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reur? Et ceux qui en leur conscience sçavent bien qu'ils en sont cause, peuvent-ils en ouïr parler sans rougir, et sans apprehender la punition que Dieu leur reserve pour tant de maux dont ils sont autheurs? Mesmement, quand ils se representeront les images de tant de pauvres bourgeois, qu'ils ont veus par les rues tomber tous roides morts de faim; les petits enfans mourir à la mammelle de leurs meres allangouries, tirants pour néant, et ne trouvant que succer; les meilleurs habitants et les soldats marcher par la ville, appuyez d'un baston, pasles et foibles, plus blancs et plus ternis qu'images de pierre, ressemblants plus des fantosmes que des hommes. Fut-il jamais tyrannie et domination pareille à celle que nous voyons et endurons? Où est l'honneur de nostre Université? Où sont les Colleges? Où sont les Escoliers? Où sont les leçons publicques, où l'on accourroit de toutes les parties du monde? Où sont les Religieux estudiants aux couvents? Ils ont pris les armes, les voilà soldats debauchez. Où sont nos précieuses Reliques? Les unes sont fondues et mangees, les autres sont enfouies en terre de peur des voleurs et sacrileges. Où est la reverence qu'on portoit aux gens d'Eglise et aux Sacrés Mysteres? Chacun maintenant fait une Religion à sa guise. Où sont les Princes du sang, qui ont toujours esté personnes sacrees, comme les colonnes et appuis de la Couronne et Monarchie Françoise?....

Il n'y a ni rodomontade d'Espagne, ni bravacherie napolitaine, ni mutinerie wallonne, ni citadelle dont on nous menace, qui nous puisse empescher de desirer et de demander la paix. Nous n'aurons plus ces sangsües d'exacteurs et maltotiers; on ostera ces lourds imposts qu'on a inventés à l'hostel de ville sur les meubles et marchandises libres et sur les vivres qui entrent aux bonnes villes, où il se commet mille abus et concussions, dont le profit ne revient pas au public, mais à ceux qui manient les deniers, et s'en donnent par les joues. Nous n'aurons plus ces chenilles qui succent et rongent les belles fleurs des jardins de France, et s'en peignent de diverses couleurs, et en un moment de petits vers rampants contre terre deviennent grands papillons volants, peinturez d'or et d'azur. Nous n'aurons plus tant de gouverneurs qui font les Roytelets, et ne serons plus subjets aux gardes et sentinelles, où nous perdons la moitié de notre temps, consommons nostre meilleur âge, et acquerons des catarres et maladies qui ruinent notre santé. Nous aurons un Roy qui donnera ordre à tout, et retiendra tous ces tyranneaux en crainte et en devoir; qui chastiera les violents, punira les refractaires, exterminera les voleurs et pillards, retranchera les

aisles aux ambitieux, fera rendre gorge à ces esponges et larrons des deniers publics, fera contenir un chacun aux limites de sa charge, et conservera tout le monde en repos et tranquillité. Enfin nous voulons un Roy pour avoir la paix. Mais nous ne voulons pas faire comme les grenouilles, qui s'ennuyants de leur Roy paisible, esleurent la Cicogne, qui les devora toutes. Nous demandons un Roy et chef naturel, non artificiel, un Roy desjà fait, et non à faire, et n'en voulons point prendre les conseils des Espagnols, nos ennemis inveterez, et qui veulent estre nos tuteurs par force. Nous ne voulons pour conseillers et medecins ceux de Lorraine, qui de longtemps beent1 après nostre mort. Le roy que nous demandons est desjà fait par la nature, né au vray parterre des fleurs de Lis de France, rejetton droit et verdoyant de la tige de saint Louys. Ceux qui parlent d'en faire un autre se trompent et ne sçauroient en venir à bout. Allons, allons donc, mes amis, tous d'une voix luy demander la paix : il n'y a paix si inique qui ne vaille mieux qu'une tres-juste guerre. O quam speciosi pedes nuntiantium pacem, nuntiantium bona et salutem! dit Isaye. O que ceux ont les pieds beaux, qui portent la paix et annoncent le salut et la sauveté du peuple! Que tardons-nous à chasser ces fâcheux hostes, maupiteux bourgeois, insolens animaux, qui devorent nostre substance, et nos biens comme sauterelles? Allons, Monsieur le legat, retournez à Rome. Allons, Messieurs les Agents et Ambassadeurs d'Espagne, nous sommes las de vous servir de gladiateurs à outrance, et nous entretuer pour vous donner du plaisir. Allons Messieurs de Lorraine, nous vous tenons pour fantosmes de protection, sangsües du sang des Princes de France; et que Monsieur le Lieutenant ne pense pas nous empescher ou retarder par ses menaces: nous luy disons haut et clair, et à vous tous, Messieurs ses cousins et alliez, que nous sommes François, et allons avec les François exposer nostre vie et ce qui nous reste de bien pour assister nostre roy, nostre bon Roy, nostre vray Roy, qui vous rangera aussi bientost à la mesme reconnoissance, par force, ou par un bon conseil que Dieu vous inspirera, si en estes dignes.

Arrêtons-nous sur les derniers mots que nous venons de transcrire et qui sont comme le salut patriotique adressé par la France à Henri IV. Le seizième siècle est terminé, une période d'apaisement succède à cette époque confuse et troublée dont nous ne pouvions tracer qu'une esquisse incomplète, mais qui ne fut pas, on l'a vu, sans honneur pour les progrès du goût et de l'esprit français.

1. Aspirent...

MORCEAUX CHOISIS

DES CLASSIQUES FRANÇAIS

A L'USAGE DES CLASSES SUPÉRIEURES.

CHEFS-D'OEUVRE DE PROSE.

BALZAC.

(1594-1655.)

Balzac, dont l'éloquence a excité l'enthousiasme de son époque, peut offrir à la nôtre plus d'un modèle oratoire. Né à Angoulême vers le temps où Henri IV faisait sa rentrée dans Paris, il mourut lorsque Louis XIV, majeur, laissait encore son pouvoir aux mains ́de Mazarin. C'est le premier de nos auteurs qui ait écrit supérieurement, dans ses moments heureux, notre langue parvenue à sa maturité. Ses principaux ouvrages sont le Socrate chrétien, où une teinte antique relève la beauté de la morale moderne; le Prince, où il trace à Louis XIII ses devoirs et célèbre Richelieu son protecteur; ses Dissertations politiques et critiques; Aristippe ou la Cour, et la Relation à Menandre, en d'autres termes sa justification ou sa réponse aux ennemis que lui avait faits sa gloire. On trouve dans ce dernier livre, remarque M. Nisard, de grands traits de mélancolie que semble avoir recueillis Pascal'.

1. Nous avons suivi l'édition in-folio des Œuvres de Balzac, 2 vol., Paris, 1665.-Parmi ceux qui se sont occupés spécialement de cet auteur, on remarque MM. Malitourne et Geruzez, qui lui ont consacré chacun une notice. On lira aussi avec intérêt sur l'influence de Balzac au dix-septième siècle le 5 chapitre des Prédicateurs du dix-septième siècle avant Bossuet, par J. P. Jacquinet, et le chap. III (2 partie) du Tableau de la littérature fransise au dix-septième siècle avant Corneille et Descartes, par M. J. Demoge

1. Prose. Supér.

1

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L'homme-Dieu.

L'homme-Dieu que nous adorons a nettoyé la terre de cette multitude de monstres que les hommes adoraient; mais il n'en est pas demeuré là.

Il ne s'est pas contenté de ruiner l'idolâîrie et d'imposer silence aux démons : il a de plus confondu la sagesse humaine; il a ôté la parole aux philosophes. Leurs sectes ont fait place à son Eglise et leurs dogmes à ses commandements toute la raison, toute l'éloquence d'Athènes lui a cédé. C'est lui qui a humilié l'orgueil du Portique, qui a décrédité le Lycée et les autres écoles de la Grèce. Il a fait voir qu'il y avait de l'imposture partout, qu'il y avait des fables dans la philosophie, et que les philosophes n'étaient pas moins extravagants que les poëtes, mais que leur extravagance était plus grave et plus composée. Il a fait avouer aux spéculatifs qu'ils avaient rêvé lorsqu'ils avaient voulu méditer. Il leur a montré que de cent cinquante et tant d'opinions qui visaient au souverain bien, il n'y en avait pas une qui cût touché au but: vous pouvez voir et compter ces opinions dans les livres de la Cité de Dieu de saint Augustin 2. Jésus-Christ a ainsi traité les sages du monde : de cette sorte il a pacifié leurs querelles et leurs guerres. En les réfutant tous, il les a tous accordés.

Avant lui, on se doutait bien de quelque chose: on donnait de légères atteintes à la vérité; on avait quelques soupçons et quelques conjectures de ce qui est. Mais les plus intelligents étaient les plus retenus et les plus timides à se faire entendre; ils n'osaient se déclarer sur quoi que ce soit; ils ne parlaient qu'en tremblant et en hésitant des affaires de l'autre vie : ils consultaient et délibéraient toujours, sans jamais se résoudre ni prendre parti. Ils ne m'étonnent pas néanmoins. Car comment eussent-ils pu trouver la vérité qu'ils cherchaient, puisqu'elle n'était pas encore née il fallait que la vérité se fit chair, afin de se rendre sensible et de devenir familière aux hommes, afin de se faire voir et toucher.

Cette vérité n'est autre que Jésus-Christ: et c'est ce Jésus-Christ qui a fait cesser les doutes et les irrésolutions

1. Balzac entend par là des opinions innombrables, puisque chaque secte de philosophes avait la sienne.

2. On peut consulter, à ce sujet, le chapitre 1" du XIX' livre de cet ouvrage; cf. ibid., XVIII, 41.

3. Allusion à ces mots de l'Evangile selon saint Jean: Et verbum caro factum est.

de l'Académie, qui a même assuré le pyrrhonisme. Il est venu arrêter les pensées vagues de l'esprit humain par son moyen, nous savons ce qu'Aristote, ce que le maître d'Aristote, ce que les disciples d'Aristote ont ignoré. Ils avaient les yeux bons; mais ils cheminaient de nuit, et la subtilité de leur vue n'était pas comparable à la pureté de notre lumière.

Ou le monde est éternel, ou il a eu un commencement; ou l'âme de l'homme meurt avec le corps, ou il y a une seconde vie pour elle après celle-ci : voilà toute la satisfaction que vous donneront les savants de la Grèce et les habiles de Rome. Ne leur en demandez pas davantage. L'inconstance de leur esprit, l'incertitude de leurs opinions, est chose à faire pitié. Ils ne vous payeront que d'équivoques; ils ne vous conseilleront que de suspendre votre jugement, que de retenir votre détermination. Le seul Jésus-Christ a pouvoir de conclure et de prononcer, et sa seule doctrine nous peut mettre l'esprit en repos. Elle définit, elle décide, elle juge souverainement. Elle tranche les difficultés; elle coupe les nœuds et ne s'amuse pas à les démêler : elle nous assure en termes formels que les choses visibles ont commencé et que les substances spirituelles ne finiront point.

Depuis la publication de cette doctrine, nous disons hautement et affirmativement que le monde ne s'est pas bâti lui-même, mais qu'il y a je ne sais quoi de plus vieux et de plus ancien qui à travaillé à une si admirable architecture. Nous disons que les astres ont été faits par une main qui en pourrait faire de plus beaux. Nous disons que l'âme de l'homme est un feu inextinguible et perpétuel; qu'elle est originaire du ciel; que c'est une partie de Dieu même3: et par conséquent qu'il y a bien plus d'apparence qu'elle se ressente de la noblesse de sa race que de la contagion de sa demeure; qu'il est bien plus à croire qu'elle dure, pour se réunir à son principe, pour acquérir la perfection de son être, pour devenir raison toute pure, qu'il n'est à croire qu'elle finisse, pour tenir compagnie à la matière, pour s'éloigner de sa véritable fin, pour courir la fortune de ce qui est son contraire plutôt que son associé.

La même doctrine nous découvre les autres secrets du ciel avec la même certitude; mais ce sont là les secrets importants, et qui contribuent à notre salut, et non pas les

1. C'est-à-dire, qui a rendu même affirmatifs ceux qui faisaient profession d'un doute universel.

2. Platon, chef de l'école philosophique nommée plus haut l'Académie. 3. Il ne faut pas prendre à la lettre ces paroles de Balzac. Il s'exprime ici comme un ancien, ou plutôt d'après le souvenir des anciens, qui appellent l'ame: divinæ particulăm auræ.

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