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de bons principes et l'habitude d'un bon langage, que des extraits faits avec soin et qui pourraient avoir quelquefois. une longueur raisonnable.

En applaudissant à une pratique d'enseignement confirmée par de tels suffrages et très-sagement rétablie, il nous sera permis de nous féliciter d'avoir reçu du ministre une haute marque de confiance, lorsqu'il a bien voulu nous inviter à composer un recueil de morceaux choisis pour les classes de grammaire particulièrement, et en recommander l'usage à MM. les proviseurs et principaux..

Cette œuvre modeste, qui n'a pas paru inutile, se complète par deux recueils du même genre, où domine, avec de légères modifications de méthode, une pensée commune: d'un côté, par un recueil plus simple, rédigé pour les classes élémentaires; de l'autre, par le présent recueil plus élevé spécialement destiné aux classes supérieures 1.

Dans ces trois publications distinctes, mais formant un ensemble qui embrasse le cercle classique tout entier, nous avons eu pour but de réunir, en les gráduant suivant l'âge et l'intelligence de ceux qui les doivent étudier, les modèles les plus incontestés et les plus purs, les morceaux les plus propres à former le cœur autant que l'esprit de la jeunesse. Nous avons voulu qu'au sortir de leurs cours, I ,.les élèves des lycées et des colléges connussent, avec les plus grands noms de notre littérature, ce qu'elle a produit de plus parfait; et ce sera là, nous l'espérons, le fruit d'une étude attentive de ces recueils, conçus dans un dessein unique, malgré quelques différences de compositions qu'il· a semblé à propos d'y introduire.

Pour les enfants des classes élémentaires, convaincu qu'il fallait avant tout les former à l'usage de la langue de nos jours, nous avons, sans acception de temps, choisi chez ceux

1. Pour répondre à la demande qui nous en a été faite par un grand nombre de professeurs, nous avons réimprimé ces Morceaux choisis, en réunissant dans le même volume les morceaux de prose et de poésie plus particulièrement convenables à chaque classe quelques morceaux nouveaux ont pris place parmi les anciens. Ce travail a été fait sous la direction de M. G. Feugère fils. (Note de: l'éditeur.)

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qui l'ont le mieux écrite, même chez les auteurs contemporains, ce qui nous a paru en rapport avec leur jeune intelligence. Dans la disposition des morceaux, nous n'avons apporté d'autre ordre que celui qui semblait indiqué par la nature des idées, selon que leur simplicité et leur clarté plus parfaites les rendaient plus faciles à saisir.

Pour les classes de grammaire, où commence à s'éveiller le goût, où les élèves, par l'exercice de la version, s'essayent à écrire, nous avons jugé nécessaire, en vue de leur donner les premières leçons de style, d'être très-rigoureux dans nos choix; nous les avons donc restreints à l'époque où, d'un accord unanime, le plus haut degré de perfection a été atteint parmi nous, au dix-septième siècle.

Pour les classes supérieures, le cercle des auteurs où nous avons puisé a dû être un peu élargi; mais nous n'y avons fait entrer toutefois, avec le dix-septième siècle, que l'élite du dix-huitième. Cette circonspection sévère n'a pas besoin d'être excusée. Puisque de légitimes désirs de réformes ont préoccupé de nos jours la conscience publique sur tout ce qui regarde l'éducation et l'instruction, il fallait mettre au premier rang de ces réformes un soin plus vigilant à ne présenter aux jeunes intelligences que des modèles accomplis sous le rapport moral ainsi que sous le rapport littéraire.

Dans les recueils destinés aux classes de grammaire et aux classes supérieures des lettres, nous avons pensé qu'il convenait d'adopter, pour le classement des auteurs, l'ordre chronologique, comme favorable à l'exercice de la mémoire et susceptible d'ajouter à l'utilité de la lecture, en plaçant sous les regards, avec la marche insensible de notre idiome parvenu à sa maturité, le magnifique développement de notre littérature arrivée à son plus grand éclat.

On ne perdra pas de vue qu'aux termes de l'instruction générale du 15 novembre 1854 on doit expliquer le français dans les classes: ce qu'on s'était trop généra

1. Cet exercice est des plus importants, et on ne saurait trop le recommander au zèle des professeurs. C'est par l'explication, jadis nulle ou trop incomplète, des textes français, qu'ils peuvent former

lement borné à faire jusqu'ici pour le latin et pour le grec. Parmi nos textes, il en est qui pourront être uniquement la matière d'explications et d'analyses, tandis que d'autres, et les plus parfaits, serviront en outre à la culture et à l'ornement de la mémoire. Ce choix appartient au bon goût du professeur.

C'est là le plan que nous avons cru devoir suivre, en ne négligeant rien peur obtenir le succès le plus flatteur à nos yeux, celui de répondre aux intentions du ministre. Nous nous estimerons heureux si nous paraissons à nos collègues n'être pas demeuré trop loin du but que nous avions à cœur d'atteindre, et si ces recueils en particulier, rédigés pour les classes supérieures, sont considérés comme un manuel de composition et de style, où les jeunes gens puissent apprendre, non par d'arides théories, mais par la pratique des chefs-d'œuvre de notre langue, à penser et à écrire. L. F.

à la fois l'intelligence et le style des élèves, en leur montrant le sens précis des mots et souvent les acceptions successives qu'ils ont prises, surtout en leur faisant apercevoir l'enchaînement des idées et leur développement régulier.

I.

Origine de la langue française.

Commencements de la proso

française Villehardouin, Joinville, Froissart, Commines 1.

:

En remontant le cours des âges, la science a signalé sur le territoire de la Gaule la présence de deux populations primitives, les popu. lations celtiques, dont les derniers débris, refoulés peu à peu par l'inva sion étrangère, allèrent cacher au fond de la Bretagne leur culte barbare et leur fière indépendance, et les populations ibériennes, dont les Basques semblent les derniers représentants. Les Phocéens, d'autre part, qui avaient fondé Marseille au sixième siècle avant l'ère chrétienne, multiplièrent leurs établissements sur toute la côte méridionale, et « une auréole de civilisation grecque resplendit sur notre littoral méditerranéen2. >

Rome imposa à la Gaule ses lois, son administration et sa langue. Cependant, malgré le triomphe du latin, qui était devenu le langage préféré des nobles gaulois, l'idiome celtique ne périt pas tout entier, mais se perpétua dans les classes inférieures de la société3. De ce mélange d'éléments hétérogènes, et aussi de la rapide décomposition de la langue latine, dont les formes délicates et savantes se brisèrent au contact de cette civilisation grossière, naquit un nouvel idiome, le roman rustique (romanus rusticus), qui ne conserva guère des mots latins que leur radical; tout le reste, désinences, flexions, syntaxe, fut abandonné an caprice local, ou pour mieux dire transformé par cette logique secrète et inconsciente des peuples qui créent toujours leur langue selon leurs besoins et à l'image de leur génie. L'élément germanique apporté par les invasions du cinquième siècle ne laissa dans la langue romane que des traces insensibles.

L'Église, pour resserrer son union avec les populations de la Gaule, accepta l'idiome nouveau. En 813, le concile de Tours prescrivait aux évêques de traduire en langue romane leurs instructions pastorales et

1. Les citations que nous donnerons de ces historiens ainsi que des auteurs de la Renaissance seront empruntées aux morceaux indiqués dans le programme officiel de l'enseignement secondaire spécial.

2. M. Ampère.

3. On compte une centaine de mots français qui paraissent se rattacher à la langue celtique: ils se rapportent presque tous à des objets de l'ordre matériel, comme bac, bec, blé, holte, clan, dune, havre, etc.

même les homélies des Pères de l'Église. Mais le premier monument écrit, ce sont les serments réciproques prêtés à Strasbourg au mois de mars 842 par Louis le Germanique à son frère Charles le Chauve et par les soldats de Charles à Louis le Germanique. Nous transcrivons ici le serment de Louis le Germanique, d'après l'historien Nithard :

Pro Deo amur, et pro christian poplo, et nostro commun salvament, dist di en avant, in quant Deus savir et potir me dunat, si salvara jeo cist meon fratre Karlo, et in adjudha et in cadhuna cosa, si com ompar dreit son fradra salvar dist, in o quid il mi altresi fazet, et ab Ludher nul plaid nunquam prindrai, qui, meon vol, cist meon fradre Karle in damno sit.

Pour l'amour de Dieu et pour le peuple chrétien et notre commun salut, dorénavant, autant que Dieu m'en donne le savoir et le pouvoir, je sauverai mon frère Charles, ici présent, et lui serai en aide et en chaque chose ainsi qu'un homme, selon la justice, doit sauver son frère, tant qu'il fera de la même manière pour moi, et je ne ferai avec Lothaire aucun traité qui par ma volonté soit au préjudice de mon frère Charles.

Ce texte précieux nous permet de prendre en quelque sorte sur le fait le travail de la transformation et de reconnaître les caractères du nouvel idiome. Les mots s'abrégent par la suppression de la terminəison (amur pour amore, om pour homo), il n'y a plus de désinences variables dans les noms, et la déclinaison se réduit à deux cas, le régime et le sujet (Deus et Deo, Karle et Karlo). Mais à dater de ces serments de 842, la langue romane du midi se sépare de celle du nord. C'est surtout à l'invasion des Normands qu'il faut attribuer cette nouvelle révolution. Les vainqueurs firent comme les Francs du cinquième siècle ils adoptèrent la langue des vaincus, ils mirent leur orgueil à la parler correctement; malgré tout, leur empreinte s'y marqua. Les syllabes sourdes prédominèrent, les e se substituèrent aux a. L'idiome méridional, appelé provençal, garda seul la sonorité des désinences latines. Aussi devint-il l'instrument préféré de la poésie. La langue française (celle du nord), dit un vieux grammairien, vaut mieux et est plus avenante pour faire romans et pastourelles, mais celle du Limousin (le provençal) est préférable pour faire vers, chansons et sirventes. > La Loire dessinerait à peu près la ligne de partage entre la langue d'Oc et la langue d'Oïl 1.

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C'est au douzième siècle, illustré par Pierre le Vénérable, par Abélard, par tant de mouvement dans les esprits, tant de querelles et de sciences, que le premier débrouillement de notre langue est achevé : elle devient capable d'agir sur les masses. Saint Bernard, dans les plaines

1. Ces deux idiomes furent ainsi désignés par le nom qui dans chacun d'eux exprimait l'affirmation oui. -Sur l'origine de la langue française on pourra consulter avec fruit l'ouvrage de M. Ampère sur la formation de la langue française. On lira aussi avec un grand intérêt les premiers chapitres du Cours de littérature française au moyen âge, par M. Villemain.

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