicieuses. Il en réfulteroit que les hommes vicieux ne pouvant changer leur phyfionomie, ne fe foucieroient gueres de changer leurs mœurs. 2. La fincérité, la franchife, la prudence, la discrétion cefferoient d'être des vertus, parce que les unes feroient forcées,

les autres inutiles (*). 3. Ou l'on ne juge des phyfionomies que par inftinct, ce qui feroit un jugement bien équivoque; ou fi c'est une science qu'il faille acquérir par l'étude, on n'eft pas affuré d'y réuffir, parce que nous n'avons point de clefs pour déchiffrer le caractere des hommes fur les traits de leur phyfionomie (quand même ce caractere y feroit écrit très- lifiblement) les phyfionomistes n'ayant pu donner des regles de leur prétendue fcience. 4. Si l'on veut fonder cette étude sur l'expérience, on n'y réuffira pas mieux, nos propres obfervations n'étant pas fuffifantes, & celles des autres n'étant pas fûres. Enfin il n'existe point de receuil, & il ne fauroit y en avoir, qui fourniffe des regles même générales & des principes fixes.

Ce font les termes du troifieme Mémoire de Mr. de Catt, & je n'ai point cherché à en affoiblir la force & l'énergie. Ces objections, je le répete, sont très-spécieuses; mais ce ne font pas cependant celles qui paroiffent avoir pré- cisément déterminé notre favant confrere à fe refufer à la vérité, qui lui crie fans ceffe: il y a une fcience phyfionomique naturelle, dont vous faites usage tous les jours, fans y faire réflexion. Au premier coup-d'œil jetté fur un inconnu, vous le jugez sur sa physionomie. Eft-ce par instinct? Oui, l'inftinct agit, & guide le plus grand nombre des hommes, habitués à regarder fans voir, ou à voir fans réfléchir. Vous en êtes convenu, & vous en avez Xconclu que les connoiffances phyfionomiques font très-équivoques: c'est donc en avouer au moins la réalité.

C

Hé bien! réfléchiffons un moment fur cet inftinct; examinons quel être le fondement & l'objet de cette connoiffance qui fait porter peut sun jugement fur la perfonne que nous voyons pour la premiere fois: nous trouverons la solution de la difficulté, la réponse à l'objection la plus forte que Mr. de Buffon ait imaginée contre la science phyfionomiqué. Cette objection a tellement frappé Mr. de Catt, qu'il en a décidé avec la plus grande confiance, qu'on ne peut pas trouver ce qu'on cherche dans les phyfiono

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mies: la preuve, ajoute-t-il (fecond Mémoire), 'fe trouve dans l'excellent détail que Mr. de Buffon a donné des caracteres extérieurs des paffions.

Mais quelle eft donc cette preuve? Mr. de Catt ne l'a pas vraisemblablement pesée au poids d'une réflexion fuffifante; puifque cette prétendue preuve est directement contraire aux affertions de ce célebre Naturaliste, & détruit précisément celles de notre favant confrere. En effet, dire que

Mr. de Buffon a donné un excellent détail des caracteres extérieurs des paffions, n'eft-ce pas dire que les paffions, les affections de l'ame se manifestent à l'extérieur par des caracteres fenfibles, imprimés fur la phyfionomie? N'eft-ce pas avouer pofitivement que la fcience phyfionomique n'eft pas une chimere, que fon étude n'est pas vaine & qu'elle a un fondement réel & folide? Mr. de Buffon le prouve bien plus clairement lorsqu'il dit: „Il est permis de juger, à quelques égards, de ce qui fe paffe dans l'intérieur des hommes, par leurs actions, & l'on peut connoître à l'inspection des changemens du vifage, la fituation actuelle de leur ame." Après un tel croiroit-on que le même Auteur ait ajouté quelques lignes plus bas: Les traits du vifage n'ont aucun rapport avec la nature de l'ame; ils „n'ont aucune analogie fur laquelle on puisse seulement fonder des conjectures raisonnables."

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aveu,

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Les Anciens étoient cependant fort attachés à cette efpece de préjugé; & dans tous les tems il y a eu des hommes qui ont voulu faire une science ,, divinatoire de leurs prétendues connoiffances en phyfionomie; mais il est ,, évident qu'elles ne peuvent s'étendre qu'à deviner les mouvemens de l'ame „par ceux des yeux, du vifage & du corps; mais la forme du nez, de la „, bouche & des autres traits ne fait pas plus à la forme de l'ame, au naturel de la perfonne, que la grandeur ou la groffeur des membres ne fait à la ,, pensée: il faut donc avouer, continue-t-il, que tout ce que nous ont dit „les Phyfionomistes, eft deftitué de tout fondement, & que rien n'eft plus ,,chimérique que les inductions qu'ils ont voulu tirer de leurs prétendues observations métopofcopiques." (Mr. de Buffon dans fon Disc. fur l'homme.) J'en appelle à Mr. de Catt, à Mr. de Buffon lui-même. Ces Meffieurs

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ont – ils bien réfléchi fur la conclufion qu'il vient de nous donner? Après être

convenu qu'il eft permis de juger de ce qui fe paffe dans l'intérieur des hommes par leurs actions & par leur phyfionomie; après avoir dit pofitivement que l'on peut connoître la fituation de leur ame à l'inspection de leur visage, & des changemens qui s'y operent par l'effet des paffions, n'étoit-il pas naturel d'en conclure que les inductions tirées des obfervations métoposcopiques ne font rien moins que chimériques? Mr. de Catt en a cependant jugé tout autrement; fuivant lui, l'expérience même, les obfervations les plus fuivies, ne font pas capables de nous fournir une clef pour déchiffrer le caractere des hommes, ou, ce qui eft la même chofe, la fituation habituelle de leur ame.

D'où vient l'erreur de ces deux Savans? Le voici. Ils ont pris le change. Mal à propos ont-ils imaginé que les Phyfionomistes prétendent que la forme & la figure du nez, des yeux, de la bouche d'un homme fait quelque chofe à la forme de l'ame, & influe fur fes actions & fes penchans; que l'on eft plus ou moins fage pour avoir une grande bouche & de petits yeux. Mais Les Phyfionomistes favent très-bien (& Mrs. de Buffon & de Catt ne fauroient le nier, fans faire tort à leurs propres connoiffances, & fans tomber en contradiction avec eux-mêmes) que notre ame agit fans ceffe fur notre corps, & réciproquement notre corps fur notre ame.

En effet il n'y a aucune paffion de notre ame, aucune affection, aucun fentiment, aucune émotion qui n'agiffe fur le corps; qui n'éleve, n'abaiffe, ne relâche ou ne tende quelques muscles, & n'ait plus ou moins, en variant notre extérieur, une expreffion particuliere. Les plaifirs & les peines, la crainte & les défirs, l'amour & l'averfion, quelque morale qu'en foit la cause, ont en nous des effets phyfiques, qui fe manifeftent par des fignes plus ou moins sensibles. Toutes les affections fe marquent fur le vifage; excitent certains mouvemens dans le front, dans les yeux, le nez & la bouche; donnent à ces parties une certaine expreffion; changent enfin l'habitude du corps par leur action répétée; donnent ou ôtent la contenance; font faire certains geftes, certains mouvemens, qui tournent en habitude, & qui produisent enfin ce qu'on appelle proprement les fignes caractéristiques

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