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lauriers, que de palmes, que de triomphes et que de trophées. Il dit dans le discours familier: Notre auguste héros, notre grand potentat, notre invincible monarque. Réduisezle, si vous pouvez, à dire simplement: Le roi a beaucoup l'ennemis; ils sont puissants, ils sont unis, ils sont aigris. Il les a vaincus, j'espère toujours qu'il les pourra vaincre. Ce style, trop ferme et trop décisif pour Démophile, n'est pour Basilide ni assez pompeux ni assez exagéré: il a bien d'autres expressions en tête; il travaille aux inscriptions des arcs et pyramides qui doivent orner la ville capitale un jour d'entrée; et, dès qu'il entend dire que les armées sont en présence ou qu'une place est investie, il fait déplier sa robe et la mettre à l'air, afin qu'elle soit toute prête pour la cérémonie de la cathédrale 1.

Ibid., chap. X.

Le bon roi:

Quand vous voyez quelquefois un nombreux troupeau qui, répandu sur une colline vers le déclin d'un beau jour, pait tranquillement le thym et le serpolet, ou qui broute dans une prairie une herbe menue et tendre qui a échappé à la faux du moissonneur, le berger: soigneux et attentif est debout auprès de ses brebis; il ne les perd pas de vue, il les suit, il les conduit, il les change de pâturages: si elles se dispersent, il les rassemble; si un loup avide paraît, il lâche son chien, qui le met en fuite; il les nourrit, les défend; l'aurore le trouve déjà en pleine campagne, d'où il ne se retire qu'avec le soleil. Quels soins! quelle vigilance!

1. Il est curieux de voir Montesquieu traçant le même caractère: Les nouvellistes, dit-il, s'assemblent dans un jardin magnifique (les Tuileries), où leur oisiveté est toujours occupée. Ils sont très-inutiles à l'Etat, et leurs discours de cinquante ans n'ont pas un effet différent de celui qu'aurait pu produire un silence aussi long: cependant ils se croient considérables, parce qu'ils s'entretiennent de projets magnifiques et traitent de grands intérêts. La base de leurs conversations est une curiosité frivole et ridicule; il n'y a point de cabinet si mystérieux qu'ils ne prétendent pénétrer; ils ne sauraient consentir à ignorer quelque chose... A peine ont-ils épuisé le présent, qu'ils se précipitent dans l'avenir, et marchant au-devant de la Providence, ils la préviennent sur toutes les démarches des hommes. Ils conduisent un général par la main; et, après l'avoir loué de mille sottises qu'il n'a pas faites, ils lui en préparent mille autres qu'il ne fera pas. Ils font voler les armées comme les grues et tomber les murailles comme des cartons: ils ont des ponts sur toutes les rivières, des routes secrètes dans toutes les montagnes, des magasins immenses dans les sables brûlants; il ne leur manque que le bon sens. On peut aussi comparer Molière dans la scène 1 de la Comtesse d'Escarbagnas.

quelle servitude! Quelle condition vous paraît la plus délicieuse et la plus libre, ou du berger ou des brebis? Le troupeau est-il fait pour le berger, ou le berger pour le troupeau? Image naïve des peuples et du prince qui les gouverne, s'il est bon prince1.

Ibid., ib.

La maladie, la vieillesse et la mort. Réflexions à ce sujet.

Irène se transporte à grands frais en Épidaure, voit Esculape dans son temple, et le consulte sur tous ses maux. D'abord elle se plaint qu'elle est lasse et recrue 2 de fatigue; et le dieu prononce que cela lui arrive par la longueur du chemin qu'elle vient de faire: elle dit qu'elle est le soir sans appétit; l'oracle lui ordonne de dîner peu: elle ajoute qu'elle est sujette à des insomnies, et il lui prescrit de n'être au lit que pendant la nuit : elle lui demande pourquoi elle devient pesante, et quel remède? l'oracle répond qu'elle doit se lever avant midi, et quelquefois se servir de ses jambes pour marcher : elle lui déclare que le vin lui est nuisible; l'oracle lui dit de boire de l'eau: qu'elle a des indigestions, et il ajoute qu'elle fasse diète'. Ma vue s'affaiblit, dit Irène: Prenez des lunettes, dit Esculape. Je m'affaiblis moi-même, continue-t-elle, et je ne suis ni si forte ni si saine que j'ai été : C'est, dit le dieu, que vous vieillissez. Mais quel moyen de guérir de cette langueur? Le plus court, Irène, c'est de mourir, comme ont fait votre mère et votre aïeule. Fils d'Apollon, s'écrie Irène, quel conseil me donnez-vous? Est-ce là toute cette

1. M. Helleu, dans l'édition citée, rapproche judicieusement ce célèbre passage de quelques lignes tirées de la Politique selon les Ecritures de Bos. suet (livre III): Dieu a choisi David, et l'a tiré d'après les brebis pour paitre Jacob son serviteur, et Israël son héritage. Il n'a fait que changer de troupeau au lieu de paltre des brebis, il paît des hommes. Paitre, dans la langue sainte, c'est gouverner, et le mot de pasteur signifie le prince: tant ces choses sont unies. »

2. Harassée.... Ce vieux mot paralt venir du verbe latin recrudescere dans le sens d'empirer. Ménage, dans son Dictionnaire étymologique, cite à ce terme, et pour l'expliquer, cette phrase de Jules Scaliger: Equos defectos Galli recrus vocant, quasi recruduerint. »

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3. La diète et l'exercice, a dit aussi Descartes dans une de ses Letires, sont, à mon avis, les meilleurs de tous les remèdes.... cependant après ceux de l'âme..- Ces prescriptions n'ont rien de bien nouveau: mais le simple bon sens qui les dicte produit justement un très-piquant contraste avec la folie des plaintes d'Irène, qui trouve extraordinaire de vieillir.

4. Sain, au dix-septième siècle, voulait dire, conformément à son étymo logie latine, bien portant, en bonne santé.

science que les hommes publient et qui vous fait révérer de toute la terre? Que m'apprenez-vous de rare et de mystérieux? et ne savais-je pas tous ces remèdes que vous m'enseignez? Que n'en usiez-vous donc, répond le dieu, sans venir me chercher de si loin et abréger vos jours par un long voyage!

La mort n'arrive qu'une fois, et se fait sentir à tous les moments de la vie; il est plus dur de l'appréhender que de la souffrir.

L'inquiétude, la crainte, l'abattement, n'éloignent pas la mort, au contraire. Je doute seulement que le ris excessif convienne aux hommes qui sont mortels.

Pensons que, comme nous soupirons présentement pour la florissante jeunesse qui n'est plus et ne reviendra point, la caducité suivra, qui nous fera regretter l'âge viril où nous sommes encore, et que nous n'estimons pas assez.

L'on craint la vieillesse, que l'on n'est pas sûr de pouvoir atteindre.

L'on espère de vieillir, et l'on craint la vieillesse; c'està-dire, l'on aime la vie et l'on fuit la mort.

C'est plus tôt fait de céder à la nature et de craindre la mort, que de faire de continuels efforts, s'armer de raisons et de réflexions, et être continuellement aux prises avec soi-même pour ne la pas craindre.

Si de tous les hommes les uns mouraient, les autres non, ce serait une désolante affliction que de mourir.

Une longue maladie semble être placée entre la vie et la mort, afin que la mort même devienne un soulagement et à ceux qui meurent et à ceux qui restent.

Le regret qu'ont les hommes du mauvais emploi du temps qu'ils ont déjà vécu ne les conduit pas toujours à faire, de celui qui leur reste à vivre, un meilleur usage.

La vie est un sommeil 2: les vieillards sont ceux dont le sommeil a été plus long; ils ne commencent à se réveiller que quand il faut mourir. S'ils repassent alors sur tout le cours de leurs années, ils ne trouvent souvent ni vertus ni actions louables qui les distinguent les unes des autres; ils confondent leurs différents âges; ils n'y voient rien qui marque assez pour mesurer le temps qu'ils ont vécu. Ils ont eu un songè confus, informe, et sans aucune suite; ils

1. Descartes parlant, dans une autre lettre, d'une affection grave dont il avait été atteint dans sa jeunesse : « Je crois, dit-il, que l'inclination que j'ai toujours eue à regarder les choses qui se présentaient du biais qui me les pouvait rendre le plus agréables, et à faire que mon principal contentement ne dépendit que de moi seul, est cause que cette indisposition, qui m'était comme naturelle, s'est peu á peu entièrement passée. »

2. Pascal a dit : « La vie est un songe un peu moins inconstant. ■

sentent néanmoins, comme ceux qui s'éveillent, qu'ils ont dormi longtemps.

Il n'y a pour l'homme que trois événements: naître, vivre et mourir: il ne se sent pas naître, il souffre à mourir, et il oublie de vivre.

Ibid., chap. XI.

Certitude de la religion chrétienne. Immatérialité de l'âme

humaine.

Si ma religion était fausse, je l'avoue, voilà le piége le mieux dressé qu'il soit possible d'imaginer: il était inévitable de ne pas donner tout au travers et de n'y être pas pris. Quelle majesté, quel éclat des mystères! quelle suite et quel enchaînement de toute la doctrine! quelle raison éminente! quelle tandeur, quelle innocence de vertus! quelle force invincible et accablante des témoignages rendus successivement et pendant trois siècles entiers par des millions de personnes les plus sages, les plus modérées qui fussent alors sur la terre, et que le sentiment d'une même vérité soutient dans l'exil, dans les fers, contre la vue de la mort et du dernier supplice! Prenez l'histoire, ouvrez, remontez jusques au commencement du monde, jusques à la veille de sa naissance, y a-t-il eu rien de semblable dans tous les temps? Dieu même pouvait-il jamais mieux rencontrer pour me séduire? Par où échapper? où aller? où me jeter, je ne dis pas pour trouver rien de meilleur, mais quelque chose qui en approche? S'il faut périr, c'est par là que je veux périr; il m'est plus doux de nier Dieu que de l'accorder avec une tromperie si spécieuse et si entière: mais je l'ai approfondi, je ne puis être athée, je suis donc ramené et entraîné dans ma religion; c'en est fait.

La religion est vraie, ou elle est fausse si elle n'est qu'une vaine fiction, voilà, si l'on veut, soixante années perdues pour l'homme de bien, pour le chartreux ou le solitaire; ils ne courent pas un autre risque. Mais si elle est fondée sur la vérité même, c'est alors un épouvantable malheur pour l'homme vicieux: l'idée seule des maux qu'il se prépare me trouble l'imagination; la pensée est trop faible pour les concevoir, et les paroles trop vaines pour les exprimer. Certes, en supposant même dans le monde moins de certitude qu'il ne s'en trouve en effet sur la vérité de la religion, il n'y a point pour l'homme un meilleur parti que la vertu'.

1. De même Pascal, dans ses Pensées, au célèbre passage appelé la règle des

Je ne sais si ceux qui osent nier Dieu méritent qu'on s'efforce de le leur prouver, et qu'on les traite plus sérieusement que l'on n'a fait dans ce chapitre. L'ignorance, qui est leur caractère, les rend incapables des principes les plus clairs et des raisonnements les mieux suivis. Je consens I néanmoins qu'ils lisent celui que je vais faire, pourvu qu'ils ne se persuadent pas que c'est tout ce que l'on pouvait dire sur une vérité si éclatante.

Il y a quarante ans que je n'étais point, et qu'il n'était pas en moi de pouvoir jamais être, comme il ne dépend pas de moi, qui suis une fois, de n'être plus. J'ai donc commencé et je continue d'être par quelque chose qui est hors de moi, qui durera après moi, qui est meilleur et plus puissant que moi. Si ce quelque chose n'est pas Dieu, qu'on me dise ce que c'est....

En un mot, je pense; donc Dieu existe1: car ce qui pense en moi, je ne le dois point à moi-même, parce qu'il n'a pas plus dépendu de moi de me le donner une première fois qu'il dépend encore de moi de me le conserver un seul instant; je ne le dois point à un être qui soit au-dessus de moi, et qui soit matière, puisqu'il est impossible que la matière soit au-dessus de ce qui pense: je le dois donc à un être qui est au-dessus de moi et qui n'est point matière; et c'est Dieu....

Je ne sais point si le chien choisit, s'il se ressouvient, s'il affectionne, s'il craint, s'il imagine, s'il pense quand donc l'on me dit que toutes ces choses ne sont en lui ni passion ni sentiment, mais l'effet naturel et nécessaire de la disposition de sa machine préparée par le divers arrangement des parties de la matière', je puis au moins ac

paris: Quel mal vous arrivera-t-il en prenant ce parti? Vous serez fidèle, honnête, humble, reconnaissant, bienfaisant, sincère, ami véritable. A la vérité, vous ne serez point dans les plaisirs empestés, dans la gloire, dans les délices. Mais n'en aurez-vous point d'autres ? Je vous dis que vous y gagnerez en cette vie; et qu'à chaque pas que vous ferez dans, ce chemin, vous verrez tant de certitude de gain, et tant de néant de ce que vous hasardez, que vous reconnaîtrez à la fin que vous avez parié pour une chose certaine, infinie, pour laquelle vous n'avez rien donné. »

1. Descartes avait dit (voy. ses Lettres): Ne m'avouerez-vous pas que Vous êtes moins assuré de la présence des objets que vous voyez que de la vérité de cette proposition, je pense, donc je suis? Ce célèbre enthymème a été exposé et soutenu dans deux ouvrages de Descartes, les Méditations sur la philosophie première et les Principes de la philosophie.

2. C'est ce qu'a prétendu en effet Descartes,

Descartes, ce mortel dont on eût fait un dieu

Chez les païens, et qui tient le milieu

Entre l'homme et l'esprit....

Mais l'opinion du philosophe a trouvé naturellement un adversaire dans La Fontaine : voy. Fab., X, 1.

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